Israël : La sanglante fuite en avant de Sharon25/05/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/05/une-1715.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Israël : La sanglante fuite en avant de Sharon

Le secrétaire d'Etat américain Colin Powell vient d'apporter un soutien public au rapport Mitchell sur la situation dans les Territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967. Ce rapport exige "l'arrêt immédiat et sans conditions" des affrontements, en en faisant porter la principale responsabilité à Israël, du fait notamment de la poursuite de la colonisation des terres palestiniennes, à laquelle il demande que soit mis un terme.

Face à cette attitude nouvelle des Etats-Unis, qui avaient jusqu'à présent apporté un soutien constant à Israël, le Premier ministre de ce pays, Ariel Sharon, a réagi en multipliant les incursions armées en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Cela encore le mercredi 23 mai alors que la veille, à la télévision, Sharon parlait de "paix" et d'un "cessez-le-feu unilatéral", tout en refusant d'arrêter la colonisation et en accusant, une nouvelle fois, le leader de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, d'être l'instigateur de fait de la seconde Intifada et de la reprise des attentats en Israël même.

500 morts, au moins, pour la plupart des civils palestiniens : tel est le bilan, malheureusement provisoire, des affrontements entre la population et les forces d'occupation israéliennes en Palestine depuis fin septembre et le début de la seconde Intifada.

Ces dernières semaines, on a assisté à une escalade guerrière de la part de l'armée israélienne car il ne se passe pratiquement plus de jour sans que celle-ci bombarde des bâtiments dans les Territoires occupés ou que ses tanks s'ouvrent un chemin au canon dans un camp de réfugiés. Et cela, y compris dans les confettis de territoires qu'Israël avait dû, après la première Intifada, accepter de remettre à une Autorité palestinienne censée préfigurer un Etat indépendant à venir.

A chaque fois que l'armée israélienne intervient, ses porte-parole le justifient en invoquant des tirs venus d'un village, d'un quartier, d'un camp de réfugiés et visant une des nombreuses colonies que les gouvernements israéliens successifs ont encouragées à s'installer au coeur même des localités palestiniennes et sur les meilleures terres avoisinantes.

Depuis des années, malgré les accords internationaux qu'ils ont eux-mêmes signés (sans parler des multiples résolutions de l'ONU condamnant ces "implantations" israéliennes), les dirigeants israéliens, qu'ils soient de droite ou travaillistes, n'ont cessé de protéger militairement ces implantations, de les aider à s'agrandir, de percer des routes prenant sur des terres arabes pour les desservir, bref de promouvoir une politique de spoliation permanente des Palestiniens. Cela, alors même qu'ils prétendaient négocier des accords de paix et ne pas s'opposer à la création d'un Etat palestinien qui, dans de telles conditions, aurait, au mieux, ressemblé à un de ces bantoustans où l'Afrique du Sud raciste voulait parquer sa majorité noire.

C'est cela, et la misère croissante qui en a résulté, qui a provoqué la seconde Intifada. Et le gouvernement du travailliste Barak n'y ayant répondu que par l'emploi de la force et en intensifiant la colonisation des terres arabes, c'est cela qui explique que, malgré une répression croissante, l'Intifada ne faiblisse pas.

Depuis que Barak a dû céder la place à Sharon, celui-ci s'est montré digne de son passé de bourreau des camps de réfugiés de Sabra et de Chatila, lors de l'invasion du Liban par les troupes israéliennes. A chaque explosion de colère dans les Territoires occupés, à chaque attentat que provoque en Israël même le désespoir d'une frange de la population palestinienne, Sharon réplique désormais par des bombardements de plus en plus meurtriers.

L'emploi, contre un camp de réfugiés, de F16 livrés par les USA (des chasseurs-bombardiers parmi les plus "performants" au monde) a provoqué des protestations dans la presse israélienne.

Aux Etats-Unis, les dirigeants de ce pays eux-mêmes finissent par s'inquiéter d'une escalade guerrière de la part d'Israël qui risque de provoquer un embrasement encore plus grand de la Palestine et qui pourrait, par contagion, déstabiliser tout le Proche-Orient. Bien que les Etats arabes voisins soient acquis au maintien de "l'ordre" impéraliste et soient des dictatures féroces pour leurs propres peuples, ils pourraient eux-mêmes être contraints à des gestes qui, même symboliques comme en d'autres occasions, pourraient déboucher sur une guerre régionale.

Voilà pourquoi les dirigeants américains, que l'on n'entendait guère, si ce n'est pour trouver des excuses à leurs homologues israéliens, cherchent à rétablir un peu l'équilibre dans leurs déclarations. Oh, pas pour exiger qu'Israël se retire des Territoires occupés - les Etats-Unis, principaux bailleurs de fonds et d'armes d'Israël, auraient les moyens de l'y contraindre -, mais pour l'inciter à plus de "retenue" et à cesser d'agrandir des colonies qui sont des provocations pour la population palestinienne.

En Israël même, et c'est nouveau depuis le déclenchement de la seconde Intifada, plusieurs journaux se sont alarmés de l'escalade sanglante menée par Sharon. Après l'envoi de F16 contre des civils, des journaux ont titré : "Au prochain attentat, va-t-on lancer une bombe atomique ?" Que de tels propos inquiets émanent y compris de journalistes qui ont soutenu le retour de la droite au pouvoir, en dit long sur l'impasse à laquelle a conduit, aux yeux d'une fraction de l'opinion israélienne, la fuite en avant de leurs dirigeants.

Cette politique, pourtant, n'est pas le fait du seul Sharon. Elle est au contraire celle de tous les dirigeants de l'Etat hébreu depuis sa création. Certes, avec des inflexions plus ou moins dures selon les périodes et selon les résistances rencontrées, mais c'est une politique constante, fondée sur l'expansionnisme, l'expropriation et l'oppression de la population arabe qui vivait en Palestine avant la création d'Israël. Cette politique, dont la justification avancée par les sionistes était d'assurer un havre de sécurité aux Juifs victimes de l'antisémitisme, a en fait débouché sur la négation de ce qu'elle était censée assurer : depuis plus d'un demi-siècle, elle impose à la population juive d'Israël de vivre en un état de guerre, tantôt larvé tantôt ouvert, mais permanent, avec ses voisins.

"Un peuple qui en opprime un autre ne peut pas être un peuple libre" : Sharon, après Barak et tous ses prédécesseurs, démontre à sa façon, sanglante, toute la justesse de ce qu'affirmait, il y a un siècle et demi, un certain Karl Marx...

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