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Dans le monde
Haïti : Mascarade électorale sur fond d’insécurité et de misère
En évinçant par la force le président Aristide du pouvoir le 29février 2004, les dirigeants américains et français prétendaient avoir agi pour favoriser le retour de la démocratie en Haïti. Le Conseil Électoral Provisoire (CEP) devait se charger d'organiser rapidement des élections pour désigner le nouveau président, ainsi que les députés et les sénateurs devant siéger dans la nouvelle assemblée. Après avoir été repoussé quatre fois, le premier tour de ces élections s'est finalement déroulé le 7 février.
Les représentants des puissances tutélaires et de l'ONU qui tenaient à ce que ces élections se déroulent au plus vite n'ont pas attendu les résultats pour afficher leur satisfaction. À la différence de l'actuel duo Boniface-Latortue, désignés par les occupants et dont l'autorité ne dépasse guère les limites du palais présidentiel, le nouveau gouvernement pourra au moins se prévaloir d'une légitimité électorale.
Il n'en demeure pas moins qu'aucun des problèmes pesant sur Haïti n'est résolu pour autant. Que ce soit Préval -ex-Premier ministre d'Aristide donné favori par les sondages-, Manigat, Bazin ou un autre candidat, celui qui sera vainqueur ne changera rien au sort de la population, et de la population pauvre en particulier. Aucun des trente-deux candidats qui se sont mis sur les rangs pour la présidence n'a d'ailleurs fait des propositions concrètes pour améliorer si peu que ce soit les conditions de vie des travailleurs et des plus pauvres.
La situation n'a pourtant fait qu'empirer depuis 2004. Les bandes armées, dans lesquelles se mêlent les «chimères» qui prétendent se battre pour le retour d'Aristide, des ex-militaires reconvertis en hommes de main, des assassins, des trafiquants de drogue et des truands, tiennent la population en otage et font régner la terreur en toute impunité. Dans la capitale Port-au-Prince, les gangs armés ont fait de certains quartiers populaires, comme Bel Air et l'immense bidonville de Cité Soleil, des repaires dans lesquels ni la police, ni la Minustah -forces de sécurité déployées sous la bannière de l'ONU et disposant d'importants moyens militaires- ne cherchent à s'aventurer. Depuis quelque temps, ces bandes multiplient même les incursions dans des quartiers plus riches jusque-là épargnés, répandant les assassinats, incendies criminels, vols, viols et rackets. Activités très lucratives, les braquages de véhicules et les enlèvements contre rançon se développent, frappant jusque dans les rangs des nantis, des diplomates ou des organisations caritatives. Plusieurs patrons ont d'ailleurs pris prétexte de l'insécurité régnant sur les axes routiers desservant la principale zone industrielle -la route nationale n°1 et la route de l'aéroport- pour mettre la clé sous la porte.
Il n'en reste pas moins que c'est dans les classes populaires que la violence armée fait le plus grand nombre de victimes. Dans une récente conférence de presse, Médecins sans Frontières a souligné que, sur les 220 blessés par balles qu'ils avaient soignés durant le seul mois de décembre, la plupart venaient des quartiers pauvres et que plus de la moitié était des enfants, des femmes et des vieillards.
La population n'est pas seulement victime de cette insécurité qui perdure et s'aggrave, elle s'enfonce chaque jour un peu plus dans une extrême pauvreté, une situation qui est amplifiée par l'augmentation des produits de première nécessité, la déliquescence de l'économie et la ruine de la quasi-totalité des infrastructures publiques (santé, transports collectifs, réseaux d'eau et d'électricité, routes...).
Avec les élections qui viennent de se tenir, les grandes puissances ont peut-être réussi à organiser une mascarade électorale, une parodie de démocratie destinée surtout à légitimer leur intervention militaire pour contraindre Aristide à l'exil, mais elles n'ont réglé ni le problème de l'insécurité, ni aucun des problèmes qui se posent à la population.