Disneyland (Marne-la-Vallée) : Ras-le-bol du mépris et des bas salaires31/12/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/12/une-1642.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Disneyland (Marne-la-Vallée) : Ras-le-bol du mépris et des bas salaires

Dans cette entreprise récente (le parc a ouvert en 1992), environ 12 000 salariés, dont 30 % de précaires, travaillent tous les jours de l'année selon des horaires les plus variés. Ici la flexibilité est une réalité quotidienne. Une grande proportion des travailleurs de Disneyland est payée au SMIC, et ceux qui sont en équipe le dépassent à peine. La dernière augmentation de salaire date de fin 1998, à la suite d'une grève déjà...

En fait de parc enchanteur et de monde merveilleux tant vanté par la publicité, il s'agit surtout d'une gigantesque machine à profits. Le parc, avec ses services d'hôtellerie et de restauration, a rapporté 155 millions de francs l'an passé à Disney, ce qui ne l'empêche pas de toucher des subventions du conseil régional d'Ile-de-France. A l'échelle mondiale, le groupe Disney pèse plus de 271 milliards de francs et a rapporté en 1998 plus de 12 milliards de francs de bénéfice à ses actionnaires. C'est cette contradiction flagrante entre l'image idyllique véhiculée par Disney et la réalité de ce qu'ils subissent qui explique en grande partie le ras-le-bol que ressentent beaucoup de travailleurs.

Picsouland

Pour maintenir une telle exploitation, la direction exerce toutes sortes de pressions sur les employés : elle paye des mouchards chargés de la renseigner sur ceux qui ne courbent pas assez la tête ; elle encourage la délation en convoquant des employés en entretien individuel pour demander ce que l'on pense d'un tel ou de tel autre ; elle harcèle des syndicalistes en les changeant de service et en les poussant à bout. Bien des employés craquent sous la pression, partent en déprime ou démissionnent carrément, ce qui explique le" turn-over " considérable dans l'entreprise.

D'autant plus que les modalités de la nouvelle loi sur les 35 heures inquiètent des travailleurs auxquels la première loi a été appliquée et qui ont déjà leur compte de flexibilité. Mais la direction en a rajouté une couche à propos de la nuit du réveillon de l'an 2000. Aux plus de 4 000 employés qui travailleront cette nuit-là - certains volontaires, d'autres contraints - elle ne propose qu'une prime de 700 F brut (alors que les clients paieront leur réveillon 999 F, et que Disney n'hésite pas à payer 3 000 F à des boîtes d'intérim par intérimaire recruté spécialement pour cette occasion qui eux ne toucheront également que 700 F brut de prime), des entrées gratuites du parc pour la famille, une parka polaire au sigle Disney, et un billet de tombola pour gagner une voiture. Et encore, certains qui prendront leur service peu après minuit, le 1er janvier 2000 donc, ne sont pas concernés !

C'est notamment le faible montant de la prime qui en a indigné beaucoup, au point que les syndicats se sont tous retrouvés dans une intersyndicale pour appeler à la grève jeudi 23 décembre. Ce jour-là, dès l'aube, des employés ont commencé à se rassembler dans le hall de la gare RER qui dessert le parc. Pour tâcher d'empêcher le rassemblement, des cadres (portant la fameuse parka polaire qu'ils semblaient porter sans devoir travailler la nuit du réveillon, eux) montaient dans les RER plusieurs gares avant pour indiquer aux employés de Disneyland, sur le ton d'un ordre, qu'il fallait descendre avant le terminus et qu'on pouvait rejoindre le parc grâce à des bus affrétés pour l'occasion. Malgré cette manoeuvre, le nombre de grévistes grossissait dans le hall de la gare, au point que la maîtrise qui essayait de les bloquer pour les empêcher de manifester devant l'entrée du parc, a été obligée d'interrompre son barrage. Et c'est à environ un millier que les grévistes se sont retrouvés au milieu de la matinée devant l'entrée. Dans l'après-midi, ils se sont répandus dans les coulisses du parc, rencontrant l'approbation de nombreux intérimaires n'ayant pas osé se joindre à la grève.

La direction semblait avoir perdu son pari, elle qui essayait tant de minimiser la grève en présence des médias. En effet, il n'y avait qu'un tiers du nombre de touristes attendus ce jour-là qui sont vraiment venus s'amuser dans le parc, bien que l'entrée ne soit pas bloquée. Et heureusement que les clients étaient peu nombreux car certaines attractions ne fonctionnaient pas avec leur personnel habituel et les normes de sécurité n'étaient pas respectées.

La direction changeait donc d'attitude sous la pression des grévistes. N'ayant pas peur du ridicule, elle faisait servir un chocolat chaud à ceux qui étaient rassemblés dans le froid, pendant qu'un moment plus tard un manager agressait un syndicaliste qui s'adressait à la foule par mégaphone. Mais surtout elle acceptait d'ouvrir les négociations salariales dès le lendemain, ce que réclamait l'intersyndicale. Dernière manoeuvre, la direction proposait que les négociations s'ouvrent à 16 heures, le 24 décembre, espérant qu'à ce moment-là les employés ne songeraient qu'à rentrer chez eux préparer le réveillon de Noël. Mais finalement elle acceptait l'horaire de 14 heures proposé par les syndicats.

Une première

La grève n'a duré qu'un seul jour, mais elle a touché environ 30 % du personnel qui devait travailler ce jour-là, ce qui ne s'était jamais vu chez Disneyland. Les employés ont obtenu l'ouverture de négociations qui n'ont toujours pas abouti en début de semaine, bien qu'un préavis de grève soit posé pour le 31 décembre si les revendications ne sont pas satisfaite avant le 28 : réévaluation des salaires, augmentation de la prime du 31 ou bien octroi de 3 jours de congés supplémentaires, et paiement du jour de grève.

De toute façon il semble qu'il sera désormais plus difficile à la direction de continuer à traiter les travailleurs comme avant. Nombre d'entre-eux ont goûté à la solidarité dans une entreprise où la coupure est traditionnellement grande entre les travailleurs des différentes attractions, entre eux et avec ceux de l'hôtellerie, de la restauration ou des services. Et nombreux également sont ceux qui se sont rendu compte qu'il était possible de riposter aux mauvais coups, tout particulièrement les jeunes qui faisaient grève pour la première fois. C'est une leçon qui servira à l'avenir.

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