Toulouse - A l'usine Grande-Paroisse (AZF) : Après l'explosion05/10/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/10/une-1733.gif.445x577_q85_box-0%2C11%2C166%2C227_crop_detail.jpg

Leur société

Toulouse - A l'usine Grande-Paroisse (AZF) : Après l'explosion

A l'usine AZF-Grande- Paroisse de Toulouse, l'explosion du bâtiment de stockage des nitrates déclassés a dévasté tous les bâtiments. Le souffle de l'explosion n'a épargné que les installations de plein air : chlore, ammoniac, urée. Les postés ont rapidement repris leur poste, comme le personnel en journée, pour mettre ces installations en sécurité et évacuer les produits. Pour certains ateliers cela prendra plusieurs semaines. De grandes tentes ont été installées pour remplacer la cantine, les locaux du CE et les bureaux. La police et les CRS sont présents en permanence aux entrées et organisent des rondes, doublés par des vigiles.

Certains blessés ont commencé à revenir, sur des béquilles ou avec des pansements encore visibles, pour revoir les copains. L'émotion est grande, car on pense à ceux qui ne reviendront pas, à ceux qui seront infirmes à vie, et chacun pense... à soi-même qui a eu beaucoup de chance.

Dans ce climat, certains articles de La Dépêche du Midi comme certains commentaires des journalistes de FR3, mettant en cause la sécurité du site, ont été très mal perçus par des ouvriers ; beaucoup se raccrochent à la thèse de l'acte de malveillance. Les deux manifestations de mardi 25 septembre et de samedi 29 septembre ont été vécues par bien des ouvriers comme des agressions. Tous ceux qui réclament la fermeture définitive du site, qui éditent des tee-shirts avec l'usine en photo barrée d'une grande croix rouge, sont soupçonnés non seulement de vouloir mettre les ouvriers au chômage alors qu'ils ont été les premières et principales victimes, mais aussi de les rendre responsables de l'explosion.

Les syndicats de l'usine vont aussi dans ce sens. Au nom de la conscience professionnelle du personnel (que personne ne met en cause) et de la défense de l'entreprise, les dirigeants syndicaux n'ont aucun mot contre la politique de TotalFinaElf. Ils oublient leurs revendications en matière d'effectifs, d'utilisation abusive de la sous-traitance. Ils oublient leurs protestations contre les pressions de la direction pour ne pas déclarer les accidents avec arrêt, contre les conditions de travail aggravées, contre la menace sur l'existence du service sécurité (les pompiers de l'usine) et affirment même que les règles de sécurité... étaient parfaitement respectées.

Au procureur de la République qui a évoqué des "négligences" à l'origine de la catastrophe, le directeur de l'usine dans une conférence de presse a répondu que "mes ouvriers n'ont commis aucune négligence" et un article de l'intersyndicale dans La Dépêche du Midi répondait dans le même sens que "les ouvriers d'AZF ne sont pas des voyous".

C'est dire que la direction joue sur du velours pour essayer de tirer son épingle du jeu. Elle profite du désarroi et de la peine des ouvriers comme de l'attitude des syndicats, pour développer l'idée qu'il faut faire corps, du directeur à l'ouvrier, pour s'opposer à la fatalité de l'explosion dont "nous" avons été les victimes, comme à tous ceux qui "nous" en font porter la responsabilité ou veulent la mort de l'outil de travail. Autrement dit, du patron à l'ouvrier, il faudrait défendre TotalFinaElf.

Le paternalisme du directeur l'a conduit à convoquer lundi 1er octobre une assemblée du personnel où, après avoir lu la longue liste des absents tués ou blessés, il a félicité l'ensemble du personnel pour son courage et sa conscience professionnelle, s'est levé et... a applaudi l'assistance.

Dans ce climat, peu de travailleurs s'opposent à cette unanimité. Une petite poignée est allée à la manifestation de samedi, les mêmes ou d'autres défendent un point de vue mettant en cause la responsabilité de TotalFinaElf, qu'il s'agisse d'un attentat ou d'un accident. Ils persistent à dire que le problème de fond, c'est la sécurité maximum dans le travail qui s'oppose au profit maximum des actionnaires, que les autorités ont aussi leur part de responsabilité en ayant laissé faire, que la catastrophe n'a pas effacé l'opposition irréductible entre les intérêts ouvriers et patronaux. Ils sont conscients qu'il ne faut pas laisser se créer un fossé entre les victimes des quartiers populaires et les victimes de l'usine, et qu'il faut au contraire, ensemble, exiger que TotalFinaElf paie.

Ce point de vue est aujourd'hui encore très minoritaire dans l'usine, mais le patron, par son attitude et par ses projets d'avenir, risque de modifier le climat ambiant. Ainsi la direction a fait savoir qu'elle maintiendrait les salaires... jusqu'à la fin de l'année, quelles que soient les circonstances. C'est la moindre des choses, mais la fin de l'année c'est dans trois mois. Et après ?

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