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Dans le monde
Russie : La démocratie selon Poutine
La récente dispersion violente par la police de manifestants anti-Poutine moins nombreux que les Omon (les CRS russes) qui les encerclaient et l'arrestation d'un des leaders de l'opposition pro-occidentale à l'origine de ces manifestations, l'ex-champion d'échecs Gary Kasparov, ont donné un aperçu de la façon dont se déroule la campagne des législatives du 2 décembre en Russie. Mais, là-bas, seuls ceux qui ont accès aux chaînes occidentales de télévision ont pu le savoir, car celles du pays ont passé sous silence ces faits dont même la plupart des habitants de Moscou et de Saint-Pétersbourg, où se déroulaient ces manifestations, n'ont pas eu connaissance.
En effet, les principaux médias du pays se bornent, à leur habitude, à servir de caisse de résonnance au pouvoir, et il ne se passe pas de jour sans que Poutine n'apparaisse une ou plusieurs fois sur les petits écrans, que ce soit dans ses activités présidentielles ou comme chef de file de la campagne électorale de son parti, Russie Unie.
Seul en lice, ou presque...
Des autres partis en lice, un seul a un peu droit à la parole dans les médias : Russie Juste. Placée par les sondages derrière Russie Unie (créditée de près de 70 % d'intentions de vote), le Parti Communiste KPRF (15 %) et le LDPR du démagogue populiste Jirinovski (6 %), Russie Juste a été créée par Poutine pour ratisser " sur sa gauche ", tout en disant et répétant soutenir inconditionnellement Poutine !
Mais même sans cette comparse, Russie Unie est assurée de rafler l'immense majorité des sièges de députés. Quant aux autres partis, ils risquent, encore plus que les fois précédentes, d'être laminés.
Cela tient d'abord au fait que Poutine jouit d'une certaine popularité dans le pays. Il apparaît comme celui qui a mis fin à la pétaudière politique laissée par son prédécesseur, Boris Eltsine. C'est lui qui a mis au pas les " oligarques ", ces nouveaux milliardaires qui avaient profité de la faiblesse du pouvoir d'Eltsine pour faire main basse sur les joyaux de l'économie russe. De plus, même si l'inflation (plus de 10 %) rogne salaires et retraites, Poutine bénéficie de ce que son arrivée au Kremlin a coïncidé avec une relative embellie économique. La flambée des prix du gaz et du pétrole, dont la Russie est un des premiers producteurs mondiaux, a rempli les caisses de l'État, permettant de redonner quelques couleurs au pouvoir d'achat des masses populaires, qui était parti en chute libre pendant la décennie suivant la disparition de l'Union Soviétique.
La " dictature de la loi "... électorale
Mais deux précautions valent mieux qu'une et, au long de ses huit années de présidence, Poutine s'est efforcé de réduire toute opposition politique tant soit peu organisée.
Les gouverneurs des régions, les présidents des Républiques fédérées ne sont plus élus, mais désignés par le Kremlin, ce qui les prive d'une légitimité qu'ils pourraient opposer au pouvoir central.
Les partis qui avaient surgi lors de la fin de l'URSS ont presque tous été écartés de la Douma (l'Assemblée nationale) par des restrictions du droit électoral. À l'obligation pour tout parti voulant participer aux élections d'être " enregistré ", c'est-à-dire reconnu par les autorités, s'est ajoutée celle d'être déjà présent à la Douma. À défaut, il faut recueillir des millions de signatures de citoyens en un court laps de temps et dans un grand nombre de régions, chose quasi impossible à qui ne dispose pas des moyens de l'État. En outre, ce sont les commissions électorales nommées par le pouvoir qui décident, en fin de compte, d'accepter ou d'écarter tel ou tel candidat.
Comme une partie notable des électeurs, écoeurés, choisissait la case dite du " contre tous " sur leur bulletin électoral, Poutine a simplement supprimé cette possibilité d'émettre un vote de défiance visible à l'égard du pouvoir. Mieux, il a prévu que les votes de ceux qui mettraient le nom d'un parti non autorisé sur leur bulletin seraient, non pas considérés comme nuls, mais répartis entre les listes électorales au prorata de leurs scores. Le pouvoir s'annexe ainsi la majeure partie des voix des mécontents !
L'art d'organiser les scrutins...
Quant à l'organisation du scrutin lui-même, ces jours derniers, sur une des rares radios au ton contestataire, Écho de Moscou, des auditeurs racontaient comment, dans leur entreprise, on les avait menacés de licenciement s'ils ne votaient pas " bien ". D'autres expliquaient comment on contrôlait leur " loyauté " : avec leur portable, ils devaient photographier leur bulletin (l'électeur en reçoit un seul, et dans le bureau de vote) coché en faveur de Russie Unie pour le montrer ensuite à leur hiérarchie. Sans oublier le " carrousel " des bureaux de vote militaires, qui se trouvent dans les casernes, chaque soldat recevant un bulletin pré-coché par les officiers.
Dans de pareilles conditions, même le très nationaliste leader du PC russe, Ziouganov, est allé se plaindre d'" élections malhonnêtes " auprès... de l'ambassadeur américain à Moscou.
Poutine en a profité pour dénoncer, pêle-mêle, ses opposants comme des " chacals rôdant autour des ambassades occidentales ". Mais il en aurait fallu plus pour émouvoir les chancelleries. Ainsi, Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, commentant sur RTL les arrestations des manifestants anti-Poutine, a concédé que " cela ne donne pas une belle image de la Russie ", mais en s'indignant quand un journaliste a lâché le mot " dictature ".
C'est qu'il n'y a pas qu'à la Chine qu'on peut vendre des Airbus (ou des Boeing). Et puis, la Russie est le premier fournisseur de gaz de l'Europe. Et pourquoi se fâcher avec Poutine pour sa conception très particulière de la démocratie quand les grandes puissances ont trouvé dans sa Russie un partenaire précieux dans le maintien de leur ordre mondial ?