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- Lutte ouvrière n°1958
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Février 1956 : Quand Guy Mollet s’inclinait devant les ultras d’Algérie
Fin janvier 1956, la victoire électorale des partis du Front républicain (essentiellement le PS et les radicaux socialistes, 30% des voix à eux deux) se traduisit par l'investiture à la tête du gouvernement du dirigeant du Parti Socialiste Guy Mollet. Sa désignation se fit avec le soutien du PCF (qui avait obtenu de son côté près de 26% des voix).
Depuis fin 1954, la France était engagée en Algérie dans ce qui était devenu une véritable guerre, pour empêcher les Algériens d'accéder à l'indépendance. Les partis du Front républicain avaient remporté les élections sur la promesse qu'ils allaient faire la paix en Algérie. Guy Mollet déclarait lors de son investiture à l'Assemblée nationale: «L'objectif de la France, la volonté du gouvernement, c'est avant tout de rétablir la paix... C'est maintenir et renforcer l'union indissoluble entre l'Algérie et la France métropolitaine. (...) C'est en même temps reconnaître et respecter la personnalité algérienne et réaliser l'égalité politique totale de tous les habitants d'Algérie.»
Ce langage pouvait laisser entendre que le gouvernement allait s'engager dans des concessions aux partisans de l'indépendance de l'Algérie. Mais l'Algérie était une colonie de peuplement, où vivaient un million d'Européens, privilégiés par rapport à la population indigène, inquiets pour leur avenir, et qui constituaient une base de masse possible pour tout ce que le pays comptait d'éléments réactionnaires. Toute perspective de négociation avec les nationalistes algériens était inadmissible pour ces gens-là. Leur hostilité vis-à-vis du nouveau gouvernement fut alimentée par sa décision de remplacer le gouverneur-général en poste à Alger, Jacques Soustelle (qui se classait parmi ceux qui ne voulaient rien céder au FLN), par le général Catroux, considéré comme un homme plus ouvert à la conciliation. Les tenants de l'Algérie française, ceux qu'on appelait «les ultras», ne tardèrent pas à se faire entendre.
Afin de présenter son programme pour sortir de cette guerre qu'il qualifiait d'«imbécile et sans issue», et qu'il résumait par le tryptique «cessez-le-feu, élections, négociations», Guy Mollet se rendit en Algérie le 6 février.
Lorsqu'il débarqua à Alger, la foule massée sur les trottoirs, les balcons, les toits, l'accueillit à coups de pierres, de détritus de toutes sortes, de tomates pourries. À plusieurs reprises, la police fut obligée de dégager le cortège officiel. Cet accueil, ponctué par les cris de «Catroux au poteau», décida ce dernier à renoncer immédiatement à ses nouvelles fonctions, donnant ainsi une première satisfaction aux ultras qui continuaient cependant à crier «Guy Mollet démission».
Guy Mollet ne démissionna pas. Mais il capitula. Il reçut les organisateurs de l'émeute, les représentants des organisations d'anciens combattants. «Homme de gauche, je n'ai pas hésité cependant à dire qu'il ne fallait diminuer en rien l'effort militaire», expliqua-t-il un peu plus tard. Il s'adressa aux Algériens en ces termes: «Vous aussi vous avez vos extrémistes. Il y a parmi vous une poignée de forcenés et de criminels qui prennent leurs directives hors d'Algérie et servent des intérêts qui n'ont rien d'algériens. Il y a aussi des hommes que la misère a rendu sensibles à leur propagande et qui se sont laissés égarer.»
Lorsque le 10 février le socialiste Robert Lacoste arriva à son tour en Algérie pour remplacer Catroux, il annonça que son objectif était de «maintenir, indissolubles, les liens entre la France et l'Algérie.» La majorité élue pour faire la «paix en Algérie» allait au contraire intensifier l'effort de guerre.
Pourtant, cette guerre était vraiment «sans issue», comme l'avait si bien dit Mollet pendant la campagne électorale. Les jours de l'empire colonial français étaient comptés. Mais pour mener une autre politique, il aurait fallu avoir le courage politique de l'imposer à l'état-major, dont le coeur penchait du côté des ultras.
Le gouvernement Guy Mollet, comme tous ceux qui lui succédèrent jusqu'à la fin de la Quatrième République, fut incapable de faire une autre politique que celle que voulait l'armée. Du détournement de l'avion marocain qui transportait les dirigeants du FLN, en octobre 1956, au bombardement du village tunisien de Sakhiet, en février 1958, ils couvrirent toutes les initiatives des généraux.
Il fallut l'arrivée au pouvoir d'un homme de droite, de Gaulle, pour imposer à l'extrême droite et à l'état-major une politique qui allait mener, en 1962, à l'indépendance de l'Algérie. Mais les reniements de la chambre de Front républicain avaient auparavant coûté six années de guerre supplémentaires, des milliers de morts parmi les soldats du contingent, et des centaines de milliers parmi la population algérienne.