Côte-d’Ivoire : Nouvelles manifestations antifrançaises03/12/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/12/une1844.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Côte-d’Ivoire : Nouvelles manifestations antifrançaises

Des centaines de jeunes «patriotes» ivoiriens, fervents partisans du président Gbagbo, encadrés par des militaires des Forces armées nationales, ont violemment manifesté le 1er décembre devant la base militaire française d'Abidjan, pour exiger le départ des Français. Cette manifestation faisait suite à des incidents qui avaient opposé durant le week-end des soldats loyalistes à des soldats français du dispositif Licorne dans le centre du pays.

Mêlés à des jeunes miliciens, les soldats ivoiriens avaient tenté de forcer le dispositif militaire français déployé le long de la ligne de cessez-le-feu, pour pénétrer dans les territoires tenus par les rebelles et pour «libérer Bouaké», la deuxième ville du pays, qui échappe depuis quinze mois au contrôle gouvernemental. Parallèlement, dimanche 30 novembre, un groupe d'officiers a fait irruption dans les locaux de la télévision nationale pour exiger le départ dans les 48 heures des forces françaises d'interposition ainsi que de plusieurs chefs militaires, accusés d'avoir «humilié» l'armée ivoirienne.

Ce regain de tension peut avoir plusieurs explications. A commencer par celle d'une mise en scène orchestrée par Gbagbo lui-même. Celui-ci tenterait ainsi de faire pression sur le gouvernement français, afin qu'il s'engage plus ouvertement à ses côtés dans la reconquête des territoires passés sous le contrôle des rebelles depuis la tentative de coup d'État de septembre 2002. A plusieurs reprises dans le passé, Gbagbo a d'ailleurs eu recours à ce genre de manifestations pour faire la démonstration du soutien dont il bénéficie au sein de la population. Mais le but était aussi de donner libre cours à l'expression du patriotisme, voire à l'expression des sentiments anti-Français de ses partisans, au moment où son régime subit des pressions extérieures, et de la France en particulier, pour qu'il reprenne les négociations avec les représentants de l'opposition, interrompues depuis fin juin.

Il se peut également que Gbagbo ait été débordé par ses propres troupes. Depuis longtemps, il a fait son fonds de commerce d'une démagogie populiste, mêlant des propos nationalistes et xénophobes à des accents anticolonialistes et anti-impérialistes. Cela préparait d'autant plus facilement le terrain à des débordements anti-Français et anti-Blancs que ceux-ci ont la responsabilité du sous-développement et de la misère qui règnent dans le pays. D'autant que, si le dispositif militaire français a pu sauver le régime de la débâcle, en stoppant l'avancée des armées rebelles, nombreux sont les partisans de Gbagbo qui, avec lui, reprochent à la France de ne pas avoir suffisamment épaulé militairement le régime.

Dans une interview accordée au Figaro du 2 décembre, Gbagbo déclare d'ailleurs qu'«il aurait fallu dès le départ que nos alliés (français, NDLR) nous aident, avec la brutalité militaire, à stopper dans les quinze premiers jours une rébellion qui n'avait aucune base juridique.» Aujourd'hui que l'armée loyaliste a pu se réorganiser, entraîner de nouveaux soldats, recrutés pour l'essentiel parmi les «jeunes patriotes», et améliorer son équipement, grâce notamment aux armes livrées par la France, il est probable que certains militaires et miliciens se sentent assez forts pour vouloir reprendre la guerre contre les rebelles, qui contrôlent toujours la moitié du pays. Or cette volonté d'en découdre se heurte au dispositif Licorne et à ses 4000 soldats déployés entre les deux camps. Car, pour le moment, le gouvernement français semble avoir opté pour le retour à une paix négociée, plutôt que pour une résolution militaire de la crise.

Quant à l'intervention à la télévision d'officiers exigeant la démission de plusieurs responsables militaires, elle peut préparer le terrain à une épuration dans les sphères dirigeantes de l'armée ivoirienne. Il n'est pas exclu en effet que Gbagbo profite de la situation pour se débarrasser par exemple de Mathias Doué, le chef d'état-major des armées, que sa popularité désigne comme un rival potentiellement dangereux. L'attitude du gouvernement dans les prochains jours confirmera ou pas cette hypothèse.

Une chose est sûre, en tout cas: dans ce climat de chaos et de guerre civile, c'est la population pauvre qui, d'un côté comme de l'autre, est en première ligne. Elle en est la principale victime, payant ces rivalités entre bandes armées pro-gouvernementales et rebelles par une augmentation du chômage et un appauvrissement de plus en plus dramatique.

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