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La situation en France

La crise politique bat son plein

En France, le personnel traditionnel de la bourgeoisie ne sait plus comment gouverner. Depuis juin 2024, date de la dissolution de l’Assemblée, le pays a connu quatre Premiers ministres, la nomination de 90 ministres, des Premiers ministres démissionnaires pendant 62 jours, des gouvernements réduits à expédier les affaires courantes pendant 144 jours. Après un premier gouvernement qui n’a tenu que 14 heures, Lecornu est à la tête d’un deuxième gouvernement qui ne peut espérer tenir et faire passer un budget qu’en faisant le grand écart entre Les Républicains et le Parti socialiste.

Estimant avoir plus à perdre qu’à gagner dans de nouvelles élections législatives, LR et le PS assurent la survie de Lecornu. Mais ils ne veulent pas apparaître comme les bouées de sauvetage d’un gouvernement qui peut sombrer à tout moment, les entraînant dans son naufrage. Le moindre incident, la moindre déclaration ou n’importe quel sondage peuvent donc les conduire à le lâcher et provoquer la dissolution demandée à hauts cris par le RN. LFI demande, elle, la destitution de Macron et une présidentielle anticipée.

À son grand dam, la bourgeoisie constate la petitesse et l’irresponsabilité de son personnel politique, incapable d’assurer ne serait-ce que la gestion courante de l’État bourgeois en établissant un budget. Censés gérer les contradictions et le chaos provoqués par l’anarchie capitaliste, président de la République, ministres et chefs de partis rajoutent de l’imprévisibilité et de la zizanie au sommet de l’appareil politique de l’État.

Pour le grand patronat, qui aspire toujours à jouer dans la cour des grands quand bien même la France n’est plus qu’un impérialisme de seconde zone, le pire est de ne pas avoir au sommet de l’État un « conseil d’administration » stable pour l’aider à affronter ses concurrents internationaux. À l’heure où la compétition capitaliste fait rage pour l’accès aux ressources, aux technologies et aux marchés militaires, la grande bourgeoisie française doit se contenter d’un gouvernement englué dans le minable jeu politicien.

Lecornu et les macronistes, qui arboraient tel un trophée d’avoir imposé la retraite à 64 ans, se sont vus forcés, pour rester au pouvoir, de mettre la réforme sur pause jusqu’à la prochaine présidentielle. Le coût d’une nouvelle dissolution serait supérieur au coût engendré par la pause temporaire de l’augmentation de l’âge de départ à la retraite, se sont-ils justifiés. Ils se retrouvent aussi contraints de négocier, toujours avec le PS, une taxation symbolique sur les plus riches. Même limitées et plus que compensées par une multitude d’autres attaques antiouvrières, la bourgeoisie se serait bien passée de ces concessions.

La classe capitaliste exige de ses politiciens une guerre sociale impitoyable

Jusque-là, la bourgeoisie n’a pas eu à se plaindre de Macron. Toute sa politique l’a aidée à traverser la crise tout en continuant de s’enrichir considérablement : ses profits, ses dividendes ainsi que ses cours boursiers ont battu des records ces dernières années. Les 500 plus grandes fortunes ont doublé leur patrimoine entre 2017 et aujourd’hui, et le club des familles milliardaires, qui comptait 39 membres en 2017, en compte aujourd’hui 145.

Ce bilan doit beaucoup à la politique de Macron qui a mené la guerre sociale sur plusieurs fronts : baisse des impôts de la bourgeoisie, explosions des subventions accordées au patronat, attaques contre le code du travail, contre les droits au chômage et à la retraite, facilitation des licenciements… Cela, sans que le monde du travail se fasse réellement menaçant, pas plus en 2018 lors du mouvement des Gilets jaunes contre la hausse des prix du carburant qu’en 2023 contre la réforme des retraites de Borne.

La bourgeoisie veut que cette offensive antiouvrière se poursuive. « Le compromis parlementaire » est la condition de la survie politique de Lecornu, mais la lutte de classe est une nécessité pour la bourgeoisie française. Au début du 20e siècle et après la Deuxiè­me Guerre mondiale, alors que s’ouvraient de nouveaux marchés et de nouvelles sources d’enrichissement, la bourgeoisie a accepté des compro­mis avec la classe ouvrière en rétrocédant une partie de la plus-value aux travailleurs sous forme d’allocations chômage, de pensions, d’hôpitaux publics et d’aides diverses et variées que peuvent apporter les collectivités locales ou les associations subventionnées par l’État…

Aujourd’hui, en raison des taux de croissance très faibles, 1,2 % du PIB en 2024 et 0,9 % en 2025, il y a peu de richesses supplémentaires produites.. La bourgeoisie ne peut maintenir ou accroître ses profits qu’en aggravant l’exploitation, le racket des consommateurs en augmentant les prix et son pillage des caisses publiques. L’explosion des profits et des grandes fortunes est payée par des salaires bloqués, plus de précarité, d’inflation et de dette publique.

La dette : produit et facteur aggravant du déclin de l’économie française

La stagnation chronique de l’économie française et le caractère de plus en plus parasitaire de la bourgeoisie se reflètent dans la crise de la dette publique. Celle-ci a franchi le seuil des 3 400 milliards d’euros, soit 115 % du PIB. Elle a flambé après la crise des subprimes de 2008, pendant laquelle Sarkozy a mobilisé 360 milliards d’euros d’argent public pour sauver les banques et les grandes entreprises. Elle a franchi un autre palier avec la pandémie de Covid de 2020 et 2021, où Macron a dépensé 424 milliards pour maintenir la classe capitaliste à flot malgré le brutal ralentissement de l’économie.

Avant de se faire hara-kiri, Bayrou a expliqué que les 1 000 milliards de dettes contractées entre 2016 et aujourd’hui n’avaient pas servi à des investissements, mais étaient des dépenses courantes. Il pointait alors le prétendu poids des pensions de retraite, mais il n’a pas eu un mot sur les « dépenses courantes » qui consistent à mettre le grand patronat sous perfusion d’argent public. Une grande partie de ces aides, entre 211 et 270 milliards d’euros par an, ont fini dans les poches des actionnaires et des milliardaires.

En 2024, la charge de la dette, c’est-à-dire le versement des seuls intérêts, s’élevait à 58 milliards d’euros. Elle sera de 69 milliards en 2025 et devrait dépasser les 100 milliards en 2028. La dette publique est un mécanisme par lequel l’État redistribue une partie de la richesse nationale aux détenteurs de capitaux. Marx soulignait ce racket institutionnalisé en écrivant de façon ironique : « La seule partie de la prétendue richesse nationale qui entre réellement dans la propriété collective des peuples modernes, c’est leur dette publique.» (Le Capital – 1867).

, cette dette, même si elle sert de prétexte pour faire les poches aux classes populaires, est présentée comme nuisible par quasiment tous les politiciens de la bourgeoisie. Les financiers, les banques et les rentiers en profitent certes largement : le remboursement des intérêts de la dette représente un flux d’argent permanent et garanti dans leurs caisses. Mais l’ampleur de la dette fait monter les taux auxquels l’État emprunte, ce qui pousse l’ensemble des taux d’intérêt à la hausse et se transforme en boulet pour les investissements et l’économie bourgeoise dans son ensemble.

Autre problème d’importance, cette dette limite les marges de manœuvre du gouvernement. Alors que l’État n’est même pas capable d’investir ne serait-ce que pour préserver l’existant, par exemple la maintenance du réseau de distribution d’eau, il y a des besoins d’investissements gigantesques dans l’énergie, dans la transition écologique et, bien sûr, dans l’armement.

La crise de la dette est le signe d’une économie pourrissante en proie à des charognards incarnés par une grande bourgeoisie financière de plus en plus parasitaire. Un signe symptomatique de cette évolution parasitaire et spéculative de l’économie capitaliste est, par exemple, l’envolée du cours des actions de LVMH durant la journée du 15 octobre, qui a accru d’un seul coup la fortune de Bernard Arnault de 16 milliards d’euros !

C’est en dernier ressort le déclin de la bourgeoisie française par rapport aux autres puissances impérialistes, sa guerre sociale acharnée contre les travailleurs qui entraînent la chute de ses politiciens et l’affaiblissement de ses partis politiques traditionnels et la fragilisation de son système électoral et parlementaire.

Le RN en pole position pour gouverner dans un contexte de plus en plus réactionnaire

L’évolution droitière, nationaliste et réactionnaire de la société s’est poursuivie. Elle est le produit de l’approfondissement de la crise du système capitaliste et n’a rien de spécifiquement français. Cette évolution se mesure, ici, dans l’attractivité que continue d’exercer le Rassemblement national.

Le RN est le parti bourgeois dont la base électorale n’a cessé de grandir ces dernières décennies. Lors du premier tour des législatives de 2024, auquel la participation était élevée, il a réalisé un score historique : 33,4 % des voix contre 13 % en 2017 et 18,7 % en 2022. Dans la circonscription d’Hénin-Beaumont, jadis bastion des socialistes, Marine Le Pen a été élue dès le premier tour, tandis que non loin de là, Fabien Roussel était battu par un candidat du RN dans sa propre circonscription du Nord. Le RN a alors laissé loin derrière lui la gauche unie dans le Nouveau Front populaire (27,99 %) et la coalition présidentielle Ensemble (20,04 %). S’il n’a pas obtenu de majorité à l’Assemblée, c’est en raison de l’alliance de la gauche et des macronistes.

Les sondages indiquent que cette ascension va se poursuivre. La condamnation de Le Pen dans l’affaire des assistants parlementaires européens à cinq ans d’inéligibilité et quatre ans de prison n’a pas refroidi les ardeurs de ses soutiens. Un sondage daté du 31 octobre confirme que le RN arriverait largement en tête d’une présidentielle, Bardella faisant plus que Le Pen. Dans ce sondage, les candidats de gauche et d’extrême gauche réunissent péniblement 30 % des voix, contre 70 % pour les candidats d’extrême droite, de droite et macronistes.

Dans les classes populaires, le soutien au RN conserve les mêmes ressorts : illusion d’un « renouveau » avec « le parti qu’on n’a pas essayé » et la démagogie contre les immigrés et les « assistés ». Cette dernière n’apparaît plus honteuse dans toute une partie de l’électorat. Pour s’adresser à cette fraction de plus en plus grande de la population, quasiment tous les partis de l’échiquier politique ont repris en partie ou en totalité les thèmes de l’extrême droite, que ce soit la sécurité ou l’immigration.

Fin 2023, Darmanin s’est illustré en faisant adopter une nouvelle loi Asile et immigration appliquant une partie importante du programme lepéniste. Retailleau, chef des LR, ministre de l’Intérieur des gouvernements Barnier puis Bayrou, a été l’un des ministres les plus populaires en passant son temps à dénoncer « l’islamisation de la France » et à provoquer le gouvernement algérien.

Du côté de la gauche, que ce soit le PS, le PCF ou LFI, il est plus que jamais question de protectionnisme, de priorité aux productions françaises et à la souveraineté française… Cela revient à développer le même discours nationaliste que le RN en banalisant la politique de préférence nationale et à mettre les travailleurs à la remorque de la bourgeoisie française.

Dans son contre-budget et en prévision des prochaines campagnes législatives et présidentielle, le RN a décidé d’exploiter à fond la fibre nationaliste et anti-immigrée. Il promet de faire 12 milliards d’euros d’économies sur l’immigration et de diminuer de 8,7 milliards la participation française à l’Union européenne, sur le mode « I want my money back », de Margaret Thatcher.

Fut un temps où un tel programme aurait privé le RN du soutien de la bourgeoisie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Celle-ci est bien placée pour savoir qu’il faut une politique pour être élu et une autre, une fois au pouvoir. La gauche en a fait la démonstration à de multiples reprises, alors que les travailleurs attendaient bien plus d’elle qu’ils n’en espèrent du RN.

La bourgeoisie peut d’ailleurs se rassurer en regardant ce qui se passe du côté de l’Italie. Meloni fait en effet preuve de beaucoup de souplesse pour adapter son programme aux besoins patronaux. La candidate, qui prônait la sortie de l’euro et prétendait s’opposer aux « diktats de Bruxelles » et à la dictature des « trusts étrangers » au nom du pouvoir d’achat des petites gens, s’est muée en bonne élève de l’Union européenne et en « princesse de l’austérité ». Et malgré son programme xénophobe et anti-immigrés, elle a accordé 500 000 visas de travail pour des ressortissants non européens.

À l’instar de Bolloré et de Stérin, relayés par des journalistes et des chroniqueurs de la sphère CNews, une partie de la grande bourgeoisie milite ouvertement pour cette « union des droites » dont le RN serait la principale composante. Même si Le Pen se défend d’un tel objectif pour ne pas effaroucher ses électeurs venus de la gauche, cette union des droites est en marche. Le 30 octobre, le RN a réussi à faire voter, pour la première fois, une proposition de résolution à l’Assemblée grâce aux voix de la droite et des députés d’Édouard Philippe. Cette victoire est d’autant plus symbolique que cette alliance s’est produite à propos de l’Algérie.

C’est en effet sur la question algérienne, après le référendum sur l’autodétermination de l’Algérie, que s’étaient fracturées la droite et l’extrême droite. Le Front national s’était créé, dix ans après, sur le rassemblement d’anciens collaborateurs et de récents terroristes de l’OAS, unis dans le refus de l’indépendance de l’Algérie et dans la rancune contre les gaullistes coupables, selon eux, d’avoir bradé l’empire colonial. Le cordon sanitaire que la droite avait alors instauré contre Le Pen-père et ses amis, qui était de plus en plus perméable, est en train de craquer.

De fait, le RN se prépare à gouverner. Depuis quelques années, et de façon encore plus nette depuis juin 2024, quand Bardella s’est vu arriver à Matignon, il donne le maximum de gages à la bourgeoisie, s’élevant par exemple contre la taxe Zucman et « l’enfer fiscal français ». En coulisses, il multiplie les contacts pour gagner la confiance des milieux patronaux. Il a attiré à lui des cadres de la bourgeoisie et des hauts fonctionnaires qui ont misé sur lui pour faire une carrière politique et qui ne feraient pas tache chez Les Républicains, quand ils n’en sont pas issus. Si le RN ne peut pas créer en quelques années les liens quasi fusionnels unissant la droite et une partie de la gauche à la bourgeoisie, il met les bouchées doubles pour compenser son retard.

De plus, le RN présente un autre avantage aux yeux de la bourgeoisie : par son histoire, par ses cadres et par son nationalisme, il peut préparer le pays à l’évolution autoritaire et à la marche à la guerre.

Une classe ouvrière passive et désorientée

Salaires, pensions et retraites loin d’avoir suivi l’inflation, flambée des prix alimentaires et de l’énergie, intensification du travail, licenciements et précarité, pénurie croissante de logements à des loyers abordables, humiliations quotidiennes… malgré les coups qu’elle encaisse, la classe ouvrière ne se fait ni voir ni entendre. Des groupes richissimes tels Michelin ou Stellantis ont pu fermer des usines sans véritable opposition ouvrière. Les mobilisations de cette dernière rentrée lancées par l’appel venu des réseaux sociaux pour le 10 septembre sont restées très minoritaires. Les discussions auxquelles elles ont donné lieu autour des blocages ou du boycott de la carte bleue montrent que peu de travailleurs sont disposés à s’engager dans la lutte.

La CGT, qui a encore la réputation d’être la confédération la plus combative, n’a pas voulu offrir de perspective à une mobilisation qui se cherchait. Après avoir commencé par dénigrer les mobilisations du 10 septembre, se méfiant par-dessus tout des actions qui lui échappent, elle a imposé, avec l’intersyndicale, ses propres dates sans plan d’ensemble. Si elle n’est pas allée jusqu’à qualifier, comme la CFDT, la vrai-fausse suspension de la réforme des retraites de « grande victoire pour les travailleuses et les travailleurs », la CGT s’est effacée dès que la crise politique est devenue aiguë, laissant l’initiative aux partis de gauche.

Même dans le contexte actuel, alors que le gouvernement n’a aucune base dans les classes populaires, que la majorité des travailleurs regardent le spectacle politicien avec dégoût ou indifférence, la CGT choisit de s’adresser avant tout aux ministres et de remettre une pièce dans la machine à illusions sur l’État. Un communiqué récent indique par exemple : « La CGT a appelé le ministre à organiser des assises de l’industrie afin de définir une stratégie ambitieuse de réindustrialisation. »

Non seulement la classe ouvrière ne lutte pas en tant que telle, mais elle n’a pas conscience d’elle-même. La politique de division du patronat, la démagogie contre les étrangers et les musulmans et son corollaire, le repli identitaire et, plus simplement, la dureté de la vie d’exploité, séparent et isolent les travailleurs les uns des autres. Faute de réactions collectives, le sauve-qui-peut individuel, le recours au système D et le renfermement sur sa communauté, souvent religieuse, se généralisent.

Politiquement, l’écrasante majorité des travailleurs est toujours dans l’attente du sauveur suprême. Une partie le cherche du côté du RN, l’autre vers LFI. Le vote ouvrier pour le RN reflète l’absence totale de conscience de classe car il popularise des idées nuisibles au monde ouvrier. Mais le vote des travailleurs pour LFI, qui témoigne d’illusions renouvelées en une politique gouvernementale de gauche, les éloigne aussi du terrain de la lutte et de la conscience de classe.

, qui influence particulièrement le milieu syndicaliste, ne le fait pas sur la base des idées de lutte de classe. En bon parti réformiste et respectueux de la propriété capitaliste, LFI propage, comme le font depuis longtemps le PS et le PCF, l’illusion d’une justice sociale conquise par la taxation des plus riches ainsi que d’un capitalisme régulé et à visage humain. Alors que les travailleurs sentent confusément que l’évolution prédatrice et réactionnaire de la société est inscrite dans le système capitaliste, LFI rabaisse cette conscience en désignant Macron comme l’unique responsable de tous les maux.

En ce qui concerne les travailleurs immigrés du Maghreb ou d’Afrique, ce n’est pas en tant que travailleurs exploités que LFI a choisi de s’adresser à eux, mais en tant que minorités opprimées du fait de l’origine, de la couleur de peau ou de la religion.

Ainsi, LFI s’est faite la championne du combat pour le peuple palestinien, et ses porte-parole, accusés d’antisémitisme, sont de plus en plus présentés comme infréquentables et « en dehors de l’arc républicain » par les grands médias, place longtemps occupée par le RN. Cela a renforcé sa popularité dans certains milieux musulmans. Mais tout ce que LFI a à leur dire, c’est de faire confiance aux institutions internationales, aux députés français et européens, comme si les uns ou les autres pouvaient avoir le moindre poids sur la politique de Netanyahou. Même sur ce terrain, LFI obscurcit la conscience des travailleurs qui voudraient faire le lien entre la politique impérialiste dans le monde et la domination de la classe capitaliste ici.

De fait, LFI ne s’adresse jamais aux travailleurs en tant que membres d’une seule et même classe d’exploités, unie par-delà les entreprises, les différences de statuts, d’origine et de croyances. Elle ne rechigne d’ailleurs jamais à faire vibrer la corde patriotique.

À la différence du PS et du PCF, qui se sont construits à leur origine comme des partis ouvriers et ont été, jadis, une direction pour les travailleurs les plus combatifs et pour ceux qui rêvaient d’une société communiste, LFI n’a jamais eu de telles prétentions. Elle veut s’attacher des soutiens électoraux parmi les syndicalistes les plus combatifs et dans les milieux populaires, mais elle ne cherche pas à avoir des militants et une politique pour les travailleurs dans les entreprises. Permettre aux travailleurs de sentir leur force et leur capacité d’agir par eux-mêmes ne fait pas partie de sa politique.

Nos tâches

« Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les partis ouvriers : constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat », écrivaient Marx et Engels dans le Manifeste communiste. En observant les flux et les reflux du mouvement ouvrier, notamment en Grande-Bretagne, ils expliquaient aussi : « Cette organisation du prolétariat en classe, et donc en parti politique, est sans cesse détruite de nouveau par la concurrence que se font les ouvriers entre eux. Mais elle renaît toujours, et toujours plus forte, plus ferme, plus puissante.»

Le capitalisme ascendant était accompagné d’un mouvement ouvrier ascendant. Après avoir traversé deux guerres mondiales suivies de vagues révolutionnaires, la bourgeoisie a survécu dans le cadre du capitalisme pourrissant. Avec lui ont pourri les organisations, partis et syndicats, que les travailleurs s’étaient donnés. Les uns, les sociaux-démocrates, ont sombré, dès le début de la Première Guerre mondiale, dans la collaboration ouverte avec la bourgeoisie, les autres dans le stalinisme, autre forme d’intégration à l’ordre bourgeois.

« L’organisation du prolétariat en classe » est à reconstruire quasiment à partir de zéro. Seules de futures luttes de masse pourront donner à la classe ouvrière une nouvelle génération de militants capables de faire naître de véritables partis ouvriers dignes de ce nom.

Dès aujourd’hui, aidés des travailleurs les plus conscients, il faut réunir la fraction de la classe ouvrière qui, comme le dit Marx dans le Manifeste, « stimule toutes les autres et […] a sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien ». C’est le but du travail de propagande et d’organisation que nous menons dans les entreprises, principalement autour de nos bulletins quand il n’y a pas de combativité collective. Ce travail essentiel reste la priorité de toute notre organisation.

Ce travail de recrutement et de formation de futurs cadres prolétariens ne peut pas se faire sans l’engagement conscient, aux côtés et en symbiose avec ces militants ouvriers, d’intellectuels capables de consacrer leur vie à ce combat. Seule une minorité peut faire ce choix dans une telle période de reculs politiques et d’apathie de la classe ouvrière, mais elle est indispensable à la construction du futur parti révolutionnaire. Il faut donc poursuivre avec obstination et enthousiasme le recrutement dans la jeunesse lycéenne et étudiante pour transmettre le flambeau de l’idéal communiste. Il nous revient de faire comprendre aux plus révoltés que la bourgeoisie est une classe du passé quand la classe ouvrière représente celle de l’avenir.

Les élections municipales

Ces tâches militantes, habituelles et fondamentales, devront se conjuguer avec notre participation aux échéances électorales. Il faut nous tenir prêts à faire campagne en cas de dissolution de l’Assemblée nationale. Il faudra aussi nous préparer à l’élection présidentielle de 2027, où nous proposons de présenter, à nouveau, notre porte-parole Nathalie Arthaud. Et il faut intensifier l’effort militant que nous avons largement commencé pour les élections municipales qui se tiendront les 15 et 22 mars 2026.

Chacune de ces élections nous permet de défendre notre programme et nos perspectives révolutionnaires devant les travailleurs à une échelle bien plus grande que toutes nos activités habituelles, et dans un contexte où l’intérêt politique est plus grand. Ces campagnes nous permettent aussi d’associer des travailleurs et de les engager davantage à nos côtés. C’est particulièrement vrai pour les municipales.

Les élections municipales, qui exigent de constituer des listes de plusieurs dizaines de personnes dans chaque commune, nous poussent à chercher des milliers de travailleurs qu’il faut convaincre d’être candidats, c’est-à-dire de rompre avec leur passivité et leur attentisme. Cette recherche est l’occasion d’étoffer ou de retisser dans les villes et les quartiers populaires un réseau de travailleuses et de travailleurs, embryon de « l’organisation du prolétariat en classe ».

Intitulées « Lutte ouvrière – Le camp des travailleurs », nos listes se baseront sur l’idée, toute simple, que les travailleurs ne peuvent pas faire confiance aux politiciens bourgeois à genoux devant les possédants, qu’ils doivent se mêler eux-mêmes de la politique, se représenter eux-mêmes, avec l’objectif de construire leur propre parti de travailleuses et de travailleurs.

L’idée du camp des travailleurs selon laquelle les ouvriers, les employés, les aides-soignantes… représentent les forces vives de la société est une source de fierté pour beaucoup de ceux que nous rencontrons. En témoigne l’écho trouvé auprès de travailleurs très peu politisés, n’ayant jamais entendu parler de notre organisation, parfois influencés par les préjugés de division répandus par tous les canaux. Parmi ceux qui se reconnaissent dans les idées du camp des travailleurs, beaucoup sont trop démoralisés pour franchir le pas de s’engager sur nos listes, mais ils savent qu’il y a un courant de femmes et d’hommes dont c’est le combat. Quant aux autres, il faut réussir à leur transmettre la fierté de représenter leur classe sociale sur leur ville.

En résumé, cette campagne doit nous permettre de nous déployer pour remplir notre tâche principale : aider les travailleurs à acquérir une conscience de classe en dépit de la montée réactionnaire, y compris dans le monde du travail, et avancer, même modestement, sur la « constitution des prolétaires en classe ». Face aux reculs et au danger de guerre qui s’annoncent et qui ne peuvent être stoppés que par une révolution ouvrière et le renversement de l’ordre impérialiste, cet objectif peut sembler dérisoire, mais il ne l’est pas, car il s’inscrit dans cette perspective politique.

L’existence de militants et d’un parti révolutionnaire est vitale quand la classe ouvrière se trouve en situation de disputer le pouvoir à la bourgeoisie et de le prendre entre ses mains, comme cela se posa en 1871 lors de la Commune de Paris, en Russie en février 1917, en Finlande, en Allemagne, en Hongrie et en Italie en 1918, 1919 et 1920, en Chine entre 1925 et 1927, en Espagne en 1936, au Chili en 1973…

Cette présence est tout aussi vitale quand le recul politique, voire la plongée dans la barbarie, menace de faire disparaître toute perspective pour les travailleurs. Car c’est des périodes les plus sombres que surgissent aussi les explosions sociales et les possibilités révolutionnaires. C’est la révolution qui mit fin à l’exil de Lénine et Trotsky. C’est encore celle-ci qui tira Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht du cachot, et qui fit sortir des milliers de militants socialistes de l’enfer de la guerre impérialiste. Et c’est la fraction qui avait conservé ses idées révolutionnaires indemnes qui fut, alors, en mesure de changer le cours de l’histoire.

6 novembre 2025

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