Côte-d'Ivoire : Après le coup d'Etat contre Bédié31/12/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/12/une-1642.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Côte-d'Ivoire : Après le coup d'Etat contre Bédié

Il n'aura fallu que quelques heures aux militaires putschistes pour destituer Henri Konan Bédié, le président de la Côte-d'Ivoire, le 24 décembre. Le nouvel homme fort du pays, le général Robert Gueï, a constitué un Comité de salut public et annoncé la création d'un " gouvernement d'union " en attendant les élections présidentielles prévues pour le mois d'octobre prochain.

Il est significatif que Bédié n'ait trouvé personne pour prendre sa défense, ni dans son armée et sa police, ni dans son gouvernement et son parti, le PDCI, ni dans la population ; quant à ses protecteurs français, s'ils ont, en paroles, condamné le coup d'Etat, ils ne sont pas intervenus pour sauver la mise au dictateur, en dépit de leur forte présence militaire dans la région et de leur infiltration dans tous les rouages de l'Etat ivoirien.

En fait, Bédié, qui avait succédé à Houphouët-Boigny en 1993, avant de se faire élire à l'issue d'élections truquées avec plus de 90 % des voix en 1995, avait réussi à s'attirer tous les mécontentements. Dans ce pays, présenté en France comme un modèle de démocratie, un exemple de stabilité et une des réussites de la décolonisation, le régime de Bédié n'avait rompu en rien avec les pratiques de son prédécesseur, reposant sur le clientélisme, la corruption et l'affairisme. On ne comptait plus les scandales financiers et les affaires de détournements de fonds publics dans lesquels les hauts dignitaires du régime et les proches de Bédié se trouvaient impliqués. Récemment, le robinet de l'aide internationale s'était même fermé après que l'on eut découvert un détournement de 180 millions de francs sur un fonds destiné au ministère de la Santé.

Cette mise en coupe réglée des finances du pays n'empêchait pourtant pas le clan Bédié d'invoquer les difficultés économiques pour imposer à l'ensemble de la population une sévère politique d'austérité, marquée par le blocage des salaires dans la fonction publique, la hausse du prix des transports, le renchérissement des produits de première nécessité et l'accroissement du chômage. Et le régime ne se gênait pas pour réprimer sauvagement toute tentative de grève ou de manifestation.

Dans ce pays où les cultures d'exportation - cacao, café, ananas - constituent l'essentiel des ressources, la situation s'était encore aggravée avec la chute des cours sur le marché mondial. Ainsi en deux ans, le cacao a perdu près de 50 % de sa valeur, acculant à la ruine des milliers de petits paysans.

Déstabilisé par la crise économique, le régime l'était également par les tensions sociales et politiques, que la perspective des prochaines élections présidentielles n'avait fait qu'exacerber. Afin d'évincer de la course son principal concurrent, Alassane Ouattara, le clan Bédié avait déclenché contre lui une campagne abjecte et xénophobe, lui déniant la nationalité ivoirienne. L'affaire avait même débouché sur l'émission d'un mandat d'arrêt contre Ouattara, qui se trouvait ainsi condamné à l'exil, tandis que les cadres de son parti, le RDR, étaient arrêtés après des manifestations et condamnés à de lourdes peines de prison.

Il est d'ailleurs significatif qu'un des premiers gestes des mutins ait été de libérer les prisonniers politiques, tandis que plusieurs militaires proches de Ouattara se sont retrouvés aux côtés du général Gueï, dans le Comité de salut public.

La population de Côte-d'Ivoire n'a aucune raison de regretter Bédié. Cependant, il est plus que probable qu'elle n'a rien de bon à attendre de la junte militaire qui lui a succédé. Formé dans les écoles militaires françaises et ex-chef d'état-major de Houphouët-Boigny, Gueï s'est à maintes reprises distingué dans la répression des mouvements de contestation entre 1990 et 1992. Quant à une éventuelle ascension de Ouattara qui, à la même époque, s'illustra comme Premier ministre et zélé serviteur d'Houphouët, avant de devenir vice-directeur général du FMI, il n'y a rien de bon non plus à en attendre. Aucun de ces politiciens ou de ces militaires n'entend servir les intérêts de la population ivoirienne avant ceux de son clan, ni surtout avant ceux de l'impérialisme qui, bien plus encore que les cliques au pouvoir, pille les richesses du pays.

Ce qui est à souhaiter, c'est que les scandales, la crise évidente du pouvoir, l'accumulation de la misère, finissent par amener la classe ouvrière et les couches pauvres de la population à rassembler leurs forces pour prendre leur sort en mains et imposer leurs revendications essentielles, leur droit à la vie, contre les cliques au pouvoir et contre l'impérialisme.

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