DOM-TOM Polynésie : "Îles paradisiaques" et démocratie21/10/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/10/une1890.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

DOM-TOM Polynésie : "Îles paradisiaques" et démocratie

Plus de 20000 personnes ont manifesté à Papeete, le 16octobre, pour réclamer la dissolution de l'Assemblée territoriale, une manifestation très importante pour la Polynésie dite française, compte tenu de sa population, 240000 habitants dispersés sur 76 îles.

Le renversement, le 9 octobre, du gouvernement dirigé par l'indépendantiste Oscar Temaru reste en travers de la gorge de nombre de Polynésiens. D'autant plus que le tombeur de Temaru est Gaston Flosse, potentat local chiraquien qui a fait la pluie et le beau temps pendant vingt ans, dont les électeurs avaient cru se débarrasser en juin dernier. Avec son départ, ils pouvaient croire en avoir fini de subir le "système Flosse", un mélange de clientélisme, d'affairisme, de corruption et d'autoritarisme couvert par Paris. Cela, d'ailleurs, quelle que soit la couleur du gouvernement français, comme le reconnaît à sa façon Libération du 19 octobre quand il dit que "durant la cohabitation, Lionel Jospin ne voulait pas s'immiscer dans un dossier qu'il considérait comme faisant partie du domaine réservé du chef de l'État".

Dans ces îles que les agences de voyages pour gens fortunés disent "paradisiaques", un Polynésien sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté; il y a au moins 20% de chômeurs -deux fois plus qu'en France- et pas de caisse d'indemnisation du chômage. Flosse, lui, jonglait avec les milliards. Plusieurs fois mis en examen pour "faux et usage de faux", "prise illégale d'intérêt", "trafic d'influence" ou encore "complicité de tenue illégale d'une maison de jeu de hasard", à chaque fois il s'en est tiré par un non-lieu auquel ses protecteurs parisiens n'étaient sans doute pas étrangers.

Évidemment, quand les dockers de Tahiti se mettaient en grève, comme en 1987, ou qu'éclatait la colère de la jeunesse contre la reprise des essais nucléaires à Mururoa, comme en 1995, là, la mansuétude n'était plus de mise: l'État envoyait sa police. Car, statut d'autonomie ou pas, la Polynésie, dont le domaine maritime couvre un territoire vaste comme la moitié de l'Europe, est censée rester soumise au bon vouloir de la puissance coloniale française qui s'en est emparée au 19e siècle.

C'est tout cela qui fait que, malgré un statut d'autonomie concocté à Paris, et bien que Flosse ait avancé les élections en croyant prendre de court ses opposants, ces derniers l'ont emporté en juin. Avec 55% des voix, la liste des indépendantistes alliés aux autonomistes devançait largement celle du président sortant. Mais, le système électoral ayant été remanié pour avantager Flosse, il n'en allait pas de même en terme d'élus. À l'Assemblée territoriale, les partisans de Temaru obtinrent 29 sièges, ceux de Flosse 28.

Coïncidence troublante, au moment où la nouvelle majorité allait lancer ce qu'elle avait annoncé aux électeurs, un "audit au niveau de l'Assemblée, de la présidence, des ministères, de leurs établissements publics", un de ses élus se rallia à la motion de censure déposée par Flosse. Car, bien entendu, celui-ci ne voulait à aucun prix d'une enquête publique sur le fond (et les fonds) de son "système".

Mis en minorité, le gouvernement de Temaru tomba. Depuis, il réclame la tenue de nouvelles élections, revendication appuyée ici par le PS. Comme c'était prévisible, Chirac et Raffarin ont refusé. Pourtant, en juin, les électeurs se sont prononcés majoritairement en faveur des indépendantistes. Mais, une fois élus à l'Assemblée territoriale, ses membres font ce qu'ils veulent, et il s'est trouvé au moins un élu, investi d'un mandat clair par ses électeurs, pour lui préférer un autre mandat, ou un "argument" tout aussi convaincant, mais qui laisse moins de traces.

Pas plus en Polynésie qu'ailleurs, les électeurs n'ont la possibilité de révoquer leurs représentants qui, une fois élus, tournent leur veste. N'importe quel employeur peut, quand il le veut, renvoyer un employé qui ne lui convient plus. Mais la bourgeoisie ne peut accepter que son personnel politique ait des comptes à rendre à d'autres qu'à elle-même.

C'est ce que rappellent Chirac, Raffarin et la ministre de l'Outre-mer en refusant de nouvelles élections. Quant au PS, il avait envoyé quatre de ses députés en tête de la manifestation de Papeete. Jack Lang et Christian Paul, ex-ministre des DOM-TOM de Jospin, peuvent dénoncer, à juste titre, "des méthodes de république bananière" et "les grosses ficelles coloniales" du système Flosse-Chirac. Mais on n'a jamais entendu aucun élu du PS, du temps où Jospin était Premier ministre, s'insurger contre son gouvernement qui, porté aux affaires par l'électorat de gauche, menait la même politique que la droite en Polynésie contre la population et, en France, contre les travailleurs.

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