Mexique : Les électeurs cassent le PRI14/07/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/07/une-1670.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Mexique : Les électeurs cassent le PRI

En remportant, dimanche 2 juillet, l'élection présidentielle mexicaine, Vicente Fox, leader du PAN (Parti d'Action Nationale, parti de droite proche du monde des affaires) a mis fin à 71 années de règne sans partage du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), qui se disait héritier de la révolution qui, par vagues successives, secoua le Mexique de 1910 à 1940.

Le PAN l'emporte en effet avec 43 % des voix devant le candidat du PRI, Labastida (35,5 % des voix) et le Parti de la Révolution Démocratique (PRD, parti de centre-gauche de Cuauhtemec Cardenas), qui obtient 16,5 % des voix.

Le PRI a régné longtemps en entretenant une relation populiste et démagogique avec les ouvriers et les paysans. Mais en donnant le signal de la libéralisation de l'économie, pour l'ouvrir à l'économie mondiale, il a en partie liquidé lui-même les mécanismes qui avaient contribué dans le passé à le faire bénéficier des voix populaires.

Le Mexique est loin d'être remis de ce qu'on a appelé l'effet " tequila ", c'est-à-dire la chute de l'économie mexicaine entraînée par la spéculation financière qui avait fait chuter de 6,2 % le produit intérieur brut en 1995. Sur 97 millions d'habitants on dénombre en effet 43 millions de pauvres, selon les critères des Nations Unies. La politique menée par l'Etat mexicain pour sortir de cette crise financière a été dévastatrice. Elle a entraîné l'accroissement du chômage (il n'est officiellement que de 3 à 4 % mais ne recense ni les millions de personnes survivant avec un emploi précaire, ni les paysans qui émigrent entre semailles et récoltes). En 1995, des faillites d'entreprises avaient détruit 800 000 emplois. Et les emplois créés depuis ont été notoirement insuffisants, représentant 40 % des emplois nécessaires pour absorber les nouveaux venus sur le marché du travail.

Parallèlement, les salaires ont été rognés par l'inflation : celle-ci a amputé de 25 % le pouvoir d'achat en cinq ans. Les salaires réels ont chuté de l'indice 100 en 1994 à l'indice 75 en 1999. 40 % des Mexicains survivent avec un salaire minimum (et 21 % avec deux). Celui-ci est notoirement insuffisant pour couvrir les besoins élémentaires ; il existe aussi une disparité régionale. Si dans le nord du pays, le salaire minimum ne concerne que 15,6 % de l'ensemble des salariés, il en intéresse 60 % dans les Etats du sud. En 1995, cette aggravation des conditions d'existence avait entraîné une vague de grèves, mais celle-ci est retombée. Et, tandis que le PRI continuait de démanteler le système des syndicats verticaux par l'intermédiaire desquels il avait longtemps établi sa loi, celui-ci a été plus souvent remplacé par des syndicats-maison contrôlés par les patrons que par des syndicats lutte de classe, la peur du chômage jouant à plein dans cette transformation.

En 1997, le PRI a lancé un programme de compensation sociale, composé principalement d'allocations financières versées aux mères pour assurer la nourriture de la famille, les soins aux enfants et le maintien à l'école. Actuellement, 56,7 % des Mexicains souffrent de malnutrition (contre 47,6 % cinq ans auparavant).

Le PRI, ayant supprimé plusieurs verrous qui protégeaient un peu l'économie mexicaine des turbulences de l'économie mondiale, a engendré un appauvrissement et une régression sociale qu'il ne pouvait que finir par payer sur le plan électoral. N'a-t-il pas été jusqu'à entamer, en 1992, la liquidation du système de l'ejido, cette communauté agraire, fruit de la Révolution mexicaine, qui permettait aux paysans de disposer de l'usufruit de la terre. Un changement constitutionnel a en effet permis qu'il devienne plus facile à des entrepreneurs capitalistes, en quête de terres, de pouvoir conclure un marché avec la communauté agraire, bien sûr à son détriment. Il reste encore quelques garde-fous. L'Etat mexicain hésite encore à privatiser l'ensemble du secteur pétrolier mais, sans mobilisation populaire, ce ne peut être qu'un sursis.

Vers qui pouvaient se tourner les masses mexicaines en quête d'un changement ? Ces dernières années, elles ont cherché d'abord du côté du PRD, mais celui-ci, dont la plupart des cadres sont issus du PRI, est souvent apparu comme un PRI-bis. Sa gestion de Mexico, ville gigantesque livrée au capitalisme sauvage, n'a pas convaincu. Ni la corruption, ni la délinquance, quand elle ne venait pas des responsables du PRD eux-mêmes, n'ont été éradiquées. Le PRD a surtout montré qu'il n'était pas moins clientéliste qu'un PRI, dont la population voulait se débarrasser. Rejetant l'original et la copie, ils se sont tournés vers le PAN.

Vicente Fox, sous les couleurs du PAN, personnage haut en couleur, venu tardivement à la politique, ancien PDG de Coca-Cola Mexique, a voulu montrer qu'on peut faire fonctionner un Etat, en l'occurrence le Guanajuato dont il est devenu gouverneur en 1995, comme une entreprise. Et, dans sa campagne, il a su faire rêver une partie de l'électorat de droite et en partie populaire qu'il pourrait en faire autant avec le Mexique.

La partie de cet électorat populaire qui nourrit des illusions sur Fox doit se préparer à des déconvenues. Avec le PAN comme avec ou sans le PRI, les classes possédantes du Mexique, qui ces dernières années ont inscrit plusieurs milliardaires dans le top-50 des super-riches de la planète, entendent continuer à faire peser tout le poids de leur restructuration économique sur les épaules des ouvriers et paysans pauvres. Ils y ajouteront maintenant la réorganisation de l'Etat mexicain.

En prenant leur sort en mains, en portant leurs coups au coeur du système, dans les usines, dans les grandes villes, les travailleurs mexicains pourraient ouvrir de tout autres perspectives, pour eux-mêmes et pour toutes les masses pauvres du pays.

Partager