Berlusconi : les hommages du système à l’une de ses plus belles crapules14/06/20232023Journal/medias/journalarticle/images/2023/06/P9-1bis_Berlusconi_OKr.jpg.420x236_q85_box-38%2C0%2C692%2C368_crop_detail.jpg

Dans le monde

Berlusconi : les hommages du système à l’une de ses plus belles crapules

À l’annonce de la mort de Silvio Berlusconi le 12 juin, les hommages ont fusé dans le monde politique italien et au-delà. Cette expression unanime de respect pour un affairiste véreux, misogyne et vulgaire, aux multiples casseroles judiciaires, est révélatrice de la nature du système.

Illustration - les hommages du système à l’une  de ses plus belles crapules

Si le pape, lui-même hospitalisé, s’est uni « au fervent souvenir dans la prière, en lui souhaitant la paix éternelle », ce n’est évidemment pas pour les vertus que Berlusconi aurait incarnées de son vivant, lui qui s’illustra plutôt dans la fraude fiscale, les lois faites sur mesure pour favoriser ses affaires, les liens avec la Mafia, et les orgies organisées pour offrir les services sexuels de jeunes femmes, parfois mineures, à ses « bons amis » haut placés. Mais, comme l’a souligné le cardinal Ruini : « Berlusconi croyait en Dieu et, surtout, il a vaincu les héritiers des communistes ». Voilà une qualité pour laquelle les sommets de l’Église sont prêts à pardonner bien des péchés !

Le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni – dont Forza Italia, le parti de Berlusconi, est l’un des soutiens – pleure l’un des siens et a donc décrété un jour de deuil national mercredi 14 juin, jour des funérailles nationales organisées pour « le grand homme qui a changé l’Italie ». Même les représentants du Parti démocrate (PD), le parti de centre-gauche censé représenter l’opposition, ont exprimé leur « grand respect pour ce protagoniste de l’histoire du pays ».

D’un point de vue politicien, Berlusconi peut se targuer d’une longévité exceptionnelle. Entre 1994 et 2011, le magnat des affaires, à la tête du groupe médiatique et financier Fininvest, a en effet établi le record du temps passé au pouvoir. Si son premier gouvernement, en 1994, ne tint que neuf mois, il se réinstalla pour près de cinq ans dans le fauteuil de président du Conseil en 2001, et à nouveau durant trois ans, à partir de 2008.

En 1994, après des décennies de scandales et de complots, le système politique italien sombrait sous les coups portés par le pool de juges milanais baptisé Mains propres, qui révélait la corruption généralisée en vigueur pour l’attribution des marchés publics. L’homme d’affaires Berlusconi partit à l’assaut du vide politique ainsi créé. En l’espace de quelques mois, il monta son parti Forza Italia comme n’importe quel produit marketing, grâce à son argent et à son empire médiatique. Il prit la tête d’une coalition, le Pôle des Libertés, en s’associant aux néo-fascistes du MSI et aux démagogues de la Ligue du Nord, qui prétendait défendre les Italiens travailleurs et industrieux du Nord, contre « Rome la voleuse » et les habitants du Sud du pays, accusés de vivre aux crochets des autres. ­Berlusconi ne dédaignait pas d’aller dans le sens de ses alliés de temps à autre, déclarant par exemple que Mussolini était un grand homme n’ayant jamais tué personne, soutenant son allié Fini, patron du MSI, auquel on reprochait son goût pour le salut fasciste. Mais l’important n’était pas là pour lui : il fallait d’abord et avant tout lutter contre les « rouges » et pour la liberté de l’Italie, comprenez la liberté des capitalistes de se servir, à commencer par la sienne et celle de ses amis. La bourgeoisie italienne s’accommoda finalement de ce personnage dont le style tranchait avec celui de son personnel politique habituel, et dont la démagogie lui assurait les voix de la petite bourgeoisie, et même d’une fraction de l’électorat populaire.

Berlusconi put ainsi apparaître sur la scène politique, en 1994, comme l’incarnation d’une « seconde République », censée être plus moderne et plus efficace, avec la complicité de l’ex-Parti communiste, qui venait d’abandonner toute référence au communisme pour se transformer en Parti démocrate de la gauche (PDS). Incarnant l’idée qu’il fallait moderniser la gauche, les anciens dirigeants du PC étaient d’accord pour valider la modernisation du système politique, pour tenter d’en faire un système plus stable, d’alternance entre deux partis de gouvernement, à l’américaine. Dans la période précédente, la gauche s’était employée, avec la collaboration des syndicats, à briser toutes les mobilisations des travailleurs, à démontrer sa capacité à leur faire accepter une politique d’austérité et à se comporter en gouvernants responsables. Le climat de désillusion et de résignation ainsi créé parmi les travailleurs ne pouvait que profiter à la nouvelle offre de droite du Pôle des Libertés.

En 2001, le retour de Berlusconi au pouvoir fut encore précédé et préparé par les gouvernements de centre gauche, qui menèrent eux-mêmes la politique du grand capital, à coups de privatisations et d’attaques antiouvrières contre les retraites et de mesures précarisant le marché du travail.

Le seul argument d’un centre-gauche, que rien ne distinguait plus, sur le plan de la politique antiouvrière, du pôle de droite qu’incarnait Berlusconi, devint la personnalité de ce dernier. Mais les dirigeants des partis de gauche, qui dénonçaient la démagogie du milliardaire, sa mainmise sur les médias ou son utilisation du pouvoir politique pour privilégier ses affaires, étaient de moins en moins crédibles, tant ils en avaient été complices, et même acteurs directs. Le « grand homme » que les politiciens de tout bord et leurs valets médiatiques pleurent était bien à l’image de leur société et d’une république bourgeoise corrompue, affairiste, cynique et méprisante à l’égard des plus pauvres. Cela juge tout ce monde politique et médiatique, à plat ventre devant les capitalistes.

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