16 octobre - L'attitude de la CGT : Il faut que les travailleurs fassent de la politique... mais une politique de classe !15/10/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/10/une-1631.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

16 octobre - L'attitude de la CGT : Il faut que les travailleurs fassent de la politique... mais une politique de classe !

Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, a rendu publique sa décision de participer à la manifestation du 16 octobre, mais à titre de simple citoyen a-t-il précisé. Pourquoi une telle précaution de langage ? Bien des syndicalistes et des organisations syndicales, de la CGT et parfois d'autres syndicats, avaient déjà annoncé qu'ils y participeraient sans s'embarrasser de ces réserves verbales, parce qu'ils estiment à juste titre, en toute simplicité, que leur place est dans la rue, avec tous ceux qui veulent mettre un coup d'arrêt aux licenciements qui alimentent un chômage persistant à un niveau élevé, et qui veulent faire en sorte que l'on ne laisse plus les mains libres aux patrons.

C'est peut-être d'ailleurs cela qui a poussé Thibault à faire, in extremis, un geste qui vient un peu corriger l'effet déplorable produit par la déclaration du bureau confédéral de la CGT du 7 octobre, annonçant ce jour-là sa décision de ne pas être " parmi les organisateurs " de la manifestation du 16 octobre, parce que, expliquait-il " les caractéristiques " (de cette initiative) " sont, dans les circonstances actuelles, éminemment politiques... ", laissant toutefois " libre chaque salarié(e), chaque syndiqué(e), de se déterminer en toute citoyenneté " - ce qui est quand même la moindre des choses !

Cette déclaration a fourni le prétexte à une vaste campagne de presse, qui n'est pas innocente... ni apolitique, certains journalistes n'hésitant d'ailleurs pas à en déformer carrément les termes. Mais faut-il s'en étonner ? Il était prévisible que la prise de position du bureau confédéral alimente ce déchaînement hostile à la manifestation et aux objectifs essentiels pour lesquels il est nécessaire que les travailleurs y participent, et finalement défavorable aux militants syndicaux et à la CGT elle-même. Car les louanges tressées à la CGT à cette occasion venant des commentateurs, journalistes et politiciens, sont perfides. Du moins pour ceux qui tiennent à ce que les organisations ouvrières restent sur le terrain de classe.

Le plus important n'est pas d'ailleurs que la CGT appelle ou n'appelle pas à cette manifestation - encore qu'il eut été préférable qu'elle le fasse franchement sans s'embarrasser de considérations de préséance qui ne sont pas de mise devant la gravité de la situation subie par les travailleurs. Le pire, ce sont les raisons mises en avant pour justifier ce refus : le caractère " éminemment politique " de l'appel. On retrouve là la sempiternelle vieillerie réductrice, pour ne pas dire réactionnaire, qui voudrait enfermer l'action des travailleurs dans des cases, d'un côté l'action syndicale, de l'autre l'action politique. Comme si il y avait des domaines soigneusement séparés entre ces deux champs d'intervention ! Comme si il y avait une spécialisation, et une sorte de dédoublement nécessaire de la personnalité artificiellement institué ; syndicaliste la journée à l'usine et au bureau, face au patron qui ne se gêne pas par ailleurs pour faire sa politique et interdire que les salariés en fassent ; et militant politique après le travail. Chacun sait que, non seulement ce n'est pas possible, mais que ce n'est pas souhaitable. C'est une attitude éminemment nuisible aux intérêts de la classe ouvrière et de la population laborieuse.

C'est que, explique-t-on, il faudrait à tout prix protéger les organisations syndicales, ou ceux qui se désignent comme des organisations de masse, contre la mainmise - " l'instrumentalisation " disent-ils - de ces organisations par les " politiques ", et préserver leur autonomie. On reconnaît là la même vieille idée qui revient à ériger en vertu le refus de s'investir sur le terrain politique. Pour certains dirigeants d'organisation syndicale, c'est un alibi classique et commode, utilisé pour se dérober devant leurs responsabilités auprès des travailleurs. Combien de fois a-t-on entendu FO refuser d'agir en commun avec d'autres, dont la CGT, sous prétexte qu'elle était liée au PCF ? Et Nicole Notat pour la CFDT fait de même.

Cela ne se traduit pas pour autant par l'autonomie de ces dirigeants syndicaux et du mouvement associatif par rapport à la politique, ni par rapport aux politiciens. Pour ne prendre que l'exemple de la manifestation du 16 octobre, prendre ses distances par rapport à l'initiative de Robert Hue, c'est du même coup apporter, même passivement, son soutien à Jospin, au gouvernement, et par là à la politique qu'ils mènent contre les travailleurs. C'est se ranger du côté de tous ceux qui craignent la remontée de la combativité ouvrière et qui refusent d'utiliser les opportunités qui se présentent pour agir dans ce sens. Certains le font involontairement peut-être, mais d'autres ont choisi ce camp volontairement.

Personne n'envisage de confondre l'action syndicale, l'action au sein des association de défense qui se mobilisent en faveur des victimes du système, ou de telle ou telle décision politique injuste, avec l'action au sein d'une organisation politique (encore que le terrain d'intervention des organisations politiques révolutionnaires recoupe celui de ces associations). Mais la responsabilité de militants qui se posent jusqu'au bout la question d'inverser le cours politique actuel et ses effets n'est pas de dévaloriser l'action politique auprès des travailleurs et des milieux populaires, même si ceux-ci ont de bonnes raisons de se défier de nombre de politiciens qui ont capté leurs suffrages pour faire l'inverse de ce qu'ils ont promis. Ça n'est pas de s'appuyer sur des préjugés, encore moins de les renforcer, mais de réhabiliter l'intervention politique, la vraie, celle qui prend en compte les intérêts du monde du travail et de ces catégories populaires, face aux exploiteurs et aux gouvernements qui, eux, n'hésitent pas à faire une politique antiouvrière et antisociale. L'un des éléments majeurs qui affaiblit la classe ouvrière et la population laborieuse dans la lutte qu'elles doivent mener contre le patronat et ceux qui le soutiennent, c'est le fait qu'elles abandonnent le terrain politique à leurs ennemis.

Et c'est cela qu'il est urgent de changer.

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