Irak : La réponse des manifestants de Londres04/10/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/10/une1783.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Irak : La réponse des manifestants de Londres

Le 28 septembre, Londres a connu sa plus grande manifestation pacifiste depuis la guerre du Golfe et peut-être même celle du Vietnam -140 000 manifestants selon la police, plus de 300 000 selon les organisateurs. Fait inhabituel, une soixantaine de députés travaillistes avaient choisi de défier Blair en soutenant cette manifestation.

S'ils l'ont fait, c'est sans doute parce que c'est un terrain sur lequel ils ne risquent pas de remettre en cause la politique du gouvernement en faveur du monde des affaires. Mais c'est surtout pour aller à bon compte dans le sens d'une opinion publique dont les sondages montrent qu'elle est à plus de 75 % hostile à la rhétorique guerrière de Blair vis-à-vis de l'Irak.

Et pourtant Blair n'a pas lésiné sur les arguments pour tenter d'emporter l'assentiment de cette opinion publique. En témoigne ce fameux dossier de " preuves incontestables " du danger que Saddam Hussein représenterait pour le monde en général et la Grande-Bretagne en particulier, annoncé depuis des mois, et que Blair a fini par produire le 24 septembre, non sans une grande mise en scène médiatique. Mais quelles sont donc ces " preuves " ?

Supputations et déjà-vu

En fait, ce dossier de 50 pages en comporte très exactement 16 sur l'état actuel des armements irakiens - ou plus exactement, pourrait-on dire, sur les supputations des services secrets concernant ces armements. Car dans chaque paragraphe ou presque de ce prétendu état des lieux revient la même formule magique, " selon les services de renseignement ", comme si les suppositions des barbouzes de Londres, et sans doute de Washington (mais cela Blair se garde bien d'en parler car sa servilité vis-à-vis de Bush commence à agacer une fraction importante de l'opinion publique), étaient paroles d'Évangile !

Mais surtout, le plus frappant dans ces 16 pages de " preuves incontestables ", c'est qu'on y retrouve les mêmes poncifs qui servirent de prétexte aux frappes aériennes anglo-américaines tout au long des années 1990, y compris à la plus destructrice, l'opération " Renard du Désert " de 1998.

Ainsi parle-t-on, photos satellite à l'appui, pour faire plus sérieux sans doute, d'usines chimiques, en général construites sur les ruines d'installations bombardées en 1991 ou détruites par la suite par les inspecteurs de l'ONU. Le dossier reconnaît que leurs fabrications sont utiles pour l'industrie civile, en particulier pour remplacer les produits que l'Irak ne peut plus importer du fait du blocus anglo-américain. Mais, " selon les services de renseignement ", ces produits pourraient également être utilisés dans la fabrication d'armes chimiques et bactériologiques. Or, à ce compte, seul un pays ne disposant d'aucune industrie chimique ou pharmaceutique pourrait être lavé de tout soupçon de fabriquer de telles armes.

Il en va de même des armements proprement dits. Le dossier de Blair fait la liste de toute une série de missiles qui ne sont, d'après ce qu'il dit lui-même, qu'à l'état de projet, et cela depuis des années. On apprend même au passage que les Irakiens en seraient à démonter des missiles Scuds (dont la technologie, soviétique, remonte aux années 1950) pour en comprendre le fonctionnement. Autant dire que les projets de missiles irakiens à longue portée (allongée suffisamment par Blair pour leur permettre d'atteindre au moins un morceau du territoire de la Couronne - la base militaire britannique de Chypre) ne sont pas près d'aboutir !

Quand le menteur se trahit

On retrouve au passage une vieille histoire, datant de 1998, selon laquelle l'Irak disposerait d'un avion sans pilote, télécommandé, capable d'aller asperger n'importe quel pays avec des spores d'anthrax, y compris la Grande-Bretagne - histoire qui avait servi à Blair à l'époque à justifier la participation britannique dans les bombardements de l'opération " Renard du Désert ". Or son dossier de 2002 dit : " Selon les services de renseignement, l'Irak a tenté de modifier l'appareil d'entraînement L-29, pour pouvoir s'en servir comme d'un véhicule aérien sans pilote qui serait potentiellement capable de transporter des agents chimiques ou bactériologiques à grande distance ". Mais tenter ne veut pas dire réussir. D'autant qu'on voit mal un pays qui n'a pas la technologie pour produire des systèmes de guidage efficaces pour ses missiles (comme l'ont montré les Scuds lancés par l'Irak en 1991) être capable de piloter un avion à des milliers de kilomètres de distance. " Selon les services de renseignement ", Blair avait donc menti comme un cochon en 1998 ! Pourquoi en serait-il autrement aujourd'hui ?

Quant à la fameuse bombe atomique irakienne, le dossier de Blair n'a pas plus à en révéler sur son compte : des laboratoires qui " pourraient " viser à redémarrer un programme de fabrication d'uranium enrichi ; des " achats d'uranium en Afrique ", sans précision de lieu ou de quantité ; des importations de pièces qui " pourraient " servir à la fabrication de matériel destiné à un programme nucléaire, mais aussi... à bien d'autres choses tout à fait sans danger. Tout cela pour finir sur la conclusion déjà connue selon laquelle, si l'Irak disposait de combustible nucléaire enrichi, il lui serait sans doute possible de produire une bombe " en un ou deux ans " - ce que l'on peut dire probablement de n'importe quel pays, même pauvre (après tout, le Pakistan a bien une bombe atomique), disposant d'un savoir-faire scientifique minimum, d'autant que l'Irak, grâce entre autres à la France et à l'Allemagne, a disposé dans le passé d'installations nucléaires et de techniciens formés pour les faire fonctionner.

Voilà pour les " preuves irréfutables ", qui ne prouvent en fait qu'une chose : à savoir que, si l'Irak en avait les moyens industriels et techniques, elle disposerait peut-être du savoir-faire pour produire toutes ces " armes de destruction massive " qu'on l'accuse aujourd'hui d'avoir, mais sûrement pas des moyens logistiques de les utiliser contre l'Occident, voire même contre ses rivaux régionaux - en tout cas pas plus que des pays comme le Pakistan ou l'Iran, sans parler bien sûr d'Israël.

Comment fabriquer un epouvantail

Quant au reste du dossier de Blair, plus des deux tiers, tout ce qu'on y trouve est un rappel du passé, à commencer par la carrière de dictateur de Saddam Hussein, son rôle dans la guerre Iran-Irak, le caractère répressif et militariste de son régime, et sa résistance (qualifiée d'illégale bien sûr) aux diktats arbitraires et provocateurs de l'ONU - toutes choses qui sont largement connues.

Ce qu'on n'y trouve pas, en revanche, c'est le rôle qu'ont joué les grandes puissances dans le renforcement de cette dictature, ni la façon dont l'impérialisme s'en est servi pour maintenir son ordre dans la région et affaiblir le régime iranien issu du renversement du pilier de l'impérialisme qu'était le shah d'Iran, au prix d'un million de morts dans les deux camps. Pas plus qu'on n'y trouve trace du fait que, si Saddam Hussein a jamais eu des " armes de destruction massive " et acquis l'ambition de s'imposer comme leader régional, c'est aux leaders impérialistes qu'il le doit, grâce aux plus de 100 milliards de dollars d'armement que les trusts occidentaux lui ont vendu dans les années 1980.

Il faut croire que Blair était lui-même bien peu convaincu de son dossier, puisque son gouvernement s'est opposé à une motion de l'un des vétérans de la gauche travailliste, Tam Dalyell, réclamant un vote des députés sur l'opportunité d'une intervention militaire après ces prétendues " preuves incontestables ". Blair n'en a pas voulu et a pu l'éviter grâce à un code de procédure parlementaire qui laisse au gouvernement l'initiative de ce qui est voté et de ce qui ne l'est pas. Mais on ne peut qu'en déduire qu'il craint de laisser s'exprimer la moindre opposition, si minoritaire soit-elle.

En tout cas ce dossier ne fait que souligner à quel point toute cette rhétorique belliqueuse, du côté de Blair comme du côté de Bush, dont il s'agissait ici de légitimer la politique, n'est qu'un tissu de prétextes voire de mensonges avérés, destinés à faire de Saddam Hussein un épouvantail suffisamment crédible aux yeux de l'opinion publique pour fournir aux dirigeants occidentaux une couverture aux politiques réactionnaires qu'ils mènent contre leurs propres populations. Et ce qui est encore plus intolérable c'est que le peuple irakien risque de payer ces manoeuvres politiciennes de son sang.

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