Tribune - Sida : Le droit de vie et de mort des trusts pharmaceutiques08/12/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/12/une-1691.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Tribune - Sida : Le droit de vie et de mort des trusts pharmaceutiques

Près de vingt ans après son apparition, l'épidémie de SIDA continue de progresser. Plus de 20 millions de morts; 36 millions de malades aujourd'hui, ce qui dépasse de 50% les prévisions de 1991 de l'OMS.

Sur ces 36 millions de malades, 25,3 vivent en Afrique, 5,8 en Asie du Sud et du sud-est. 9/10èmes des malades sont au sud, les 9/10èmes des traitements au nord. 92% de la population mondiale bénéficient de 8% des dépenses totales contre le SIDA. C'est notamment le cas pour les trithérapies, qui certes ne «guérissent» pas de la maladie, mais qui ont tout de même abaissé, en occident, de 60% le taux de mortalité des malades.

Le cynisme des trusts pharmaceutiques...

Aux Etats-Unis, une trithérapie coûte annuellement 15 000 dollars, alors que le revenu annuel moyen ne dépasse pas quelques milliers de francs en Afrique. Pour les grands trusts pharmaceutiques, et d'abord les cinq plus grands laboratoires qui détiennent les brevets sur les molécules des trithérapies, il est hors de question de les vendre à bas prix, encore moins de les donner. Cité par Le Monde Diplomatique de janvier 2000, le directeur général du syndicat national (français) de l'industrie pharmaceutique, Bernard Lemoine, s'explique ainsi : «Je ne vois pas pourquoi on exigerait de l'industrie pharmaceutique des efforts spécifiques. Personne ne demande à Renault de donner des voitures à ceux qui n'en ont pas !» Que les pauvres laissent prospérer les profits, et aillent donc crever en silence.

Et pas seulement du Sida. Sur 1223 molécules mises sur le marché entre 1975 et 1997, seules 13 sont spécifiquement consacrées aux maladies tropicales. Et encore : cinq d'entre elles sont issues de la recherche... vétérinaire.

La crapulerie des trusts pharmaceutiques ne s'arrête pas là. Certains pays sous-développés, comme le Brésil, l'Inde et plus récemment l'Afrique du sud, ont entrepris de produire eux-mêmes les molécules nécessaires aux trithérapies, pour un prix dix fois moindre de celui proposé par les grands labos. Ce n'est d'ailleurs même pas un strict problème de santé pour ces Etats : le Brésil, par exemple, en traitant ainsi 90 000 malades, a finalement économisé 472 millions de dollars, en évitant des infections dites opportunistes.

Les trusts ont aussitôt crié au scandale ! Au viol de leurs brevets (valables vingt ans) et de la sacro-sainte propriété privée, baptisée ici «intellectuelle» ! Et multiplié les procès.

... Les bonnes paroles et les mensonges d'Etat

Certes, certains gouvernements du tiers-monde (plutôt craintifs quand même) et de nombreuses associations de lutte contre le fléau ont protesté, comme Act Up qui vient de manifester à Paris pour dénoncer les «morts sous brevets». En juillet dernier, le «congrès mondial du SIDA» de Durban, en Afrique du sud, a montré du doigt la politique des trusts. Des chefs d'Etat du «G8» (Chirac en tête !) ont «demandé» une conférence pour «l'accès aux soins des pays pauvres». Le président de la très officielle «ONU-SIDA» demande un «pacte entre les industriels et les pays concernés», dans l'intérêt de tous, prétend-il...

Pour sauvegarder leur image, les trusts ont donc promis de donner quelques molécules et de négocier des «ristournes» avec chaque Etat. Mensonges et belles paroles. Six mois plus tard, le Sénégal a obtenu une trithérapie à un coût réduit de 70% pour... 900 malades. C'est tout. A l'échelle du monde.

La solution est pourtant à portée de main. Il suffirait de déchirer ces brevets au nom desquels on laisse mourir sans soins des dizaines de millions d'êtres humains; que les pays du tiers monde industrialisent eux-mêmes les molécules, et que l'on confisque par la même occasion le droit de nuisance des trusts. Selon les experts, il ne faudrait que quelques milliards de dollars pour introduire les trithérapies en Afrique, lutter contre les infections opportunistes, généraliser la prévention et prendre en charge les orphelins (à comparer aux 400 milliards de dollars que pesait l'industrie pharmaceutique mondiale en 1999). Mais ce serait sans doute déjà un petit bout de communisme...

Les grands Etats impérialistes font en réalité le contraire. Celui des Etats- Unis, par exemple, a encore montré récemment sa pleine solidarité avec ses trusts. En 1998, en Thaïlande, deux firmes locales ont mis sur le marché un traitement contre la méningite à cryptocoque, une maladie mortelle liée au SIDA, pour trois fois moins cher que le produit équivalent du laboratoire américain Pfizer. Alerté par celui-ci, le gouvernement américain a menacé la Thaïlande de taxer ses exportations. Les produits thaïlandais ont finalement été interdits à la vente. De même, quand en 1997 l'Afrique du sud a promulgué une loi autorisant la fabrication des molécules pour les trithérapies, en ignorant les brevets déposés, le vice-président Al Gore en personne a multiplié les chantages à la dette et aux importations pour faire reculer le gouvernement sud- africain.

Le virus HIV n'est pas le seul ennemi de l'humanité dans cette histoire. Le capitalisme est lui-même un virus immuno-déficient qui anéantit la capacité de la majeure partie de l'humanité à se battre contre les maladies.

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