Novembre 1918 : l’armée française contre la révolution russe05/12/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/12/2627.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 100 ans

Novembre 1918 : l’armée française contre la révolution russe

Le 25 novembre 1918, des navires de guerre français arrivaient devant Sébastopol, en Crimée soviétique, pour y débarquer des soldats de l’armée d’Orient et des contingents grecs alliés. Peu avant la signature de l’armistice du 11 novembre, le chef du gouvernement français, Clémenceau, avait ordonné de lancer une offensive en Russie méridionale – l’Ukraine – contre le pouvoir des soviets né un an plus tôt de la Révolution d’Octobre.

Clémenceau décrivait ainsi sa mission au chef de l’opération, le général Franchet d’Espérey : « Raisons : nous sommes appelés par les gouvernements (contre-révolutionnaires) et les populations. Nous avons à contrôler (…) l’évacuation des troupes allemandes (occupant l’Ukraine). Buts : maintenir l’ordre intérieur (et) la protection des intérêts alliés (…). Moyens : occupation des ports d’Odessa, Sébastopol… Assurer l’ordre dans le bassin (industriel et minier) du Donetz… »

Le conflit inter-impérialiste se terminait par la défaite de l’Allemagne. Mais la guerre continuait, menée par les États vainqueurs contre la classe ouvrière russe et pour la défense des actionnaires français. Associés ou non à leurs homologues anglais et belges, ils contrôlaient 80 % des mines et de la sidérurgie du Don, tous les réseaux de trams du pays, les chantiers navals ukrainiens de Nikolaïev, et surtout la dette d’État de la Russie tsariste…

Ayant pris la relève de l’armée allemande en Ukraine, la France et ses comparses voulaient étrangler la Russie, avant-garde d’une vague révolutionnaire qui levait partout en Europe. L’Angleterre débarqua des troupes en Russie du nord ; les États-Unis et le Japon, dans l’Extrême-Orient russe. Les États les plus puissants de la planète soutenaient ainsi les armées des généraux tsaristes, celles des possédants que les ouvriers et les paysans de Russie avaient renversés.

En Ukraine, les troupes françaises se heurtèrent à l’hostilité de la population – qu’elles massacrèrent au canon de marine à Kherson. Mais elles constatèrent aussi l’impossibilité de compter sur les Blancs, dont les chefs étaient aussi féroces qu’incompétents. Surtout, comme Franchet d’Espérey dut le reconnaître, « nos soldats, travaillés par une propagande bolchevique intense, ne songent pas à se battre. »

Ce travail était aidé par d’ex-membres de la mission militaire française ralliés à la révolution d’Octobre 1917, qui avaient créé le Groupe communiste français à Moscou. Une institutrice qui en faisait partie, Jeanne Labourbe, fut arrêtée et fusillée à Odessa le 2 mars 1919, pour avoir publié des tracts et affiches s’adressant aux soldats et matelots français.

Voici comment le journal Le Communiste, édité par les bolcheviks, s’adressait à ces soldats : « Pendant cinq ans, les ouvriers et les paysans de tous les pays ont versé leur sang sur les champs de bataille, pendant cinq ans les peuples ont supporté des souffrances inouïes, les privations, la famine, pendant cinq ans la vie habituelle de toute l’humanité a été arrêtée – tout cela pour que les diplomates de tous les pays puissent se réunir à Paris pour disposer du sort des peuples, comme ils en disposaient avant la guerre. (…) Où sont les belles paroles de Wilson sur “la paix sans annexions et sans contributions” et sur le “droit des peuples à disposer d’eux-mêmes” ? On a envoyé le peuple français se battre pour la défense nationale, mais à présent que l’impérialisme allemand est renversé, on l’envoie écraser la révolution russe et menacer la révolution allemande (qui avait éclaté fin 1918). (…) Nous ne savons pas quelle forme prendra cette paix, mais nous savons que cette paix ne sera pas durable, qu’elle porte de nouvelles guerres, de nouvelles boucheries. »

Bien des soldats envoyés par Paris ne voulaient pas de cette poursuite de la guerre. À Tiraspol, Kherson, ils refusèrent de combattre leurs frères soviétiques. Puis, le 16 avril, la révolte éclata dans la flotte. Partie du Protet, elle gagna la Crimée, où les équipages de La France et du Jean Bart entonnèrent L’Internationale et hissèrent le drapeau rouge, en salut aux travailleurs du port de Sébastopol. Le 21 avril, malgré l’arrestation des meneurs, tel André Marty, cinq navires étaient mutinés.

Une centaine de mutins sur un millier passèrent en cour martiale. Il y eut des condamnations à mort, aux travaux forcés… De crainte des réactions, le commandement préféra rapidement adoucir un peu ces peines. Le gouvernement, lui, jugea urgent de rappeler ses navires.

Cela mit un terme à la première intervention directe de la France contre la Russie des soviets, même si elle recommença en 1920 lors de l’offensive de la Pologne en Ukraine. La révolte n’en cessa pas pour autant dans la flotte de guerre : courant 1919, elle touchait Brest, Cherbourg, Bizerte (en Tunisie), Lorient, Toulon…

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