Irlande : vote massif pour la libéralisation de l’avortement30/05/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/06/2600.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Irlande : vote massif pour la libéralisation de l’avortement

Lors du référendum qui s’est déroulé le 25 mai en Irlande, plus des deux tiers des votants (66,4 %) se sont déclarés favorables à l’abrogation du 8e amendement de la Constitution, qui interdit l’avortement, avec un taux de participation de 64,1 %, un record pour ce genre de scrutin.

Nombre de partisans du oui ont été des jeunes, majoritairement des femmes. Dans les générations précédentes, elles ont été nombreuses à militer en faveur de l’abrogation du 8e amendement, exprimant pour la première fois les difficultés et les humiliations qu’elles avaient affrontées lorsqu’elles avaient dû avorter. Et si le oui l’a majoritairement emporté à Dublin, avec 75 % des voix dans certains quartiers, il est largement majoritaire dans le reste du pays, aux alentours de 60 %, y compris dans les régions campagnardes. Seul le Donegal, un comté rural du nord-ouest, a placé le non en tête, mais de peu, à 51,9 %. Beaucoup d’hésitants, souvent en raison de leur tradition catholique, ont finalement aussi opté pour le oui, tel ce chauffeur de taxi pour qui « le cœur dit non, mais la raison dit oui ».

Une législation répressive

Avec l’Irlande du Nord et Malte, l’Irlande a la législation la plus répressive en matière d’avortement en Europe. Le 8e amendement, adopté par référendum en 1983 sous la pression du lobby catholique, avait pour but d’inscrire dans la Constitution l’égalité du droit à la vie entre le fœtus et la mère, interdisant ainsi toute modification par voie parlementaire de la vieille loi de 1861. Du coup, sauf arrêt contraire de la Cour suprême qui ne pouvait être prononcé que dans des cas individuels, l’avortement restait non seulement interdit mais punissable de la prison à perpétuité.

Un premier assouplissement eut lieu en 1992, reconnaissant aux femmes le droit de recourir à l’avortement sans risquer de poursuites, mais seulement si elles se rendaient à l’étranger. Les formes d’information à ce sujet furent aussi légalisées. Dans le contexte lourdement marqué par l’emprise de l’Église catholique, c’était un progrès. Mais c’était un progrès fortement chargé d’hypocrisie et d’injustice sociale, puisque seules pouvaient en bénéficier les femmes qui en avaient les moyens, car le coût d’un tel voyage pouvait aller jusqu’à 2 000 euros, voire le double en cas d’intervention tardive.

Selon certaines estimations, 170 000 femmes se seraient rendues en Hollande et surtout en Angleterre depuis 1992. Mais, pour la majorité des femmes de milieux populaires, cette libéralisation restait inaccessible, soit par manque de moyens financiers, soit parce qu’en dehors des grandes villes la pression du conformisme social et l’absence d’organisme de planning familial faisaient qu’elles n’avaient personne à qui s’adresser.

La mobilisation militante a pesé

Le véritable tournant vint en 2012, après le choc causé par la mort par septicémie de Savita Halappanavar, une jeune dentiste d’origine indienne que les médecins avaient refusé d’avorter alors qu’elle faisait une fausse couche. En 2013, la loi fut alors un peu assouplie en autorisant l’avortement dans quelques cas très encadrés, dont celui de danger de mort pour la mère, et en ramenant la peine maximale encourue dans les autres cas à quatorze ans de prison.

À partir de cette époque, des groupes n’ont cessé de militer pour le droit des femmes à disposer de leur corps, à commencer par celui d’avorter. Peu à peu, la campagne en faveur de la libéralisation de l’avortement gagna du terrain, au point que, dès son arrivée au pouvoir, le Premier ministre Leo Varadkar, leader du parti de la droite libérale Fine Gael et porte-parole de son aile moderniste, fit de la promesse d’un référendum sur le 8e amendement son cheval de bataille. Cela lui permettait à la fois de promouvoir son image de rénovateur, de redorer le blason de son parti passablement terni par sept années de gestion d’une crise financière catastrophique, et de gagner des électeurs sur sa gauche, en particulier dans la jeunesse.

Quant à l’Église catholique, qui n’a cessé depuis l’indépendance du pays en 1921 de faire peser sa chape de plomb sur les consciences, elle a été étrangement silencieuse pendant la campagne du référendum. Il faut dire que les scandales qui se sont succédé ont fait douter de sa prétendue volonté de protéger les enfants. Après celui des blanchisseries pour filles-mères, les Magdalene laundries, où celles-ci étaient traitées en esclaves tandis que leurs enfants leur étaient enlevés pour être vendus à de riches Américains, il y a eu les nombreux cas de pédophilie dans le cadre de ses institutions. Puis il y a eu surtout la mise au jour en 2014 d’un charnier de près de 800 fœtus et d’enfants de moins de 3 ans morts de malnutrition ou de mauvais traitements dans l’un de ses orphelinats. L’Église catholique a donc sans doute jugé plus sage de se faire oublier.

D’ici quelques mois, le temps de légiférer, on peut espérer que sera tournée la page de décennies d’obscurantisme religieux opprimant plus particulièrement les femmes. C’est en tout cas cet espoir que des foules en liesse ont manifesté dans la rue dès les premiers résultats du vote connus, et il y a en effet de quoi se réjouir.

Mais ce ne sera certainement pas la fin de la lutte pour les femmes, qui devront comme en France continuer à se battre pour qu’il y ait assez de médecins qui ne se retranchent pas derrière leur « conscience » pour leur fermer la porte au nez, et surtout assez de centres de soins pour les accueillir avec les financements nécessaires pour que ces soins soient gratuits, ce dont il n’est encore nullement question.

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