Il y a 70 ans, octobre 1929 : Le krach de Wall Street05/11/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/11/une-1634.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Divers

Il y a 70 ans, octobre 1929 : Le krach de Wall Street

Le jeudi 24 octobre 1929 marqua le début de la " Grande Dépression " de l'entre-deux-guerres, avec l'amorce de ce qui devait être le plus grand krach boursier de l'histoire de la finance internationale.

Ce jour-là, quatre années d'euphorie spéculative pratiquement ininterrompue prirent fin à la Bourse de Wall Street, à New York. Les actions se mirent à baisser, bien qu'encore relativement modérément. Mais le fait décisif fut que, pour la première fois, les tentatives du " syndicat Morgan ", regroupant les cinq plus grandes banques du pays sous la houlette de Pierpont-Morgan, se montrèrent impuissantes à enrayer cette baisse. Cette impuissance devait déclencher l'engrenage du krach et valoir au 24 octobre son nom de " jeudi noir ".

La " bulle " spéculative des années 20

Depuis 1925, le cours des actions n'avait pas cessé de monter. Des milliards de dollars se tournaient vers le marché boursier, attirés par la perspective de bénéfices faciles et considérés comme sûrs, bien à tort comme la suite le montra.

Dans ce marché exubérant, une bonne partie des achats d'actions s'effectuaient " à la marge ", c'est-à-dire à crédit. Les prêteurs pouvaient réclamer des intérêts relativement élevés, puisque la hausse des actions l'était encore plus. Les banques étaient bien sûr les plus gros joueurs, mais pas les seuls et de loin. Toutes les grandes entreprises disposant de liquidités importantes prêtaient à la spéculation, quitte à y risquer la paie de leurs salariés ou les réserves assignées à l'achat de matières premières, voire à aggraver leur propre endettement auprès des banques pour bénéficier de la spéculation boursière.

Des milliards de dollars se détournèrent ainsi de la sphère de production vers la sphère financière, pour profiter de la montée des cours que cet afflux de capitaux accéléra d'autant plus. Et ce mécanisme entraîna la " bulle " spéculative qui devait finalement éclater en octobre 1929.

Non seulement le cours des actions montait à des niveaux astronomiques, mais cette hausse n'avait parfois rien à voir avec ce qu'elles représentaient. L'engouement général pour les " industries de pointe " de l'époque (radio, aviation, électricité, etc.) ouvrait la voie à toute sorte d'escrocs, comme les propriétaires de la Kolster Radio Company qui, en 1928, firent monter leurs actions de 30 % par une campagne publicitaire à la radio, avant de se déclarer en faillite - mais entre-temps, ils avaient pu empocher 19 millions de dollars.

Mais surtout, derrière l'euphorie boursière, l'économie américaine était loin d'être aussi florissante qu'on voulait bien le dire, ou le croire. Dès 1928, la production avait diminué dans plusieurs secteur-clés, dont l'automobile et l'équipement industriel. Et durant l'été 29, la production des Etats-Unis avait diminué de 7 % dans son ensemble.

Même la bulle spéculative n'allait pas sans à-coups et, par conséquent, sans perdants. Depuis juin 1928, une succession de secousses boursières, toutes de courte durée sans doute, avait causé l'inquiétude des opérateurs. Et quand, le 24 octobre, les banques se montrèrent incapables de résister à la baisse des cours, cela déclencha un double phénomène. D'une part une partie des spéculateurs se mirent à parier sur une baisse des cours, en vendant des actions pour ce faire. D'autre part tous ceux qui avaient jusque-là prêté des fonds en masse aux spéculateurs se mirent à réclamer leurs biens, obligeant les emprunteurs à vendre. Il s'en suivit un phénomène de boule de neige qui se transforma bientôt en déroute.

De la crise boursière à la crise générale

Dans les cinq jours qui suivirent le jeudi noir, les cours dégringolèrent de 25 %. Puis après une brève reprise dans les derniers jours d'octobre, la baisse repartit de plus belle, atteignant 45 % à la mi-novembre pour finalement s'arrêter à plus de 90 % au printemps 1932. Et cette baisse n'épargna personne, pas même les plus grosses entreprises : les actions du trust sidérurgique US Steel chutèrent de 250 à 22 dollars au cours de cette période, celles de Chrysler de 135 à 5 dollars.

Les grands perdants furent ceux qui avaient prêté des fonds à la spéculation. La perte de ces prêts, qui représentaient l'équivalent de 10 % du produit intérieur brut américain en 1929, fut un coup fatal pour des milliers de petites banques locales. Les couches modestes de la population qui y avaient placé leurs économies furent ruinées. Les banques qui survécurent resserrèrent les cordons du crédit, asphyxiant un grand nombre d'entreprises en manque de liquidités. La clientèle solvable se raréfia. Les prix industriels chutèrent de 40 %, les prix agricoles de 50 %. La moitié des usines durent fermer. En juillet 1932, l'industrie de l'acier ne tournait plus qu'à 12 % de ses capacités.

Les conséquences pour les classes populaires furent catastrophiques. Il y eut en 1932 quatorze millions d'Américains en chômage total. Un nombre égal était en chômage partiel. Les fonctionnaires des villes et des Etats attendaient parfois leurs salaires pendant des mois. L'agriculture aussi étant touchée, des millions de petits paysans, ruinés, furent jetés sur les routes. Il n'y avait aux Etats-Unis aucun système public d'aides ou d'allocations. Les soupes populaires étaient le fait des Eglises, avant que les municipalités se mettent elles aussi à en organiser. Chassés de leurs logements, les chômeurs se réfugièrent dans des bidonvilles, dont le plus célèbre fut " Hooverville ", un immense camp de toile installé en plein coeur de New York.

Une crise mondiale

Des Etats-Unis la crise gagna le reste du monde par le jeu des déplacements de capitaux. Ceux que les grandes firmes américaines avaient placés en Europe pour bénéficier des dividendes de la reconstruction au lendemain de la Première Guerre mondiale, furent rapatriés en catastrophe. Non seulement les grandes entreprises européennes perdirent l'accès au marché américain, désormais défendu par de sévères mesures protectionnistes, mais les banques européennes virent leurs réserves asséchées par la fuite des capitaux américains.

En 1932, la crise éclata en Europe sous la forme d'une crise bancaire qui d'Autriche passa en Allemagne puis gagna tous les autres pays. Le marché mondial déjà fortement atteint se trouva paralysé par l'absence de crédit. L'Allemagne fut la plus fortement touchée. Des millions de petits bourgeois, de retraités, y furent plongés dans la misère, à l'égal des 6 à 8 millions de chômeurs. L'Angleterre ne fut atteinte qu'un peu plus tard, et moins brutalement parce qu'elle n'avait jamais connu la prospérité relative des années précédentes. La France fut moins profondément frappée, grâce en particulier à ses colonies.

Pour les pays pauvres, la paralysie du marché mondial se traduisit par une chute catastrophique des cours de leurs exportations. Le prix du sucre cubain chuta de 60 %, celui du caoutchouc de 80 %. Le café brésilien, ne trouvant plus acheteur, fut brûlé dans les locomotives. Mais le Tiers Monde fut d'autant plus touché que les bourgeoisies des pays riches cherchèrent à se tirer d'affaire en redoublant son exploitation.

Ce fut au bout du compte l'intervention massive des Etats, au travers de programmes de réarmement, de mesures protectionnistes et de subventions énormes, qui permit la stabilisation de l'économie et le retour des profits. Mais à quel prix ! En Allemagne, ce fut au prix du fascisme, pour imposer à la classe ouvrière le coût de ce rétablissement. Et pour toutes les classes ouvrières, ce fut en fin de compte au prix des massacres de la Seconde Guerre mondiale. Car ce fut au travers de ces massacres que se réglèrent les rivalités entre les puissances impérialistes en lutte pour conserver leur place dans une économie en crise.

Aujourd'hui certains " experts " font un parallèle entre les circonstances de la crise de 1929 et la " bulle " spéculative qui se développe depuis plusieurs années dans les pays industrialisés. Cela veut-il dire que l'on assistera à un autre krach, tel que celui qui débuta le 24 octobre 1929 ? Nous ne le savons pas, bien sûr. Mais ce que nous savons, ce que l'Histoire montre, c'est que d'une façon ou d'une autre le système capitaliste en crise fait payer ses aberrations aux classes laborieuses. Il le fait déjà aujourd'hui au travers de la catastrophe sociale du chômage qu'elle impose aux travailleurs depuis des années. Il ne faut pas lui laisser l'occasion de faire bien pire encore.

Partager