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Pierre Bois, alias Vic, alias Vauquelin, alias Arnoud

Notre camarade Pierre Bois est décédé, quelques jours avant son 80e anniversaire.

Pierre Bois a été incinéré au funérarium du Père-Lachaise le samedi 16 février 2002, dans une relative intimité, en présence de ses camarades les plus anciens et les plus proches.

Sa mère était d'une famille d'ouvriers agricoles de Picardie. Elle connut les travaux domestiques dès l'enfance et à l'âge de 14 ans fut placée comme bonne. Elle connut deux fois l'exode en 14-18, puis le retour dans un pays dévasté. Elle devint bonne à tout faire à Paris.

Son père était issu d'une famille de paysans très pauvres du Limousin et il devint maçon dans la région parisienne. Appelé au régiment en 1912, il fit deux ans de service militaire, puis fut mobilisé durant quatre ans pour la guerre de 1914 : Alsace, Chemin des Dames, Somme, Italie, il ne fut démobilisé qu'en 1920, rendu farouchement anti-militariste.

Après la naissance de ses fils, Pierre et Jean, il adhéra au Parti Communiste en 1923 et y resta jusqu'en 1933.

La famille Bois arriva à Goussainville, alors en Seine-et-Oise, en 1925, dans un lotissement sans urbanisation : ni eau, ni gaz, ni électricité, ni tout-à-l'égout, des chemins de terre en guise de rues. Le père de Pierre mit toute sa vie à construire sa maison et mourut avant qu'elle soit réellement terminée.

Il est allé à l'école à sept ans, car on avait dû attendre qu'il y ait une école. C'est là qu'il connut Mathieu Bucholtz, qui l'amena plus tard aux idées trotskystes.

Pierre Bois commença à travailler à 15 ans, comme maçon chez un petit patron. Entre-temps il était entré à la "Fanfare ouvrière de Goussainville". Tous les membres étaient militants ou sympathisants du PC. Il y était trompette d'harmonie et il y resta jusqu'à ce que la fanfare soit dissoute au début de la guerre.

Au même âge, à 15 ans, Pierre entra aux JC qui, à l'époque, s'occupaient surtout de la guerre d'Espagne. Avec une vingtaine de copains des JC, il avait bâti la "maison du cercle JC" en achetant une maison désaffectée du chemin de fer qu'ils avaient retapée eux-mêmes.

C'est là qu'il connut ses premières lectures politiques B dans la ligne stalinienne B, devint responsable de la bibliothèque et responsable de la diffusion de l'Avant-Garde.

À 17 ans, il réussit à se faire embaucher chez Brissoneau, une entreprise qui fabriquait des locotracteurs et des wagons de métro à Montataire, près de Creil, dans l'Oise. Il devait faire 70 km aller-retour par jour à bicyclette pour se rendre au travail. Puis il entra à la SNCF comme "élève-bureau" à "l'exploitation", c'est-à-dire une sorte d'apprenti employé, au plus bas dans la hiérarchie de l'administration.

Juste avant la guerre, Pierre Bois travaillait à la gare de Survilliers, toujours en Seine-et-Oise.

Il continua à militer à la JC après l'interdiction de toutes les organisations communistes par un décret-loi de Daladier. Puis grâce aux quelques libertés de déplacement qu'il avait en tant que cheminot, il continua encore pendant l'Occupation, après l'attaque de l'URSS par l'Allemagne.

C'est en 1941 que son ancien camarade de classe, Mathieu Bucholtz, le convainquit du fossé croissant entre la politique du PC et les principes du communisme. Pour cela, Bucholtz lui fit lire les ouvrages de base du marxisme, puis, avec des faux papiers d'étudiant, le fit lire à la Bibliothèque Nationale où l'on pouvait encore se faire communiquer des ouvrages interdits.

Pierre Bois se levait à trois heures du matin pour aller en vélo à Saint-Denis, où il travaillait alors. Il ne pouvait pas y aller en train puisque c'est lui qui ouvrait la gare à cinq heures du matin ! Il y travaillait jusqu'à 13 heures et, l'après-midi, il allait lire à la Bibliothèque Nationale jusqu'à 17 ou 18 heures. Ensuite il retournait à Goussainville en vélo.

Il voyait Bucholtz une à deux fois par semaine. Buscholz appartenait au "Groupe Communiste IVe Internationale", créé par un militant surnommé Barta.

À partir de là, Pierre Bois devint un militant trotskyste, c'est-à-dire communiste à part entière. Il participa aux activités du groupe. En novembre 1942, la zone dite "libre" fut à son tour occupée par les Allemands. Barta lui demanda alors de passer, grâce à sa carte de cheminot, en zone libre pour voir Raptis (Pablo, dirigeant du POI) à Saint-Hilaire-du-Touvet, près de Grenoble, où il était en sanatorium, afin de lui transmettre les publications du groupe. Quelques mois plus tard, Raptis, revenu à Paris, donna pour le groupe, devenu "Union Communiste (IVe Internationale)" des cours d'éducation marxiste auxquels Pierre Bois assista.

Au mois de juin 1943, ce fut le service du travail obligatoire, le STO, pour les jeunes de son âge. Il fut affecté sur place à la SNCF. Mais quelque temps après, il fut réquisitionné comme cheminot pour aller faire des embarquements de troupes à Hambourg. Alors il devint "réfractaire" au STO (carte 4554) et entra dans la clandestinité jusqu'à la fin de la guerre.

Il vécut tant bien que mal, comme les autres militants de son organisation.

À la Libération, il fut, parce que trotskyste, enlevé par des membres du Parti Communiste et emmené au siège du PC, de même que son frère Jean. C'est là qu'on demanda à Jean s'il connaissait "Bucholtz". Pierre fut relâché, Jean put s'enfuir et c'est alors qu'ils apprirent qu'on venait de retrouver le corps de Mathieu Bucholtz dans la Seine, qui portait des impacts de plusieurs balles dont aucune n'était mortelle.

En décembre 1944, Pierre Bois entra, sur la demande de l'organisation, comme ouvrier chez Citroën. D'abord à Saint-Ouen, aux Presses, où il fallait emboutir des tôles de 28 kg. Le travail se faisait à deux, l'un attrapait la tôle, l'autre la recevait pour la faire passer sous la presse, et il fallait en faire une à la minute.

Il fut ensuite muté à Citroën Levallois, où l'on refaisait des moteurs américains GMC qui revenaient du front. On les démontait et on les remontait après les avoir nettoyés sous un jet d'eau chaude additionnée de potasse. Puis il travailla aux "Vilebrequins". Enfin, il fut muté à Clichy. Il quitta Citroën au bout de onze mois et fit des petits boulots avant de se faire embaucher, toujours sur la demande du groupe, chez Renault, en mai 1946. Il fut affecté au "Département 6", qui fabriquait principalement des pignons.

En avril-mai 1947, à la tête des travailleurs des départements 6 et 18, qui élurent un comité de grève, il fut, sous la direction politique de Barta, l'animateur et le dirigeant de la grève de Renault Billancourt qui obligea les ministres communistes à sortir du gouvernement Ramadier.

Par la suite, comme la CGT ne voulait pas reconnaître la section syndicale du 6 et 18, Pierre Bois fut amené à créer, on peut dire malgré ses idées, un syndicat indépendant, le Syndicat Démocratique Renault (SDR) qui mena un combat difficile pour se faire reconnaître légalement et pouvoir présenter des délégués.

En 1949, l'Union Communiste éclata à la suite d'un conflit entre Barta et Bois sur la façon dont Barta entendait diriger le SDR.

Après la dissolution de l'UC, Pierre Bois continua à militer chez Renault. Il publia un petit journal, le Travailleur émancipé puis, avec des camarades de l'usine proches de "Socialisme ou barbarie", il participa à un journal dont la diffusion se limitait à la Régie Renault, du nom de Tribune Ouvrière. Le premier numéro parut en mai 1954.

De cette époque à 1956, avec un certain nombre d'anciens de l'UCI, Pierre Bois, qui a toujours été pour nous notre camarade Vic, fut l'un des principaux artisans de la création du groupe Voix Ouvrière, celui qui avait le plus de crédit militant auprès de tous les autres camarades.

A partir de là, sa vie se confond avec l'activité de ce groupe.

Puis, après la dissolution de Voix Ouvrière à la suite des événements de mai 1968, qui eut lieu en même temps que celle d'autres organisations d'extrême gauche, Vic fut à l'origine de Lutte Ouvrière.

Au-delà du respect, de l'amitié, de la camaraderie, de l'affection que nous avions tous pour lui, il était celui qui, dans nos rangs, incarnait vraiment la conscience de classe.

Tous ceux qui l'ont connu, dans les congrès, les réunions du CC ou celles du CE, se souviennent de ses interventions, que l'on pourrait dire musclées lorsque les décisions que nous envisagions de prendre ressemblaient tant soit peu à des compromis ou à des faiblesses. Récemment, à notre dernier congrès, il a rappelé à voix haute et forte, qu'en 1981 il n'avait pas appliqué les consignes de l'organisation et que, pour sa part, il n'avait pas voté Mitterrand au deuxième tour.

Il avait, il est vrai, un vieux fond un peu libertaire, mais en ces temps de compromis de toute sorte, d'abandon des idées communistes, son radicalisme bien dans la tradition du mouvement ouvrier communiste était pour nous un garde-fou précieux.

Presque jusqu'au tout dernier moment, il a participé à la vie de notre organisation, à sa cellule, à sa section, à ses AG, au Comité exécutif, au Comité central et au Congrès.

En tout cas, si nous avions eu le temps, nous aurions voulu lui dire qu'il nous avait été et qu'il nous était indispensable. Il représentait une ancienne génération d'ouvriers communistes, qui s'amenuise de jour en jour.

Nous espérons contribuer à en faire naître d'autres de la même trempe, du même courage et du même dévouement envers les autres.

Nous sommes affreusement tristes, mais tant que Vic sera présent, intact, dans la mémoire du dernier survivant d'entre nous, il sera vivant.

Cette survie-là se passe de pierre tombale, de mémorial ou de tout autre symbole artificiel.

Très peu de temps avant sa mort il prit encore la parole à la tribune du congrès de Lutte Ouvrière du début décembre 2001, et nous n'oublierons pas la fin de son intervention :

"Je voudrais cependant terminer en vous disant : ce ne sont pas les vieux qu'il faut féliciter. Bien sûr, ils ont eu le mérite d'avoir tenu. Mais si c'est quelque chose d'important, ou en tout cas de notable, c'est vraiment dû aux circonstances de ces temps sans idéal.

Ceux que je voudrais féliciter, moi, ce sont les jeunes qui sont ici. Je ne vous dirai pas où commence et à quel âge finit la jeunesse, mais c'est eux qui représentent l'avenir de nos idées et c'est à eux que reviendra, je l'espère, la tâche de les mettre en oeuvre.

En effet, ceux que j'applaudis sont les jeunes qui entrent maintenant dans la vie militante. Les raisons d'espérer ils ne les trouvent pas autour d'eux. C'est donc que c'est en eux qu'ils les trouvent. Et c'est pour cela qu'il faut les féliciter.

Et je leur dirai qu'en soixante ans de militantisme, j'ai toujours été heureux, malgré toutes les circonstances traversées. Heureux de m'instruire, de penser, de lever la tête. Heureux parmi mes camarades de toutes les générations, heureux de ne pas être cloîtré dans un tout petit milieu comme le sont malheureusement la plupart des gens.

Alors, camarades, bon courage et ayez confiance dans l'avenir de l'Humanité !"

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