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Grande-Bretagne : Les lords refont leur chambre
Le 26 octobre, la Chambre des lords, l'aristocratique seconde chambre du Parlement britannique, a voté sa propre abolition, au moins sous sa forme actuelle.
Comme il fallait bien un soupçon de scandale, un certain lord Burton s'est livré à un sit-in de protestation au profit des caméras. Il est vrai que ce lord Burton, fils aîné du duc de St Albans, a de quoi être fier de son sang " royal ", puisque c'est en tant que bâtard du roi Charles II que l'un de ses ancêtres fut fait pair du royaume au 17e siècle. Mais grâce au soutien du leader Conservateur de la Chambre, lord Strathclyde (plus connu de ses intimes sous le nom de Thomas Galloway Dunlop Du Roy de Bliquy Galbraith - ouf !), le projet gouvernemental est passé sans trop d'encombre.
Donc, dès la fin de la présente session parlementaire, les pairs héréditaires cesseront d'y siéger. Enfin presque, car dans son souci de ne pas se mettre à dos les traditionalistes, Blair a fait des concessions. La loi adoptée prévoit donc qu'en attendant la réforme définitive de la Chambre des lords, les 650 pairs héréditaires éliront 92 d'entre eux pour siéger aux côtés des 514 pairs à vie. Qui plus est, l'Eglise anglicane conservera les 26 sièges qui lui revenaient jusqu'alors.
Une version intérimaire de la Chambre des lords va donc continuer à siéger au moins jusqu'aux prochaines élections, normalement prévues pour 2002. D'ici là, le gouvernement travailliste de Tony Blair nommera sans doute, comme c'est la coutume, un contingent de pairs à vie qui viendront combler quelques-uns des vides laissés par les partants.
Par la suite, une version réformée de la Chambre des lords devrait voir le jour. Mais c'est là que les difficultés commencent. La commission royale chargée d'étudier ce projet s'est déclarée favorable à une chambre en partie élue et dotée de pouvoirs renforcés, comparable au Sénat en France. Alors que les dirigeants travaillistes, eux, sont déterminés à en faire une chambre des " Sages ", prétendument au-dessus des partis (mais en fait, bien sûr, nommés par les gouvernements) qui pourrait continuer à servir de contrepoids aux caprices (pourtant bien rares) de la Chambre des communes - mais sans avoir le caractère profondément aristocratique de la vieille Chambre des lords, qui choquait de plus en plus dans la population.
Autant dire que cette réforme n'est pas pour demain, surtout si, comme c'est probable, elle devient un enjeu politicien entre les trois principaux partis.
Il y a d'ailleurs des précédents dans ce domaine. L'idée d'abolir la pairie héréditaire n'est pas nouvelle. La dernière fois qu'elle fut avancée sérieusement remonte à 1911, lorsque le gouvernement libéral de Lloyd George menaça la Chambre des lords de l'abolir si elle continuait de bloquer ses projets de budgets. Lloyd George oublia vite ses menaces lorsque la montée des luttes ouvrières le contraignit à une alliance de fait avec ses adversaires Conservateurs. Mais dans les années qui suivirent il affaiblit leur pouvoir en vendant au prix fort un grand nombre de pairies héréditaires à des bourgeois aisés (ventes à qui bon nombre des " aristocrates " actuels doivent d'ailleurs leur titre).
Par la suite, ce furent les Conservateurs qui, pour affaiblir le poids des lords héréditaires, créèrent la pairie à vie sous le gouvernement MacMillan, en 1958, fournissant ainsi au parti au pouvoir un moyen de distribuer des prébendes en même temps que de remplir les sièges de la Chambre des lords avec ses propres partisans.
Quatre-vingt-huit ans après les menaces de Lloyd George, les lords héréditaires disparaissent donc en partie, mais pas la Chambre des lords qui, sous une forme ou une autre, restera sans doute l'un des innombrables organes non élus qui participent à la gestion du pays. Au dernier recensement, on comptait pas moins de 5 681 de ces " quangos ", comme on appelle en Grande-Bretagne ces organismes qui sont appointés par les ministères sans être pour autant comptables de leurs activités devant les institutions élues, mais qui n'en administrent pas moins l'essentiel du budget de l'Etat. Alors, un de plus ou un de moins...