Privatisations : Gauche-droite, cherchez la différence!05/01/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/01/une-1695.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Privatisations : Gauche-droite, cherchez la différence!

Le journal Le Monde a interviewé plusieurs dirigeants politiques de droite ou de gauche sur leur programme en matière de privatisations. Si on avait interverti par jeu le nom des interviewés et leurs réponses, bien malin qui aurait pu rendre à leur auteur la réponse qui lui appartenait, tant sur le fond, la position des uns et des autres est similaire. Qui déclare, par exemple, à propos des formes de maîtrise publique, qu'elles "doivent tourner le dos à l'étatisme" ? Alain Madelin, Denis Kessler, vice-président du Medef, ou encore Nicolas Sarkozy ? Non... Robert Hue. A propos du statut des services publics, qui déclare : "Même avec des missions de service public, ces entreprises peuvent fonctionner avec des capitaux privés" ? et qui d'autre "Une entreprise investie de missions de service public peut, sans tabou, nouer des partenariats industriels qui se traduisent par une alliance capitalistique" ? La première est d'Alain Madelin, président de Démocratie Libérale, la deuxième de Laurent Fabius, cherchez la différence. Qui s'oppose à la privatisation totale ou partielle de Gaz de France ? Aucun.

Bien entendu, les dirigeants socialistes n'utilisent jamais le terme de "privatisation" mais celui "d'ouverture du capital", "d'alliances ou de partenariats industriels".

Si Laurent Fabius critique les privatisations de la droite, menées entre 1993 et 1997, ce n'est en aucun cas du point de vue des consommateurs, des salariés ou de la société en général mais du point de vue des nouveaux actionnaires. Avec la droite, "les noyaux durs (principaux actionnaires) se sont dispersés au premier vent", d'autres entreprises privatisées "se sont engagées dans des bagarres boursières plutôt hasardeuses", tandis qu'avec le gouvernement actuel, "nos entreprises sont sorties des turbulences, elles ont un actionnariat stable, une stratégie claire et des partenariats solides". Merci pour les actionnaires, pas un mot sur les salariés qui ont subi les plans de réductions d'effectifs de la plupart des "regroupements de force et de la stratégie conquérante" que vante le ministre des Finances.

Mais au-delà des mots, la similitude entre la politique de la droite et celle de la gauche est dans les faits : Jospin a plus privatisé que Juppé et Balladur réunis. Au total, depuis 1993, 1 100 entreprises, dont les filiales, ont été privatisées. Sur les 1 800 premières entreprises industrielles, la part du chiffre d'affaires réalisé par des entreprises publiques est passée de 40 % en 1991 à 20 % en 1999. Balladur et Juppé ont vendu pour 140 milliards de francs, Jospin pour 240 milliards. Le gouvernement de gauche a suivi à la lettre le programme de privatisations établi en 1993 par Balladur. Les entreprises promises à la privatisation par Balladur en 1993 sont passées au privé (BNP, Rhône-Poulenc, Elf, UAP, la Seita, Usinor, Pechiney, la BFCE, les AGF, la CGM, Renault et Bull) sous la droite et (CIC, Thomson-CSF et Multimédia, le GAN, Eramet, CNP Assurances, Crédit Lyonnais et Aérospatiale) sous la gauche. Il ne reste que quelques entreprises la Snecma, la Caisse centrale de réassurance et la Banque Hervet pour boucler le programme initial. Le mérite de Jospin aux yeux du patronat est d'avoir plus privatisé que n'importe quel autre gouvernement, et sans susciter de réaction ou de polémique.

Aujourd'hui, ce sont les "services publics" qui sont dans la ligne de mire.

Alors que le programme électoral du Parti Socialiste de 1997 promettait qu'en cas de victoire, il refuserait "la privatisation des services publics, et leur transformation en objet de profits", France Télécom comme Air France ont été privatisés, déjà partiellement quelque temps plus tard.

L'ouverture prochaine du capital de Gaz de France est prévue par Laurent Fabius. Le changement de statut de La Poste est envisagé pour l'après-2002, les cas d'EDF et de la SNCF sont maintenant aussi publiquement discutés. En fait, dans la plupart des pays européens, la privatisation de pans entiers de services publics est en marche, que ce soit dans le domaine des transports, des communications de l'énergie ou de la santé. L'opportunité d'une privatisation ou de son rythme ne dépend pas de la couleur politique des gouvernements : les gouvernements de droite ou de gauche y sont entièrement favorables à condition que les capitalistes y trouvent leur compte et que cela fasse aussi, à l'occasion, rentrer de l'argent à bon compte dans les caisses de l'Etat.

De Thomson, que Juppé voulait offrir pour 1 franc symbolique à Daewoo, à la partie française d'Airbus offerte quasiment sans mise de fonds propres à Lagardère, jusqu'aux compagnies maritimes, les privatisations des secteurs industriels ou bancaires sont l'occasion de faire cadeau de secteurs industriels rentables aux grands capitalistes. Là, ce qui menace les travailleurs, ce sont les licenciements dans les secteurs que leurs nouveaux patrons ne trouveraient pas encore assez rentables.

Mais dans le cas des entreprises qui remplissent une mission de service public, c'est toute la population, et d'abord la population travailleuse, qui se trouve menacée. Quand ces entreprises, SNCF, EDF, etc., ont été nationalisées, c'est parce que le secteur privé ne voulait plus en assurer la charge et que l'Etat a bien dû se substituer à celles-ci. Pour l'Etat, répondre à l'intérêt général du service public en administrant ces entreprises était bien sûr d'abord prendre en compte l'intérêt général des patrons. Mais il en est venu du coup à prendre en charge, même de façon très imparfaite, des besoins collectifs des populations qui ne répondaient à aucun critère de rentabilité directe. Que ce soit amener l'électricité et le téléphone partout, maintenir partiellement un réseau ferré secondaire que des capitalistes motivés par la seule rentabilité à tout prix auraient vite fait de juger non rentable et donc de supprimer.

Bien sûr, l'Etat-patron administre lui aussi ces secteurs suivant des critères de rentabilité, ferme des lignes SNCF, des bureaux de poste, diminue les effectifs dans les hôpitaux et les transports. Mais confier des services publics au privé, c'est faire que le seul critère de sélection devienne celui du profit maximum et immédiat. C'est aboutir à ce que les activités et les investissements vitaux mais jugés non rentables financièrement soient abandonnés, avec des conséquences dramatiques pour les usagers, à l'exemple de ce qui se passe aujourd'hui en Grande-Bretagne pour les chemins de fer, ou soient portés à des prix prohibitifs pour les classes populaires.

Les politiciens qui justifient les privatisations argumentent que l'Etat peut "encadrer", "définir les missions de service public et une réglementation", etc. Outre l'aveu que le profit capitaliste tire dans un sens et l'intérêt de la société dans l'autre, c'est un mensonge qui a pour but, de la part des politiciens de la gauche gouvernementale, de faire avaler la pilule à leur milieu et aux travailleurs, qui savent bien que les patrons n'auront pas plus demain qu'aujourd'hui ou hier de sollicitude pour les besoins collectifs de la population.

La privatisation des services publics, du moins de ce qui en reste, représente une régression dans la société capitaliste. Les partis socialistes et leurs alliés au gouvernement accompagnent et même organisent sans état d'âme ce recul dans bon nombre de pays. C'est une preuve de plus qu'ils n'ont plus rien à voir avec les idées pour lesquelles ils ont été créés.

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