Vous voulez licencier ? Déposez donc le bilan !03/12/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/12/une1844.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Vous voulez licencier ? Déposez donc le bilan !

Depuis des années la longue litanie des plans sociaux et des dépôts de bilans se poursuit. Mais plans sociaux et dépôts de bilan, ce n'est pas exactement la même chose, même si au bout il y a dans les deux cas le chômage pour les salariés. Et selon l'université d'automne d'un des principaux cabinets conseil des comités d'entreprise, qui s'est tenue à la mi-novembre, les dépôts de bilan sont de plus en plus utilisés par les patrons... parce que bien plus intéressants pour eux.

Avec un plan social, une entreprise qui continue d'exister doit respecter une certaine procédure avant de licencier du personnel, et offrir, même si c'est la plupart du temps illusoire, des aides au reclassement des salariés. C'est relativement long, et cela permet quelque fois à la justice d'intervenir. Bref, pour les patrons ce ne sont pas les licenciements purs et simples, sans autre forme de procès, qu'ils souhaitent pouvoir utiliser quand ils estiment en avoir besoin.

En revanche s'il y a dépôt de bilan, dans ce cas le patron met la clé sous la porte, s'en va et n'est plus responsable de quoi que ce soit.

Le dépôt de bilan a tout de même un inconvénient de taille: le patron renonce du même coup à l'existence de la société. Celle-ci est «liquidée» et s'il reste un peu d'argent, les créanciers passent avant les salariés. On peut donc s'interroger: comment un patron peut-il préférer liquider sa société pour éviter un plan social?

Eh bien, un dépôt de bilan, cela se prépare! Ainsi dans le cas d'une société qui a créé des filiales, une des filiales peut être mise en faillite alors que les autres sont en pleine santé. Si les dirigeants ont pris la précaution de pomper l'argent de la société vouée à la faillite pour le transférer ailleurs, s'ils sont parvenus, comme on le voit parfois, à vendre fictivement à prix bradés puis à déménager les machines qui ont de la valeur, eh bien la société qui déposera son bilan ne sera plus qu'une coquille vide. Les actionnaires y perdront peut-être un peu en abandonnant des bâtiments, mais ils y gagneront en ne donnant quasiment rien, et parfois même rien du tout aux salariés qu'ils jettent à la rue.

Les exemples récents et connus de ce genre de manoeuvres ne sont pas des moindres: ce sont Métaleurop, Bata, et Air Lib, mais il en existe des centaines... Dans le cas de Métaleurop, filiale d'une société florissante, le dépôt de bilan a permis tout à la fois d'abandonner les salariés à leur sort, mais aussi d'évacuer un site archi-pollué qu'on laisse aux bons soins de la collectivité. C'est à propos de Métaleurop qu'un ministre avait parlé de «patrons voyous». Mais ce ne sont pas des cas isolés, et il existe des spécialistes de l'enseignement de ces procédés.

Depuis des années une activité parasite annexe s'est greffée sur la fabrication des chômeurs: celle des cabinets spécialisés dans l'aide aux patrons pour les conseiller sur la façon la plus économique de «traiter» leurs futurs chômeurs et leur dire dans quel cas ils doivent préférer un plan social et dans quel cas un dépôt de bilan.

Un avocat d'un de ces cabinets, interrogé par la Tribune (journal qui s'adresse aux milieux patronaux), a ainsi déclaré: «Il est dans bien des cas très difficile aujourd'hui de restructurer en profondeur des PME importantes sans déposer le bilan. (...) Ces entreprises ne disposent souvent pas des moyens financiers leur permettant de gérer une lourde restructuration. (...) Le dépôt de bilan ne permet évidemment pas de sauver autant de salariés que le plan social traditionnel. (...) Nous conseillons (à des groupes étrangers s'installant en France NDLR) de restructurer par voie de dépôt de bilan, même s'ils doivent assumer l'ensemble du passif social. La solution est plus simple, plus efficace, plus définitive.»

Lorsque des dirigeants d'entreprise prétendent que leurs affaires vont mal, qu'ils perdent de l'argent, cela peut être le signe avant-coureur d'une faillite fabriquée. C'est pourquoi il est indispensable que les travailleurs puissent contrôler la comptabilité des entreprises, et pas seulement de telle ou telle filiale, mais celle des groupes et des trusts tout entiers.

La lutte contre les licenciements passe nécessairement par ce contrôle. Quand on a affaire à un patronat menteur et voyou, on ne peut faire aucune confiance. Les travailleurs devront mettre le nez dans les comptes.

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