Dans le monde

Russie : le tsar en son palais

Réélu le 13 mars à l’issue « d’élections sans choix », selon le slogan de l’opposition russe, Poutine a entamé son quatrième mandat le 7 mai. Cela tombe bien : c’est juste avant la célébration, comme chaque année, de la défaite de l’Allemagne nazie face à l’Union soviétique, sur fond d’une gigantesque parade militaire à Moscou. Celle-ci est destinée à témoigner tout à la fois de la puissance des armées de la Russie, de la place qu’elle a retrouvée sur la scène internationale, et bien sûr de ce que le peuple russe doit à celui qui a permis tout cela : Poutine.

Depuis 2000 qu’il a accédé au Kremlin, son chef n’en finit plus de restaurer les ors et les palais du tsarisme, ainsi que d’en célébrer les tristes héros. Il a ainsi fait canoniser le dernier tsar, Nicolas II, que les travailleurs avaient renversé lors de la révolution de 1917. Et il ne manque pas une occasion de flatter, subventionner et armer ceux qui se veulent les héritiers des cosaques, ce corps de répression spécialisé des tsars. Au point, la veille de son intronisation, d’avoir autorisé des cosaques actuels à jouer les supplétifs de la police, à Moscou place Pouchkine, en dispersant à coups de fouets quelques centaines de manifestants conspuant « le tsar Poutine ».

Ces manifestants étaient descendus dans les rues de la capitale, comme de plusieurs grandes villes, à l’appel de Navalny, l’opposant à Poutine le plus connu, et qui pour cela s’était vu interdire de participer à l’élection présidentielle en mars. Comme c’est désormais systématique à chacune de leurs manifestations, la police a procédé à des centaines d’arrestations, dont celle de Navalny lui-même.

Cette répression semble avoir découragé de récidiver une partie des dizaines de milliers d’étudiants, parfois de jeunes lycéens n’ayant connu d’autre régime que celui du nouveau « tsar » qui, il y a un an encore, défiaient le régime dans de nombreuses villes en des cortèges impressionnants.

Pour le maître du Kremlin, à un mois de l’ouverture des matchs de la Coupe du monde de football en Russie, dont il entend bien qu’elle célèbre sa grandeur et celle du pays, il s’agit d’enlever l’envie à quiconque de troubler la fête dans les onze villes qui accueilleront les compétitions.

À juger par ce qu’en dit la presse, les hommes du pouvoir étaient, ces dernières semaines, au moins autant préoccupés par l’éventualité que Poutine profite de sa réélection pour débarquer son Premier ministre, Medvedev. Une vidéo de Navalny vue par 15 millions d’internautes russes a dénoncé Medvedev comme un des hommes les plus riches de Russie et un politicien corrompu lié à des bandits tels les frères Magomedov, des oligarques récemment emprisonnés. Et nombre de commentateurs de spéculer sur le fait que Medvedev pouvait se voir évincer, à force d’avoir servi de fusible et de second à Poutine depuis des années. En effet, pour se maintenir au sommet, en équilibre entre des clans luttant férocement pour le pouvoir et les sources d’enrichissement qu’il procure, le « tsar »-Bonaparte qu’est Poutine se doit périodiquement de redorer son image. Pour cela, il doit faire retomber sur des seconds toutes les tares de son système et les mécontentements qu’elles suscitent sous la surface apparemment lisse de ce régime autoritaire.

Or, à la crise et aux sanctions occidentales, s’ajoutent les guerres que mène le Kremlin et qui grèvent le budget de l’État, les prix qui s’envolent, la monnaie qui se dévalue de plus en plus vite par rapport au dollar et à l’euro, les entreprises qui ferment. Tout cela ne peut que provoquer du mécontentement dans différentes couches de la société. En tout cas, durant l’élection présidentielle, une plaisanterie amère courait : on ne pouvait pas plus douter de son résultat que du fait que Poutine s’apprêtait à prendre des mesures s’attaquant au niveau de vie de la population. Le fait que Poutine, finalement, vienne de reconduire Medvedev semble aller dans ce sens : ce serait à celui-ci de prendre des mesures antipopulaires et d’en assurer le discrédit.

Partager