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Argentine : Un plan de sauvetage... pour les banques
Le ministre argentin de l'Economie, Roberto Lavagna, a annoncé, samedi 1er juin, un plan censé assouplir les restrictions sur les retraits bancaires. Il s'agit, selon lui, de " répartir équitablement le poids de la crise ", une crise financière qui frappe l'économie argentine depuis maintenant quarante- sept mois que dure la récession. En pratique, il entend faire glisser une partie de ce fardeau financier des épaules des banquiers vers celles des particuliers, de manière à ménager... le système financier.
Le plan proposé ne permet toujours pas aux titulaires de comptes en banque, s'ils le souhaitent, de récupérer la totalité de l'argent qu'ils peuvent avoir en dépôt. Le plan, auquel le ministre propose aux Argentins d'adhérer de façon " volontaire ", prévoit de transformer en " certificats " ou en " bons " les avoirs des particuliers et ainsi de leur faire accepter l'étalement de la restitution de leur argent en dépôt. Les bons (bodens), par exemple, seront négociables à trois, cinq ou dix ans.
Les deux types de titres seront également négociables sur le marché boursier, mais les bodens permettront d'acheter des voitures neuves ou de payer des investissements immobiliers. Le gouvernement espère ainsi relancer deux secteurs particulièrement touchés par la récession : l'automobile et le bâtiment. Mais, avant même que ces bons se retrouvent sur le marché financier, il en est de leur valeur ce qu'il en est de la monnaie argentine, puisque la presse annonce d'ores et déjà que, pour l'achat d'une maison ou d'une voiture avec ces bons, les particuliers devront rajouter 25 % ou 30 % de leur valeur nominale, ce qui revient à les dévaluer.
C'est en proposant un système voisin, d'ailleurs inspiré par le Fonds Monétaire International, que le précédent ministre de l'Economie avait perdu son portefeuille, du fait de l'opposition du Parlement. Le nouveau plan est censé en avoir tenu compte et le ministre espère que son plan sera accepté.
Les particuliers doivent donc se préparer, soit à ne pas disposer de leurs avoirs, soit à en sacrifier une partie. En revanche, le nouveau plan est généreux avec les banquiers : il prévoit une compensation de près de 10 milliards de dollars, destinée à combler les pertes que les banques disent avoir subies au moment de la levée de la parité du peso et du dollar. Et cette compensation sera pour certaines banques tout bénéfice, car elles n'avaient pas attendu cet argent pour réduire leurs charges en licenciant leurs employés. Selon les syndicats argentins, 30 000 emplois sont menacés dans ce secteur !
Ces mesures viennent s'ajouter à une série d'autres, prises par le gouvernement argentin pour réduire les budgets de fonctionnement sociaux, au détriment donc de l'ensemble de la population. Le président de la République, Eduardo Duhalde, a fait récemment pression sur les gouverneurs des provinces pour qu'ils acceptent de réduire leurs dépenses de 60 %.
Ces restrictions budgétaires, de même que ce nouveau plan, ont d'ailleurs été inspirées par les dirigeants du Fonds Monétaire International pour purger le système financier argentin, aux frais de la population. Le gouvernement, en multipliant ces gestes de bonne volonté en direction de Washington, espère donc que le FMI va accorder les prêts qu'il lui refuse depuis plusieurs mois.
Dans son zèle à satisfaire le FMI, il a fait abroger une loi de 1974 qui permettait de poursuivre les dirigeants d'entreprise coupables de malversations financières. Selon les dirigeants nord-américains, cette loi relevait de " l'abus judiciaire " et même de la " subversion économique ". Poursuivre des dirigeants d'entreprise est un acte juridique inadmissible pour ces grands prêtres du monde capitaliste ! Quelque temps avant, c'était la loi sur les faillites qui avait été allégée dans un sens favorable au patronat.
L'Etat argentin, lui, a plus que jamais besoin d'argent frais. Au moment de la levée de cette parité 1 dollar = 1 peso, il fallait 1,4 peso pour acheter 1 dollar ; il faut maintenant pas loin de 4 pesos. Et la dévaluation serait encore plus forte si la banque centrale n'injectait pas chaque mois un milliard de dollars. A ce rythme, ses réserves actuelles seront épuisées dans dix mois.
La majorité de la population paye cette situation au prix fort. Les derniers recensements font état du fait qu'un Argentin sur deux est dans la misère, soit 18 millions sur une population de 36 millions d'habitants. Par ailleurs, un sur quatre est au chômage. Et des enquêtes sanitaires dessinent une véritable géographie de la faim, dans un pays qui était surnommé, il y a un siècle, " le grenier du monde " (et qui le reste largement, puisque des millions d'hectares sont dévolus à produire du soja, du maïs, du sucre, du riz, du tabac, des fruits, etc. destinés à l'exportation). Près de six millions d'enfants survivent dans la pauvreté et pas loin de trois millions sont en dessous du seuil de pauvreté, soit trois enfants argentins sur dix. La situation est particulièrement grave dans plusieurs provinces déshéritées du pays : Chaco, Corrientes, Formosa et Salta.
Mercredi 29 mai, des milliers de sans-emploi ont bloqué les principaux axes routiers du pays, obligeant le président à renouveler pour six mois les restrictions sur les licenciements. Dans plusieurs entreprises du pays, des travailleurs sont en lutte parfois depuis des mois. Il n'y a pas d'autre voie pour imposer que les intérêts de la population soient pris en compte et pour empêcher que les mesures du gouvernement servent exclusivement les classes possédantes.