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- Lutte ouvrière n°1715
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Leur société
Bouygues et Lagardère appelés au chevet de L'Humanité : Un cadeau pas si gratuit qu'il y paraît
La direction de L'Humanité a présenté son plan de "sauvetage" du journal en ces termes : "Le péril était imminent. Accablée par des pertes de 50 millions de francs fin 2000, menacée par un déficit qui se creusait à un rythme de plus de 4 millions de francs par mois, L'Humanité était au bord du dépôt de bilan. Tout au bord..." Il prévoit un certain nombre de mesures d'économie dont des suppressions d'emplois, le recours à des emprunts, mais aussi l'ouverture du capital de L'Humanité à des capitaux venant, c'est désormais confirmé, d'entreprises privées, telles Hachette de Lagardère ou TF1, qui appartient à Bouygues, ainsi que de sociétés para-publiques comme les Caisses d'Epargne. Ces capitaux représenteront 20 % de l'ensemble, les 80 % restants appartiennent au PCF et à des associations de lecteurs et de salariés de L'Humanité.
Pour répondre à l'inquiétude, parfois ouvertement formulée par des militants, parfois qui ne s'exprime pas mais est réelle, les dirigeants de L'Humanité précisent que la part réservée aux investisseurs privés ne pourra pas augmenter. On veut bien les croire.
Mais le problème n'est pas là. Ces patrons privés, Bouygues ou Lagardère, ne sont pas n'importe lesquels. Au-delà même des empires industriels et financiers dont ils disposent, ils symbolisent l'accumulation des profits, par l'exploitation de dizaines de milliers de salariés. Ils incarnent ces grands prédateurs qui gagnent des milliards grâce aux commandes de l'Etat. Bouygues, entre autres dans le BTP, Lagardère, entre autres dans l'armement.
Certes, cela ne signifie pas que l'un et l'autre auraient "acheté" L'Humanité, qui n'est pas une entreprise suffisamment florissante pour leur assurer des profits. Ni qu'ils veulent y imposer directement une ligne éditoriale. Ils sont tout sauf naïfs, et ils ont bien d'autres canaux pour se faire entendre. Tout au plus, c'est pour eux une occasion de se faire de la publicité, histoire de pouvoir dire, comme d'autres mécènes : "Voyez comme nous avons l'esprit large puisque nous contribuons, nous les affreux exploiteurs, à aider à la survie d'un organe de presse qui nous critique, voire nous conteste".
C'est pourquoi, quoi qu'on en dise, et au-delà même de difficultés financières, sans doute réelles, de L'Humanité, l'entrée du grand patronat dans son capital n'est pas anodin ni sans conséquences.
Mais alors, comment sauver L'Humanité et pour en faire quoi, pour en faire quel outil, pour défendre quelle politique, quel avenir ?
Les difficultés de vente de L'Humanité sont évidemment en rapport avec la baisse d'influence du PCF qui se traduit par la baisse de son influence électorale, par la diminution du nombre de ses militants et par la baisse de l'activité de ceux qui le restent. Et cela ramène aux choix politiques de sa direction. En se mettant à la remorque du Parti Socialiste, en cautionnant sa politique antiouvrière, la direction du PCF a largement contribué à la démoralisation, à la dépolitisation d'une fraction importante, non seulement numériquement mais aussi en influence, en autorité morale et humaine, de son milieu, de ses lecteurs, de ses électeurs. Et ce déficit humain, s'il n'est pas la raison du déficit financier, en explique une bonne part.
Alors, il y a plusieurs façons de trouver l'argent qui manque dans les caisses de L'Humanité, et celle choisie par les dirigeants du PCF, en permettant à des adversaires du monde ouvrier de se mettre en valeur à bon compte, n'est pas si gratuite qu'ils le disent. Comme n'était pas sans conséquence, par exemple, la décision, qui avait choqué nombre de militants du PCF, et on les comprend, d'organiser un défilé de mode dans les locaux de son siège, place du Colonel-Fabien.
Il n'est pas sûr que le recours aux capitalistes privés soit efficace, ni pour la survie de L'Humanité en tant que journal, ni même pour assurer l'avenir politique de ceux qui, au PCF, veulent couper avec le passé du parti, dont L'Humanité est encore un héritage lointain. Mais c'est là leur problème. Pas celui des femmes et des hommes pour qui la lutte contre le capitalisme, y compris contre les Bouygues, Lagardère et compagnie, et le combat pour le communisme restent à l'ordre du jour.