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Algérie : La révolte continue
Depuis plus de quarante jours que dure le mouvement de révolte de la jeunesse en Kabylie, ce sont sans doute près de cent jeunes qui ont péri sous les balles des forces de répression tandis que près de 2 000 manifestants auraient été blessés, parfois très grièvement.
L'attitude de la gendarmerie, en particulier, a mis le feu aux poudres parmi une jeunesse qui, dans les principales villes de Kabylie, comme Bejaïa et Tizi-Ouzou, mais aussi dans des villes moins importantes, n'accepte plus la misère croissante, le chômage, le manque de logements décents et l'absence totale d'espoir. Et depuis qu'à la mi-avril plusieurs jeunes ont été tués par les gendarmes, les émeutes se sont multipliées. La presse faisait état la semaine dernière d'un relatif apaisement, soulignant le fait que plusieurs manifestations s'étaient déroulées sans affrontements. Mais en réalité, selon divers témoignages, dans certains quartiers populaires les heurts sont quotidiens. Des groupes de jeunes s'en prennent, entre autres, aux locaux qui peuvent apparaître comme un symbole du pouvoir, ou s'en prennent aux policiers ou aux militaires à coups de pierres, tandis que ceux-ci n'hésitent pas à tirer sur eux et à ratisser les quartiers concernés en y semant la terreur.
La revendication d'un départ de la gendarmerie hors de la région semble largement reprise par les jeunes, mais aussi par les familles qui ont manifesté à plusieurs reprises leur révolte devant les méthodes de ce corps de répression. Et la fin de non-recevoir que Bouteflika oppose à ce mouvement de révolte de la jeunesse a contribué à attiser un peu plus la haine du pouvoir qui est largement répandue dans les couches populaires.
Depuis maintenant six semaines, le pouvoir en place à Alger est resté sur la réserve. Il a laissé faire les forces de répression, y compris la gendarmerie dont les exactions sont largement connues, sans réagir. Le président Bouteflika a tout juste parlé d'une commission d'enquête nationale ; mais personne n'est disposé à se soumettre à son arbitrage. Depuis, il a sans doute tablé sur un pourrissement du mouvement. Mais il semble qu'au contraire celui-ci se soit élargi et le pouvoir ne peut pas ne pas avoir noté la présence de plusieurs centaines de milliers de manifestants dans les rues de Tizi-Ouzou le 24 mai.
Dimanche 27 mai, Bouteflika a fait des déclarations renvoyant dos à dos les manifestants et les forces de répression. Puis, devant la multiplication des incidents meurtriers, il a annoncé que plusieurs centaines de gendarmes seraient déplacés sans qu'il soit précisé s'ils seraient remplacés par d'autres. Mais rien ne permet de penser que le régime s'apprête à renoncer à la manière forte que les militaires ont régulièrement employée contre les populations, en Kabylie ou dans d'autres régions.
La situation est aujourd'hui dramatique dans cette région. Le régime de Bouteflika sait qu'il n'a rien à offrir à la jeunesse en révolte contre un pouvoir qui symbolise l'injustice, la pauvreté et la répression. Les plans économiques destinés à attirer les investisseurs étrangers impliquent qu'on abaisse toujours plus le niveau de vie des couches les plus pauvres de la population. Le régime algérien, où les militaires sont les véritables maîtres du pouvoir, est une dictature dont les méthodes se sont sans doute encore durcies pendant les dix dernières années de guerre civile larvée entre le pouvoir et les islamistes.
Et les jeunes savent que le régime n'a pas d'autre avenir à leur proposer en Kabylie, comme dans les autres régions de l'Algérie, qu'une vie misérable, tandis qu'une infime minorité de riches continue de s'enrichir et de prospérer grâce à la manne du pouvoir. Et c'est vrai que cette situation est révoltante.
Il y a un peu plus de dix ans, ce sont les intégristes islamistes qui ont fait leur fonds de commerce du désespoir d'une partie importante de la jeunesse algérienne. Aujourd'hui, d'autres forces politiques peuvent tenter de canaliser ce mouvement, pour imposer des réformes politiques qui leur donneraient un plus grand rôle. Ou encore pour mettre en avant des revendications dites "identitaires" insistant sur les revendications particulières des Kabyles.
Mais ce qui est grave, c'est que, parmi les forces politiques qui semblent chercher à jouer un rôle, même limité, aucune - qu'il s'agisse du FFS ou du RCD - ne peut mériter, ni par son passé ni par ses objectifs politiques, la confiance des classes pauvres.