Saint-Frères (80) : Une fermeture programmée05/07/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/07/une1771.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Saint-Frères (80) : Une fermeture programmée

Des rumeurs persistantes circulent sur un plan de licenciements de 50 à 80 ouvriers de l'usine Rosenlew- Saint-Frères de Beauval. La direction vient de mettre en congé les salariés pour une semaine. Les cadres cherchent du travail ailleurs.

En fait, la fermeture progressive de cette usine d'emballages plastiques est programmée depuis plusieurs années. L'usine accumule les plans de licenciements ; un par an depuis quatre ans. Le dernier avait réduit les effectifs de 100 personnes et s'était traduit par la fermeture de certains ateliers.

Il reste actuellement 160 travailleurs sur le site. Dans les usines Saint-Frères, ils étaient encore plus de 700 dans les années soixante. Ces suppressions d'emplois successives ont éprouvé durement une région largement tournée vers l'industrie textile.

L'industrialisation de la vallée de la Somme s'était en effet faite au travers de l'implantation des usines Saint-Frères dès 1889. Les frères Saint possédaient chacun de nombreuses fabriques dans la vallée. Capitaines d'industrie très paternalistes, ils géraient la vie de leurs travailleurs de la naissance à la mort, construisant usine, logements, boutiques, maternités et cimetières. En n'oubliant pas de se garder, pour chacun d'entre eux, un château.

Celui de Flixecourt est bâti à flan de colline et madame Saint, qui occupe seule cette immense bâtisse, surplombe toujours les étroits corons ouvriers qui s'agglutinent autour de l'ancienne usine dans la cuvette où la petite ville a été naguère construite.

Les héritiers de la famille Saint ont exploité des générations d'ouvriers dans toute la vallée, puis ils ont placé leur argent ailleurs. Actuellement, il ne reste plus de cet empire qu'une petite unité de production de bâches à Flixecourt et l'usine de Beauval qui appartient désormais à une multinationale finlandaise.

Les propriétaires ont changé, mais pas les conditions de travail. De nombreux ouvriers ont commencé à travailler à l'usine dès l'âge de 14 ou 16 ans. Ils y ont passé trente ans pour un salaire qui ne dépasse le Smic que de justesse. Les bâtiments ne sont plus rénovés depuis longtemps et dans certains ateliers l'eau goutte du plafond sur les machines à coudre électriques.

La discipline est sévère : les pauses cigarettes ou toilettes sont chronométrées et déduites du temps de travail. Le jeune directeur, fraîchement nommé, distribue les avertissements pour un rien. C'est sans doute sa traduction française des déclarations du grand PDG finlandais qui affirmait sans rire : " Notre but est une culture d'entreprise dans laquelle la compagnie et ses employés poursuivent un même objectif. Nous croyons qu'une culture de ce type encouragera chacun à aimer son travail et à y prendre plaisir. "

La culture de cette multinationale, c'est le profit. Les bénéfices ont connu depuis 2000 de nouveaux records, enregistrant même les meilleurs scores depuis cinquante ans. Le groupe a dernièrement racheté toute une série d'entreprises aux quatre coins du monde. Aussi les arguments pour justifier les licenciements sonnent-ils faux. La mauvaise conjoncture, l'arrêt d'une partie des commandes de sacs pour AZF n'ont pas empêché l'usine de Beauval de réaliser des bénéfices.

L'an dernier, les ouvriers avaient fait grève contre le plan de licenciements. Ils avaient organisé des opérations " escargot " sur la nationale et une manifestation à laquelle s'étaient joints de nombreux habitants de villes ouvrières des environs. La fermeture de l'usine signifie la mort de la commune de Beauval. Tous les habitants travaillent ou ont un proche qui est à l'usine. Pour les salariés qui ont plus de quarante ans, le licenciement laisse peu d'espoir de retrouver un vrai travail. Beaucoup de ceux qui ont été licenciés ces dernières années sont toujours au chômage, courent après des CES ou se retrouvent après cinquante ans à enchaîner des missions d'intérim.

La fermeture définitive de l'usine projetée par les patrons mettra les 160 derniers ouvriers dans une situation encore plus difficile au regard des vagues de licenciements collectifs qui se succèdent actuellement dans le département. Le taux de chômage dans cette zone du nord d'Amiens est de 21 %.

Une réaction collective du plus grand nombre possible de travailleurs est pourtant indispensable pour mettre un coup d'arrêt à ces plans de licenciements à répétition.

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