Corée du Sud : Le début de la riposte ouvrière ?09/06/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/06/une-1665.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Corée du Sud : Le début de la riposte ouvrière ?

Depuis le 31 mai, les travailleurs sud-coréens de plusieurs secteurs du privé comme du public ont été appelés à la grève par le syndicat KCTU (la confédération qui avait imposé sa reconnaissance dans les grèves de 1997). Au jour où nous écrivons, la grève tient toujours et le KCTU a annoncé qu'elle se poursuivrait au moins jusqu'au 10 juin, date à laquelle il compte organiser une grande manifestation. Les revendications mises en avant concernent l'ensemble des travailleurs : la semaine de cinq jours (six actuellement), les 40 heures (aujourd'hui légalement 44 heures mais en pratique 50 heures en moyenne par semaine), une augmentation générale des salaires de 15,2 % et des mesures en faveur des travailleurs précaires. C'est le premier mouvement interprofessionnel appelé par le KCTU depuis la crise économique de 1997 et depuis la venue au pouvoir du président Kim Dae Jung. Ce dernier a bénéficié d'un a priori favorable dans la classe ouvrière et sa politique relativement plus conciliante à l'égard des syndicats (malgré quelques interventions anti-grèves violentes et 300 arrestations de syndicalistes) a eu une certaine efficacité, pour les capitalistes bien entendu.

Pour les travailleurs, elle a apporté des fruits amers. Les sacrifices liés à la crise ont été pour ces derniers : licenciements massifs, baisses considérables de salaires et recul du syndicalisme. La grève actuelle est notamment une réaction contre la multiplication des heures de travail entraînant un record des accidents du travail (3,33 morts pour 10 000 travailleurs contre 1,71 en Thaïlande ou 1,2 au Mexique).

Pourtant, trois ans après la crise catastrophique de 1997, l'économie coréenne a exceptionnellement bien repris. Les profits se portent bien. La classe ouvrière, frappée par les licenciements massifs, ne s'est, elle, pas encore vraiment relevée. Si le chômage est passé officiellement de 8,4 % à 4,7 % en un an, les travailleurs qui ont retrouvé un emploi sont soumis à la précarité et à des conditions de travail et de salaire bien inférieures.

La grève a concerné le premier jour environ 100 000 salariés selon le KCTU : des travailleurs du privé, d'entreprises métallurgiques ou chimiques, et des secteurs du public dont le principal a été celui des hôpitaux, rejoint le deuxième jour par la télévision et le cinquième par les enseignants. Ce mouvement se produit alors que les travailleurs du secteur automobile sont la cible de nouvelles attaques. En avril dernier, l'automobile a mené une grève générale de sept jours pour soutenir une grève dure des travailleurs de Daewoo, contre le dépeçage de leur entreprise, violemment réprimée une fois de plus par le pouvoir, et qui s'est soldée par l'arrestation des dirigeants syndicalistes locaux. On vient d'annoncer le dépeçage du plus gros trust coréen et principal producteur automobile, Hyundai, ébranlé par ses pertes dans le secteur immobilier et par les divisions au sein de la famille propriétaire de ce " chaebol " (nom donné aux trusts familiaux qui dominent la Corée). Si une partie des travailleurs de Hyundai Motor a rejoint la grève au troisième jour, l'essentiel des secteurs de la construction navale et de l'automobile sont restés en dehors du mouvement, les syndicats KCTU de ces secteurs, pourtant des piliers de la confédération, ne les ayant pas appelé à se joindre à la grève.

La direction du KCTU et symétriquement le gouvernement ont choisi, à l'opposé de 1997, la conciliation plutôt que l'affrontement. Les syndicats KCTU ont déclaré accepter de se retirer de la grève dès lors que certaines revendications étaient négociées localement. Contrairement à la violence anti-grève traditionnelle en Corée, le gouvernement a choisi de ne pas déclarer la grève illégale ni de la réprimer, le syndicat KCTU ayant de son côté respecté tous les délais et contraintes légales de conciliation préalable avant d'entrer en lutte. La veille du déclenchement, Kim Dae Jung s'est contenté d'une intervention déclarant la grève inutile puisque le gouvernement allait négocier rapidement la semaine de cinq jours et les 40 heures.

Les leaders du KCTU ont aussi accepté de participer aux réunions nationales tripartites qui ont planifié les licenciements, certains dirigeants allant jusqu'à " admettre la nécessité des licenciements " à condition qu'il soient négociés. Le syndicat a limité ou arrêté plusieurs mouvements, comme celui du métro en avril 1999 et celui de Daewoo en avril dernier. Mais cette orientation est loin de faire l'unanimité dans le KCTU. Produit d'une véritable révolte ouvrière, ce syndicat garde un certain radicalisme. Une partie de sa direction, opposée à la politique de Kim Dae Jong, a constitué le Parti Démocratique des Travailleurs, menaçant d'emporter le poste de député d'Ulsan (la ville ouvrière de Hyundai) aux dernières élections législatives. Et une autre partie, plutôt tentée par un syndicalisme de conciliation, est prête à se couler dans le moule des objectifs politiques de Kim Dae Jung appuyant notamment sa volonté affichée d'en finir avec le système des " chaebols ", de pacifier les relations patrons-ouvriers, de démocratiser la vie politique, de réunifier les deux Corées. Le KCTU a même laissé entendre à quelques jours d'une première réunion au sommet des dirigeants des deux Corées, qu'il n'aurait " pas d'attitude irresponsable ".

Reste en dépit des limites évidentes du mouvement et des objectifs de sa direction, que cette grève offre aux travailleurs une possibilité de se battre ensemble pour les mêmes revendications en liant le public et le privé, les infirmières et les métallurgistes, les travailleurs précaires et les autres, ce qui depuis plusieurs années ne s'était pas produit en Corée.

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