Tribune de la minorité - Vers l'indispensable mouvement d'ensemble ?01/11/20072007Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2007/11/108.png.484x700_q85_box-24%2C0%2C571%2C792_crop_detail.png

Tribune de la minorité - Vers l'indispensable mouvement d'ensemble ?

Avertissement : Les lecteurs de Lutte de Classe savent qu'il existe au sein de notre organisation une tendance minoritaire qui soumet des textes différents de ceux de la majorité aux votes de nos camarades, lors de nos conférences nationales. Ces textes sont systématiquement publiés dans nos colonnes. Ces camarades ont demandé à se constituer en tendance structurée, c'est-à-dire en fraction. Ils s'expriment désormais régulièrement dans ces colonnes.

Cette tribune est rédigée indépendamment des autres articles de Lutte de Classe, et peut donc aborder, ou ne pas aborder, un sujet traité par ailleurs dans cette revue.

C'est à Washington que Nicolas Sarkozy a annoncé, à propos de la semaine sociale qui l'attendait : « Ca va bouger, c'est normal. Il y aura des grèves et des manifestations, mais je tiendrai... ». Impossible de ne pas penser à certains de ses chers prédécesseurs, Juppé en 1995 ou Villepin en 2006 qui juraient aussi qu'ils ne bougeraient pas. On connaît la suite. Mais rien n'est gagné non plus, pour les cheminots, agents de la RATP et de l'EDF-GDf, qui ont engagé l'épreuve de force contre le gouvernement, en réaction à l'attaque contre leurs retraites.

 

La rue en France, moins indulgente que le congrès américain !

 

Une victoire de Sarkozy et de son premier ministre Fillon contre une catégorie de travailleurs réputée coriace puisque les cheminots avaient fait craquer Chirac et Juppé en 1995, pourrait évidemment décourager le monde du travail au moment où entrent en application, ou en chantier, un paquet de mesures anti-ouvrières, dont des suppressions de postes drastiques dans les services publics, des réductions de remboursements de santé, une révision du code du travail ouvrant la porte à davantage de précarité, et la poursuite de l'attaque générale contre les retraites : une fois les régimes spéciaux « alignés », tous les travailleurs se verraient dans la nécessité de compter 41 ans, puis 42 un peu plus tard, et non plus « seulement » 40 ans, pour bénéficier d'une retraite dite pleine.

Mais gare aux retours de bâton. Car l'offensive gouvernementale a lieu sur fond de revendication salariale pressante face aux hausses de prix, dont celle des carburants, loyers, produits alimentaires ; sur fond de nouveaux licenciements ou suppression d'emplois dans de gros trusts du privé et leurs filiales ou sous-traitants ; sur fond de précarisation et de détérioration générale des conditions de travail. Bref sur fond de grogne qui tourne à la rogne, voire à la colère qui s'exprime, non seulement à la SNCF mais aussi chez les hôtesses de l'air et stewards d'Air France, les marins pêcheurs, les étudiants qui mettent en avant l'abrogation de la réforme de l'université mais aussi la solidarité avec les cheminots, mais jusqu'aux avocats contre la réforme judiciaire, aux gardiens de prison, policiers et gendarmes ! La prétendue guerre engagée par Sarkozy, dès sa campagne, en faveur de l'emploi et du pouvoir d'achat fait manifestement chou blanc.

 

Un agenda social très chargé !

 

L'affaire n'est donc pas si bien emmanchée pour le gouvernement. Les premiers fauteurs de troubles étant les cheminots, électriciens et gaziers, agents de la RATP, qui par leur participation massive à la grève du 18 octobre appelée par quasiment toutes leurs fédérations syndicales, ont marqué l'opinion populaire et trouvé en son sein des soutiens, voire éveillé des envies d'en découdre. Qui plus est, la journée du 18 octobre s'est poursuivie le 19 et quelques jours encore (grâce aux préavis reconductibles déposés par Sud et FO), du fait d'une minorité têtue plus large que le milieu de ces deux syndicats, dont des militants ou proches de la CGT, alors pourtant que l'appareil de leur fédération avait utilisé les ficelles d'usage pour empêcher la reconduction.

Dans la foulée de cette journée comme on n'en avait pas vue depuis longtemps, les fédérations de fonctionnaires appelaient à leur tour à « leur » journée, fixant l'échéance au relativement lointain mardi 20 novembre - pour être sûres que leurs mandants ne s'y mettraient qu'une fois les cheminots rentrés dans le rang ? Les appareils syndicaux prétendent ne pas vouloir mélanger les genres, même quand les bases d'une protestation commune sautent aux yeux, parce que de fait ils défendent une kyrielle d'intérêts de boutiques qui n'ont rien à voir avec ceux de l'ensemble des travailleurs : il s'agit entre autres de se pousser de l'avant (ou de se retenir selon l'opportunité !) pour être le premier, le dernier ou en tout cas le meilleur interlocuteur possible aux multiples tables de négociations.

Les fédérations à ce jour imposent donc à chaque secteur de s'y mettre chacun à son tour et chacun pour sa revendication, tombant ainsi dans le panneau de Sarkozy qui a pris soin d'attaquer toutes les catégories, mais chacune sous un angle en apparence différent de la voisine : les cheminots pour leurs retraites, les fonctionnaires contre les suppressions de postes - quelque 20 000 programmées chaque année par non remplacement des départs en retraite (certes du travail en plus pour les enseignants ou le personnel hospitalier déjà surchargé)...

À ce jour, nous sommes à la veille d'une suite à la journée du 18 octobre, puisque sous la forte pression des cheminots, agents de la RATP et de l'EDF qui l'attendaient, 7 fédérations de cheminots sur 8 (la Fgaac restant à l'écart), et les principaux syndicats de l'Énergie et de la RATP (ceux-ci s'étant fait prier jusqu'au dernier moment), appellent à une nouvelle journée le mercredi 14 novembre (à partir du mardi 13 à 20 heures pour les cheminots). Après moult hésitations (chaque fédération syndicale ayant scruté pour elle-même s'il n'allait pas sortir un signe, quelque fumée annonciatrice d'une négociation possible, du ministère ou de Matignon).

Novembre 2007 s'annonce donc mouvementé. Cette montée de la colère et cette flambée de réactions seraient-elles le prélude à un mouvement plus large et puissant ? Un mai 68, à ceci près que les flics cette fois seraient avec nous, ironisent certains ? Le réchauffement du climat social est une mauvaise surprise, en tout cas, pour le gouvernement et le patronat. Mais mauvaise également pour les directions syndicales qui ne montrent aucune attirance pour un mouvement d'ensemble. Alors que la foison des mécontentements se ramène aux salaires trop bas, aux emplois menacés et aux conditions de travail de plus en plus dures, les syndicats s'évertuent à sectoriser les revendications tout en étant prêts à les brader, et à égrener des journées qui séparent. Fort heureusement, la détermination des travailleurs concernés reste la plus forte.

 

Des directions syndicales toujours prêtes à se mettre à table...

 

La méfiance des cheminots est de rigueur vis-à-vis des syndicats qui appellent à la grève du 14 novembre, reconductible cette fois, mais n'affichent pourtant comme objectif essentiel que l'ouverture de nouvelles négociations. Car si le ministre du Travail, Xavier Bertrand affiche l'opiniâtreté du gouvernement à porter la durée de cotisation retraite à 40 ans d'ici 2012 pour les cheminots et autres « régimes spéciaux », en même temps qu'il fait d' »ultimes propositions » d'aménagements de détail du calendrier de la réforme, la détermination n'est pas la même du côté des syndicats.

Ne parlons pas de la Fgaac, syndicat corporatiste chez les agents de conduite, puisqu'elle s'est retirée du jeu depuis le 18 octobre au soir, dès qu'elle a obtenu un allègement de la règle pour les seuls conducteurs de trains, qui pourraient partir à la retraite à 55 ans... au lieu de 50 ans actuellement !

La CFDT de son côté, serine depuis longtemps qu'elle est favorable aux 40 ans de cotisation. Si, avec plus de huit jours de retard, elle s'est jointe in extremis à l'appel à la grève du 14 novembre, c'est seulement parce que le gouvernement serait resté sourd à ses propositions d'aménagement ou timing de sa réforme. Mais sur le fond, comme c'était déjà l'accord presque parfait en 1995 entre Notat et Juppé (ce qui n'avait pas empêché ce dernier de devoir reculer), c'est la connivence entre Chérèque et Fillon. Dans son tract d'appel à la grève, la CFDT réaffirme : « la nécessité de réforme motivée par l'allongement de l'espérance de vie ». Elle propose seulement de négocier la décote, ou de faire cotiser les cheminots aussi sur les primes, pour que celles-ci soient ensuite prises en compte dans le calcul des pensions. Et d'étaler un peu les délais d'application, car affirme-t-elle, « la mise en oeuvre du passage à 40 annuités ne doit pas se faire brutalement, mais progressivement ». Faire grève pour les délais !

La CGT de son côté, le syndicat de loin le plus influent chez les cheminots, ne se montre pas beaucoup plus irréductible. À peine connue « l'ultime proposition » du gouvernement, les fédérations CGT des cheminots, des transports et de l'Énergie y voyaient quelques aspects positifs, un « premier recul à mettre à l'actif de la mobilisation du 18 octobre ». Ce n'est plus la réforme et le passage aux 40 ans de cotisations qu'il faudrait combattre (et encore moins mettre en avant le retour aux 37,5 annuités pour tous), il suffirait de « faire bouger le cadre de la réforme ». Comprenne qui pourra ! L'atténuation de la décote proposée par le ministre du Travail (qui ne porterait que sur un nombre maximum d'années manquantes de deux ans et demi au lieu de cinq), serait déjà une avancée « substantielle ». Resterait donc à grappiller quelques miettes : sur la prise en compte des primes dans le calcul des retraites, sur quelque amélioration de salaire de fin de carrière, sur la possibilité d'inclure les années de formation dans l'ancienneté... Quant aux « marges de discussions dans chaque entreprise ou branche » offertes aux bureaucraties syndicales (sur les détails d'application de la réforme), elles sont selon la CGT trop dans « le flou ». C'est pourquoi, et pourquoi seulement, « l'action est bien à l'ordre du jour », avec pour objectif l'obtention d'une « table ronde ministérielle » sur le cadre de la réforme, et d'un calendrier de négociations locales sur son application.

Tout est fait du côté des directions syndicales pour convaincre les cheminots, agents de la RATP, gaziers et électriciens, que leurs régimes de retraites sont déjà du passé, que le passage aux 40 ans de cotisation (prélude au passage à 41 puis 42 ans pour tous, ensuite) est un recul irrémédiable.

À moins que les grévistes et tous ceux qui les soutiennent dans le pays n'en décident autrement.

 

L'appareil de la CGT, rodé aux ficelles du métier

 

Depuis le 18 octobre à la Sncf, c'est probablement la fédération CGT qui affiche la politique et les méthodes les plus retorses... dont d'ailleurs les grévistes se méfient, autant qu'elle se méfie d'eux. Car il lui faut garder le contrôle !

Alors que trois syndicats (Sud, FO et Fgaac) déposaient des préavis reconductibles, la CGT, elle, appelait à 24 heures et pas plus, et manigançait pour empêcher les cheminots de reconduire. Donc pas d'assemblées organisées, ni le 18 octobre ni a fortiori les jours suivants, ou rarement et le plus éparpillées possible. Pas, ou le moins possible, de réunions puisqu'il n'y avait rien à discuter ni décider, l'appareil ayant tranché d'emblée en faveur de la non reconduction ! Ou seulement des réunions syndicales CGT. Les assemblées qui eurent lieu les jours suivants, et permirent à une minorité de poursuivre la grève, furent généralement appelées par SUD et FO - et aussi, heureusement, dans bien des endroits par des militants de la CGT passant outre aux ordres de leur direction.

Motif invoqué par la fédération de la CGT pour s'en tenir à 24 heures : éviter le piège de l'isolement, attendre les autres secteurs ou structures locales qui pourraient s'y mettre... mais tout restant très vague, sans aucune échéance fixée, aucun partenaire possible cité... Du pipeau ? Ce qui l'a confirmé, c'est que Didier Le Reste, secrétaire général de la fédération CGT cheminots, dès l'annonce de la journée des fonctionnaires le 20 novembre, n'a nullement encouragé les cheminots à s'y joindre. C'était pourtant l'occasion s'il en était de ne pas rester seuls ! Et si l'idée circule aujourd'hui qu'une reconduction de la grève du 14 novembre pourrait mener jusqu'à la jonction avec les fonctionnaires le 20, ce n'est pas la direction de la CGT qui en fixe explicitement la perspective.

Pour le 14 novembre, un préavis a quand même finalement été déposé, de grève reconductible. Le ton des dirigeants de la CGT se veut donc plus radical. Mais sur le terrain, de l'avis de bien des cheminots qui préparent la grève, la CGT semble singulièrement absente, peu ou pas de tracts, de réunions, d'assemblées. Encore moins la recherche de liens interservices, voire « interprofessionnels » - comme la CGT a su, quand elle l'a voulu en 1995, en tisser avec des enseignants, des travailleurs de la RATP, les postiers, des agents territoriaux et d'autres.

Il est à relever encore que la direction de la CGT qui s'est déclarée championne de l'élargissement, n'a pas milité davantage que SUD, FO ou les autres (tous ceux-là insistant beaucoup sur l'aspect catégoriel des revendications ) pour que les cheminots placent la défense de leurs régimes spéciaux dans le cadre d'objectifs plus généraux. Elle a parfois même insisté sur la nécessité d'avancer des revendications encore plus « locales » ! Il est pourtant évident que tout est lié aujourd'hui : retraites, salaires et emplois. Ce n'est pas l'espérance de vie qui grossit le nombre de retraités par rapport aux actifs, c'est le chômage qui diminue le nombre des actifs, ou pèse sur les salaires de telle sorte que les faibles cotisations n'alimentent plus les caisses sociales. Sans compter que l'État les pille de son côté pour redistribuer au patronat.

Dans la situation actuelle pourtant, même si les préjugés particularistes demeurent, selon lesquels par exemple on pourrait mieux défendre ses propres intérêts en luttant seul, bien des travailleurs qui sont engagés dans ce bras de fer avec le gouvernement comme d'autres qui les regardent avec sympathie voire envie, savent qu'il y a un programme général à défendre, tous ensemble.

 

Se mobiliser et s'organiser

 

Nous ne savons pas jusqu'où ira cette montée sociale. Jusqu'où les directions syndicales se sentiront obligées d'aller. Jusqu'où elles pourront être dépassées. Sans la pression des cheminots qui ont commencé, sans la rescousse d'autres secteurs et la sympathie d'un milieu populaire qui voit se dessiner une revanche contre Sarkozy et son gouvernement, les appareils syndicaux - tous autant qu'ils sont et à condition d'être invités - se seraient déjà mis à table. L'issue va donc dépendre de la mobilisation des travailleurs, et d'elle seule.

Si elle se poursuit, si elle s'élargit, il est indispensable que les travailleurs en lutte d'une part placent leurs objectifs propres dans le cadre d'objectifs généraux à tous les travailleurs et se tournent activement vers d'autres, les encouragent à les suivre. Il est indispensable aussi qu'ils s'organisent dans des structures de décision propres, indépendantes des directions syndicales même si elles comptent évidemment dans leurs rangs les militants syndicaux, « assemblées générales » souveraines par secteurs et si possible « interservices », voire « interprofessionnelles », comités de grève et coordinations à tous les niveaux. Comme ceux-là naissent d'autant plus facilement qu'ils sont préparés, il faut dès aujourd'hui, partout où nous le pouvons, impulser comités de mobilisation ou « réseaux » regroupant les travailleurs conscients des tâches à accomplir et désireux d'y prendre part, indépendamment de leur appartenance, ou non, syndicale ou politique.

Les directions syndicales n'avanceront que sous la pression de l'ensemble des grévistes. Et les grévistes ne réagiront correctement aux retournements de ces dernières et n'éviteront les pièges que s'ils sont organisés pour aller jusqu'au bout de leur détermination.

Le 9 novembre 2007

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