Leur république n'est pas celle des travailleurs13/01/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/01/une2163.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Leur république n'est pas celle des travailleurs

La mort de Philippe Séguin a donné lieu à un festival d'éloges, pour expliquer que c'était un « vrai républicain », formulé par des gens qui se prétendaient aussi des « vrais républicains ». Encore heureux que, parmi les hommes qui gouvernent le pays, personne n'ose se prétendre royaliste ou bonapartiste ! Mais qu'est-ce que ça veut dire aujourd'hui, républicain, dans un pays où toutes les décisions politiques sont prises en fonction des seuls intérêts d'une petite minorité de gros possédants ? Que signifient les prétendues valeurs de la république dont on nous rebat les oreilles ? Qu'est ce que la liberté, l'égalité et la fraternité, en dehors de trois mots vidés de leur sens, gravés sur tous les bâtiments publics ? Où est la liberté, pour ceux que la simple décision d'un conseil d'administration peut transformer en chômeurs, peut par voie de conséquence priver de leur maison, dont elle peut briser la famille, et tout cela dans le seul but de permettre aux actionnaires de continuer à encaisser des dividendes aussi plantureux malgré la crise ?

Où est l'égalité, quand l'État distribue des milliards aux grandes entreprises (et à leurs actionnaires) et déclare qu'il n'est pas possible d'augmenter le smic de plus de 0,5 % sur l'année ? Où est la fraternité, quand des hommes meurent de froid sur des trottoirs gelés, parce qu'il y aurait en France, selon la fondation Abbé-Pierre, 100 000 sans-abri et 3,5 millions de très mal logés, alors que la presse annonce fièrement que, pour 20 000 à 40 000 euros la semaine, on peut désormais louer une suite dans un cinq-étoiles à Courchevel ?

En réalité, république, démocratie, liberté, égalité, fraternité ne sont dans notre société que des mots slogans, destinés à camoufler les vrais rapports sociaux, l'oppression et l'exploitation de la grande majorité de la population par une petite minorité de richards.

Parce que, tant qu'à évoquer les « valeurs de la république », pourquoi ne pas se référer à celles que défendaient les hommes de la Révolution française, qui ont fait vivre cette république ? Ils ne se posaient pas de problème métaphysique sur « l'identité nationale ». Pour les révolutionnaires de 1793, tous ceux qui travaillaient en France devaient être considérés comme des citoyens français et jouir de tous les droits qui s'attachaient à cela, c'est-à-dire le droit d'élire et d'être élu.

Bien sûr, les possédants de l'époque ne voyaient pas d'un bon oeil que tous les citoyens, les pauvres comme les riches, aient un même droit à la parole. Et quand la vague révolutionnaire est retombée, ils se sont empressés d'arracher ses conquêtes au peuple. Ils ont institué le suffrage censitaire, qui réservait le droit de vote à ceux qui payaient suffisamment d'impôts, c'est-à-dire aux riches. Ils ont remis des rois sur le trône.

Mais la grande masse des travailleurs, qui était restée attachée aux conquêtes de la révolution, souhaitait le retour à la république, mais pas à n'importe quelle république. Elle voulait la « sociale », la république sociale, celle qui ferait cesser l'oppression et l'exploitation dont étaient victimes les classes populaires.

Il a fallu attendre plus d'un demi-siècle après la Révolution française pour voir réapparaître le suffrage universel. Mais un suffrage universel pipé, parce que les possédants ont appris à fabriquer des systèmes électoraux qui réservent pour l'essentiel l'accès aux assemblées élues aux représentants de la bourgeoisie. Oh, il n'y a plus de suffrage censitaire mais, pour se présenter aux élections à égalité de chances, il faut disposer de moyens financiers considérables. Il n'y a plus de suffrage censitaire, mais des millions de travailleurs sont écartés du droit de vote parce qu'ils n'ont pas de carte d'identité française. Et quand un ministre de Sarkozy, l'expulseur Besson, pour se donner l'air « démocrate », murmure qu'il serait favorable au droit de vote pour les travailleurs immigrés, c'est pour ajouter que c'est seulement pour les élections locales, pas avant dix ans, et que cela poserait bien des problèmes.

Leur république n'est vraiment pas la nôtre. Et, pour construire la république des travailleurs, ce n'est pas sur le bulletin de vote qu'il faut compter.

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 11 janvier

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