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Leur société
Laïcité, religion et oppression des femmes
Chirac vient de créer une commission chargée de lui faire des propositions sur "l'application du principe de laïcité dans la République (...) dans le monde du travail, les services publics et à l'école".
Ce souci de "laïcité", venant d'une droite gouvernementale qui a toujours soutenu l'école privée religieuse contre l'enseignement public et laïc, est trop contre nature pour ne pas être suspect. En fait, il s'inscrit dans un cadre plus général qui l'éclaire. Cela fait des mois que certains, à droite, mènent campagne pour instaurer des "cours d'histoire des religions" dans l'enseignement public. Et qu'y participent des gens proches du PS, tel Régis Debray, ne change rien à la manoeuvre. Car les enseignants traitent déjà de ces questions en cours d'histoire, de littérature, de langues ou de philosophie. Pourquoi donc inventer une "nouvelle matière", si ce n'est pour en confier l'enseignement à des "spécialistes" de la chose, qui pourraient bien être des religieux?
Ce ne sont pas de tels enseignants qui pourront montrer les intérêts réels qui se dissimulaient derrière les prétextes religieux des Croisades, ni rappeler ce que furent les tribunaux de l'Inquisition, les guerres de religion en Europe, ou des persécutions dont furent victimes de la part des autorités religieuses catholiques ou protestantes des hommes de science tels que Michel Servet, Giordano Bruno, Galilée, parmi d'autres. Et que diraient-ils de la prière où les juifs pieux remercient Dieu de ne pas les avoir faits femme, des préjugés juifs et musulmans concernant les interdits alimentaires? Comme cela existe aujourd'hui dans certains États américains, ce nouvel enseignement mettrait-il sur un pied d'égalité la théorie de l'évolution, et le mythe de la création que la science a depuis longtemps mis en pièces, mais qui est partagé par le christianisme, le judaïsme et l'islam?
Aligner l'État laïc sur les intégristes ?
Un siècle bientôt après l'adoption de la loi de 1905 séparant l'Église de l'État (bien imparfaitement, puisque l'entretien des lieux de culte incombe toujours aux collectivités locales) et faisant de la laïcité un des fondements de la République bourgeoise, ce serait, après le financement de l'enseignement confessionnel, entamé en 1951 avec les lois Marie et Barangé, et renforcé par la loi Debré de 1959, un nouveau recul de la laïcité. Bien sûr, ni la droite, ni ses supplétifs de gauche en ce domaine, ne présentent la chose ainsi. Ils laissent entendre qu'il s'agirait, comme dit Chirac, de faire pièce à "la montée des communautarismes" plus ou moins nourris de religiosité... mais en accordant plus de place aux religions, notamment dans l'enseignement.
En clair: pour couper l'herbe sous le pied des intégristes (ceux d'obédience islamiste étant montrés du doigt, alors qu'ils ne sont pas les seuls, loin de là), l'État laïc devrait leur faciliter la tâche!
Les fruits pourris de la régression sociale
Il ne s'agit évidemment pas de déclarer la guerre aux croyants. Si nous pensons qu'une humanité libérée de l'oppression sociale, et des préjugés qu'elle suscite en même temps qu'ils la justifient, n'aura plus besoin de chercher son salut dans le ciel, et qu'elle se passera fort bien de l'opium de la religion qui obscurcit au moins autant la conscience qu'il est censé apaiser les tourments du croyant, nous sommes évidemment pour le droit de quiconque de professer les idées philosophiques ou religieuses de son choix... et évidemment pour le droit des athées de combattre l'obscurantisme religieux.
Mais s'affirmer pour la "laïcité", c'est dire que la religion est une affaire privée dont l'État n'a pas à se mêler, et surtout pas en finançant la construction ou l'entretien de lieux de culte dont la charge devrait incomber à ceux qui les estiment nécessaires.
Le problème n'est pas d'interdire le prosélytisme à l'école, sous prétexte de neutralité. D'ailleurs, ceux qui proposent cette interdiction proposent aussi de bannir la politique des établissements scolaires, comme si la formation des jeunes ne devait pas aussi passer par la confrontation des idées.
Mais derrière les idées religieuses se cachent généralement des idées socialement et politiquement réactionnaires, concernant en particulier l'oppression des femmes.
Cela ne concerne évidemment pas que l'Islam. L'Église catholique ne fait pas exception.
Que les catholiques soient opposés, en ce qui les concerne, au divorce, à la contraception, à l'avortement, c'est leur droit. Mais quand l'Église entend imposer ses diktats sur ces sujets à toutes et à tous, comme elle l'a fait pendant des siècles, c'est intolérable. Et il ne faut pas oublier que tout près de nous, en Irlande, au Portugal, des femmes souffrent sous une législation répressive, voulue par l'Église.
Derrière le "voile islamique"...
Mais, bien sûr, l'aspect le plus visible, et le plus choquant, de cette offensive de l'intégrisme contre les femmes, c'est le "voile islamique". Cela frappe certaines femmes d'origine émigrée, y compris -et cela suffirait à balayer les dires de ceux qui prétendent que cela résulterait d'un choix individuel- des mineures soumises aux pressions de leur famille.
La chape qui pèse sur ces femmes n'est pas seulement vestimentaire, même si le voile en est tout un symbole. Car les intégristes ont cherché là, en maintes occasions, l'épreuve de force contre l'institution scolaire, trop porteuse d'ouverture pour les filles à leur goût, en poussant de toutes jeunes filles à refuser de retirer leur voile en classe ou en cours d'éducation physique. Il y a aussi désormais ces piscines aux heures d'ouverture réservées aux femmes dont les bigots prétendent que la "pudeur" serait offensée par des regards masculins. Et pourquoi pas, demain, des autobus, des wagons de métro ou de train séparant les hommes des femmes pour lesquelles des âmes pieuses exigeraient le "droit" au port du tchador les couvrant des pieds à la tête!
Tout cela fait partie des multiples formes d'une barbarie imposée aux femmes (mariage forcé; port du voile imposé; éducation séparée; interdiction de toute vie privée non agréée par le père, les frères, les garçons de la cité; agressions sexuelles; insultes....) que dénoncent bien des femmes d'origine immigrée.
Car, contrairement à ce que prétendent certaines bonnes âmes, qui se drapent dans un prétendu "respect de l'autre" et de la "diversité culturelle", la question n'est pas d'imposer "nos" coutumes à telle ou telle communauté qui a les siennes. Il s'agit d'accepter ou pas que, dans un pays dit civilisé, des femmes, souvent dès l'enfance, se voient imposer le joug de "traditions" qui nient leur dignité et tentent d'en faire des êtres de second ordre, soumis à qui appartiendrait, de naissance, à la race des seigneurs et maîtres.
... et le voile d'une certaine laïcité
Cet intégrisme, islamiste, chrétien ou juif, les femmes en sont toujours et partout les premières victimes. Mais, en déplaçant le problème sur le terrain de la laïcité "dans le monde du travail, les services publics et à l'école", le gouvernement soulève moins la question de la défense des femmes opprimées, qu'il ne la masque.
Car la moindre des choses serait d'aider ces femmes, et d'abord là où la puissance publique peut le plus facilement intervenir: par exemple, en faisant respecter la loi sur l'éducation obligatoire pour tous et, surtout, pour toutes. Quand, à propos du voile, des hommes politiques ou des journalistes feignent de se demander s'il faudrait ou pas interdire à l'école tous les signes de religiosité (croix, kippa, etc.), ils ne cherchent qu'à noyer le poisson. Ces signes-là ne vont certes pas dans le sens du progrès, ni de l'épanouissement d'une personnalité consciente. Mais s'agissant des jeunes filles voilées, il s'agit d'un déni de personnalité, d'une marque d'infériorisation imposée.
Et c'est là que la société se doit d'intervenir au nom du droit des femmes. Après tout, c'est au nom des "droits de l'Homme" que la justice -et c'est encore heureux!- s'oppose à des pratiques "religieuses" encore plus barbares, comme l'excision des fillettes.
Mais comme disait un spécialiste des manoeuvres politiciennes, quand on veut enterrer un problème, on crée une commission. Et celle que Chirac se propose de mettre en place semble bien issue de cette tradition-là.