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Dans le monde
Turquie : Ses scandales, sa corruption et ses injustices
L'actuel Premier ministre turc Ecevit, avant son arrivée au gouvernement en mai 1999, avait bénéficié d'une campagne de presse le présentant comme quelqu'un d'intègre ; par déduction on pouvait comprendre qu'avec lui, enfin, la Turquie connaîtrait un régime " propre " et plus juste ! Il suffit aujourd'hui d'un coup d'oeil sur les grands titres de la presse turque pour voir que la réalité est bien différente.
L'année 2000 n'a nullement été en dessous de l'année qui l'a précédée en matière de corruption. Tandis que des millions de travailleurs essaient de survivre avec des salaires qui équivalent à 1 000 à 2 000 francs français, des dizaines de milliards sont détournés des caisses de l'Etat, avec des méthodes variées, par des ex-ministres, des gens proches du pouvoir ou des hauts fonctionnaires. Le quotidien Milliyet annonçait ainsi le 8 janvier dernier qu'après le ministère des Finances et des banques, le Secrétariat des Douanes poursuit Süren, homme d'affaires et président du football club Galatasaray, sous l'accusation d'" escroquerie en bande organisée ".
Le même journal explique aussi que deux hommes d'affaires ont escroqué l'Etat en encaissant les subventions pour des exportations fantômes d'un montant total de 1,7 milliard de dollars (12 milliards de francs). Dans la liste des personnes impliquées se trouvent l'ex-ministre et homme d'affaires Cavit Çaglar, poulain de l'ex-président de la République Demirel, Murat Demirel qui est un cousin de ce même Demirel, l'homme d'affaires Hayyam Garipoglu et quelques autres.
Le 14 janvier, la presse révélait aussi que cinq dirigeants parmi les plus hauts placés de TEAS (l'EDF turque), parmi lesquels un ancien ministre d'Etat, étaient inculpés pour cause de corruption. On leur reproche entre autres l'équivalent de 800 millions de dollars (5,6 milliards de francs) de détournements, rien que lors de l'attribution de la construction d'une centrale électrique !
Le scandale des banques
Huit banques se sont déclarées en faillite. Parmi elles Interbank, qui appartient à Cavit Çaglar, Egebank qui appartient à Murat Demirel, Sümerbank dont les caisses avaient été remplies par les deniers de l'Etat avant d'être privatisée sous prétexte que l'Etat la gérait mal et qui appartient aujourd'hui à Hayyam Garipoglu (toutes citées dans le scandale précédent), ainsi que Bank Ekspres et Yurtbank. En fait les possesseurs de ces banques, avec la complicité d'hommes d'affaires véreux et de hauts cadres de l'Etat, ont vidé les caisses de leurs propres banques pour se déclarer en faillite !
L'Etat, par le biais du ministère des Finances, est alors intervenu en se portant garant, disant vouloir éviter " une grave crise économique ". Il a remboursé 56, et même selon certains 70 milliards de francs. Ces escrocs, très liés au pouvoir, ont donc volé les économies de plusieurs centaines de milliers de personnes et l'Etat, avec l'argent des contribuables, a remboursé.
Une amnistie générale ayant été décidée " pour vider les prisons ", il est question que quelques-uns de ces " hommes d'affaires " et de leurs complices, qui se trouvent en prison ou en fuite dans un exil doré, puissent bénéficier de la loi d'amnistie.
Les scandales et la corruption
Il faudrait des pages pour dresser une liste des scandales. Mais deux exemples en donnent une petite idée.
Le 6 mai dernier le quotidien Radikal (centre gauche) annonçait que le procureur général du DGM (Cour de Sûreté d'Etat) se trouvait dans la voiture accidentée de l'" homme d'affaires " Melik Giray, un parrain de la mafia, fournisseur de certaines prisons. Ce Melik avait été victime d'un accident mortel près d'Ankara. Et si le procureur général au contraire de Melik est sorti de l'accident avec quelques fractures, le scandale a obligé l'Etat à le révoquer.
La situation de la classe ouvrière
Pour l'année 2000 le gouvernement avait " prévu " de ramener l'inflation à moins de 25 % l'an, et donc fixé d'avance les augmentations de salaires à 25 %. Mais les chiffres officiels constatent que l'inflation est de 40 % et qu'en fait la hausse des prix concernant directement le coût de la vie de la population est de plus de 54 %.
Les chiffres mettent en évidence la diminution de la part des salariés dans le revenu national et la diminution de leur pouvoir d'achat : en 1980 on pouvait acheter 1 473 pains avec le salaire minimum, et 682 en 2000 ; en 1980 on pouvait acheter avec ce même salaire 105 kg de viande, mais plus que 19,5 en 2000 ; en 1980, 410 kg de riz et 123,5 en 2000 ; en 1980, 439 kg de haricots secs (aliment de base) et seulement 114 en 2000, etc.
En fait les gouvernements qui ont exercé le pouvoir depuis le coup d'Etat de 1980 ont oeuvré dans le cadre tracé par les généraux pour " mater " la classe ouvrière qui avait, d'après eux, pesé trop dans le pays. Les travailleurs avaient pu arrêter cette offensive au moins provisoirement, avec les mouvements du printemps 1989 et la grève des mineurs de 1991. Mais depuis, la bourgeoisie turque avec ses généraux et ses plans de " redressement " élaborés avec les experts du FMI a repris l'offensive. Une partie du secteur public a été privatisée : 160 entreprises au total depuis 1986. 55 % du personnel de ces entreprises ont été licenciés. Par exemple les 19 cimenteries privatisées (dont la majorité ont été achetées par des multinationales françaises) ont licencié 3 028 personnes sur un total de 5 400. Une partie de l'argent ainsi rapporté à l'Etat a servi à payer une partie de la dette qui est de l'ordre de 111 milliards de dollars (la part du revenu national qui est consacré au paiement de la dette serait de l'ordre de 50 % !), mais une autre a servi à subventionner les " hommes d'affaires " impliqués dans les scandales, et d'autres " pas pris ".
On voit aujourd'hui comment le gouvernement Ecevit " ami du peuple ", comme ceux qui l'ont précédé, a contribué à l'appauvrissement de la classe ouvrière et de la population pauvre. Les patrons turcs et le gouvernement à leur service pensent qu'ils peuvent tout se permettre contre la classe ouvrière. Mais il y a là largement de quoi faire déborder le vase.