Grande-Bretagne - Les causes de l'accident de Paddington : La rapacité du capital et l'incurie des gouvernants08/10/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/10/une-1630.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne - Les causes de l'accident de Paddington : La rapacité du capital et l'incurie des gouvernants

Vingt-six morts et au moins 160 blessés - tel est le bilan provisoire de l'accident de chemin de fer qui s'est produit le 5 octobre, juste après 7 heures du matin, en plein Londres. Deux trains de banlieue roulant à faible vitesse aux abords de la gare de Paddington se sont heurtés de plein fouet. Des wagons ont versé, produisant des courts-circuits qui ont mis le feu à une partie des rames.

La première réaction des autorités a été de se couvrir. Le premier ministre travailliste Tony Blair a aussitôt annoncé une " commission d'enquête " tandis que la police des transports arrêtait le conducteur de l'un des deux trains à défaut de pouvoir arrêter les deux - le deuxième comptant parmi les victimes.

Une répétition

Lamentable dérision. Il y a tout juste deux ans, le 19 septembre 1997, un autre accident avait fait sept morts et 150 blessés. Il s'était produit à Southall, à quelques kilomètres de là, sur la même ligne et dans des conditions similaires. Là aussi on avait mis en place une " commission d'enquête " et un conducteur avait été écroué. Mais aujourd'hui, cette " commission " n'a toujours pas rendu ses conclusions. En revanche les tribunaux ont relaxé la compagnie privée qui exploite la ligne sous prétexte qu'aucun de ses dirigeants ne pouvait être tenu personnellement pour responsable de l'accident. Quant au conducteur à qui on avait essayé de faire jouer le rôle du lampiste, il a finalement été relaxé, heureusement !

Et pourtant, la compagnie en question, Great Western Railways, avait été reconnue coupable de manquements criminels aux règles de sécurité. On avait ainsi appris qu'elle avait donné la consigne de laisser rouler les trains même lorsque le dispositif d'avertissement sonore en cas de passage d'un signal au rouge ne fonctionnait pas. Or c'était précisément un passage de signal au rouge, doublé d'une panne dans le système d'aiguillage, qui était la cause du drame de Southall.

Great Western Railways fut bien condamné à une amende de 15 millions de francs par l'inspection de la sécurité. Mais qu'est-ce que 15 millions de francs pour cette compagnie ? A peine 1 % de la subvention annuelle qu'elle reçoit de l'Etat !

Le coût de la privatisation

En fait, depuis la privatisation des chemins de fer britanniques en 1996, c'est le quatrième accident grave. Dès l'année qui suivit la privatisation, la seule pour laquelle des statistiques d'ensemble ont été publiées, le nombre de morts par accident à doublé dans les chemins de fer - les travailleurs faisant l'essentiel de l'augmentation.

La multitude de compagnies privées qui se sont partagé l'ancien réseau d'Etat - sous forme de franchise pour le trafic voyageur, mais en toute propriété pour les autres secteurs du réseau - se livrent à une rivalité de plus en plus vorace pour gonfler leurs bénéfices.

Aussi le trafic a-t-il augmenté aux heures de pointe sur certaines voies (alors que,inversement,il est devenu souvent impossible d'avoir un train tard le soir) au fur et à mesure que les compagnies cherchaient à en concurrencer d'autres sur leur propre territoire. De sorte que certaines parties du réseau, en particulier autour de Londres, sont aujourd'hui complètement engorgées.

Railtrack, la société devenue propriétaire des voies et responsable de leur entretien, figure aujourd'hui parmi les cent plus grosses entreprises britanniques. Et comme telle elle multiplie les cadeaux aux actionnaires sous forme de dividendes exceptionnels de façon à faire monter le cours de ses actions en Bourse. Elle y a d'ailleurs très bien réussi puisque, parmi les grandes entreprises cotées en Bourse, elle a battu tous les records avec près de 400 % d'augmentation en deux ans.

Mais le prix de cela, c'est la dégradation de plus en plus marquée du réseau. C'est ainsi que,depuis la privatisation,la " durée de vie " officielle des voies est passée de 50 à 80 ou 100 ans suivant les lignes. Lorsqu'une faille est repérée dans le métal des rails (si elle l'est, ce qui n'est pas toujours le cas tant les inspections sont espacées) on se borne à limiter la vitesse des trains, ce qui aggrave encore l'engorgement.

Quant à la signalisation qui relève aussi de Railtrack, elle a subi le même sort. Les systèmes de sécurité n'ont pas été modernisés. Aucun des systèmes de blocage automatique des freins en cas de passage d'un signal au rouge n'a été mis en place. On parle tout au plus de 2004 pour l'introduction d'un tel système, et encore seulement sur les grandes lignes.

Et le rôle des gouvernants

Mais il faut dire que si les compagnies privées font ainsi étalage de rapacité criminelle, elles ne font que suivre, en l'aggravant, l'exemple d'incurie non moins criminelle donné pendant des décennies par les gouvernements successifs.

Il faut rappeler, par exemple, que de 1993 à 1995, dans la préparation de la privatisation, le gouvernement conservateur d'alors supprima plus de 24 000 emplois d'exécution, soit 20 % du total, dont une grande partie dans des secteurs vitaux pour la sécurité. Il faut aussi rappeler que c'est l'Etat, toujours sous les conservateurs, qui avait choisi d'ignorer les recommandations de la commission d'enquête sur l'accident de Clapham (qui avait fait 35 morts en 1988) : sous prétexte que cela coûtait trop cher, il avait été décidé de ne pas mettre en place le système de sécurité ATP qui aurait pourtant permis d'éviter l'accident de Clapham, mais aussi probablement celui de Southall et celui du 5 octobre à Paddington.

Quant aux travaillistes, ils ont beau jeu de se couvrir en disant qu'ils ont hérité d'une situation de fait. Mais il faut dire qu'ils n'ont rien fait pour y changer quoi que soit. Dès 1997, ils ont renoncé à leur promesse de renationaliser les chemins de fer. Et depuis qu'ils sont arrivés au pouvoir, ils se sont contentés de faire de la morale aux patrons des chemins de fer, en agitant des menaces d'amendes dérisoires et de toute façon jamais exécutées. Et ce faisant ils se sont faits les complices du capital assassin.

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