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Tribune de la minorité - Moyen Orient : derrière la victoire "historique" du Hezbollah
Avertissement : Les lecteurs de Lutte de Classe savent qu'il existe au sein de notre organisation une tendance minoritaire qui soumet des textes différents de ceux de la majorité aux votes de nos camarades, lors de nos conférences nationales. Ces textes sont systématiquement publiés dans nos colonnes. Ces camarades ont demandé à se constituer en tendance structurée, c'est-à-dire en fraction. Ils s'expriment désormais régulièrement dans ces colonnes.
Une victoire "historique" et même "divine", c'est ainsi que Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, devant une énorme foule de ses partisans rassemblée à Beyrouth, a qualifié l'issue de la récente guerre que Israël a livrée à son parti. Nasrallah est dans son rôle en essayant de tirer tout le parti possible de la résistance inattendue du Hezbollah devant l'offensive israélienne, quitte à la surestimer. Pourtant, plus important sans doute pour l'avenir de la région, tous les témoignages s'accordent pour reconnaître que c'est aussi l'opinion d'une grande partie des peuples du Moyen Orient, dont Nasrallah serait devenu l'idole.
L'échec d'Israël
L'affaire du Liban, en tout cas, n'a pas été une victoire pour Israël. Et les critiques là-bas vont bon train contre le gouvernement. Trop rarement sans doute pour avoir déclenché la guerre, mais très souvent par contre pour l'avoir mal conduite.
Il est vrai que pour la première fois, depuis soixante ans qu'Israël fait régulièrement la guerre à l'une ou l'autre des armées arabes, les milices du Hezbollah, si elles ont sans doute subi des pertes importantes, n'ont été ni décimées ni écrasées. Le spectacle est nouveau. Des troupes arabes ont tenu tête. Les Israéliens déplorent à leur tour des pertes non négligeables et doivent se retirer au plus vite, contrairement à leurs habitudes de seigneurs et maîtres de la région, des territoires péniblement conquis. A peine ont-ils pu masquer cette précipitation sous le prétexte de céder la place aux troupes des Nations Unies ! Le nouveau prestige gagné par le Hezbollah dans l'opinion arabe n'est donc pas dû à une simple propagande outrancière et bien orchestrée.
Le succès d'un engagement militaire se mesure au fait d'avoir ou non atteint les buts fixés au départ. Et il est clair que ceux-ci ne l'ont pas été.
D'abord les militaires israéliens faits prisonniers n'ont pas été récupérés. Mais les malheureux soldats ne furent qu'un prétexte à déclencher les hostilités, voire peut-être un leurre dans une provocation délibérée montée par Israël. Des journalistes américains généralement bien informés, paraît-il, ont prétendu que les états-majors israéliens et américains planchaient depuis des mois sur des plans d'invasion du Sud du Liban. On ne doit certes pas prendre pour argent comptant les révélations des journalistes trop bien informés... après coup. Pourtant ces informations-là semblent cadrer avec le déroulement du conflit. Ce n'est pas la première fois que l'armée ou les services secrets israéliens ont à récupérer des hommes à eux aux mains de l'ennemi. Ils l'ont fait alors avec d'autres méthodes, et souvent un autre succès, que... par des bombardements massifs de la région dans laquelle les prisonniers étaient censés être détenus.
Ces bombardements n'avaient aucune chance de faire revenir les bidasses, au mieux ou plutôt au pire, de les ranger parmi leurs victimes. Ils prouvent que les autorités israéliennes se souciaient de leur sort comme d'une guigne. Des proches et les familles demandaient au gouvernement israélien d'entamer des négociations avec les ravisseurs. Cela semble, on l'avouera, une procédure plus normale quand on veut simplement récupérer les kidnappés que de commencer par détruire les places où ils sont susceptibles d'être gardés. Mais des négociations étaient justement ce que le gouvernement israélien voulait, et veut, éviter à tout prix.
En revanche si le but réel était de faire du Sud Liban une terre brûlée d'où le Hezbollah serait liquidé, de détruire toutes les infrastructures, civiles ou militaires, susceptibles de lui servir, quitte à détruire toutes les infrastructures du pays, et de tuer le plus de miliciens possibles, quitte à massacrer la population, alors ces bombardements systématiques et massifs qui ont marqué le début des opérations prennent tout leur sens. Et ne peuvent prendre que celui-là.
De ce point de vue, Nasrallah toujours bien vivant bien que sa tête ait été mise à prix par les Israéliens, entouré de troupes toujours aussi nombreuses sinon plus, rassemblant encore bien plus de libanais qu'il ne l'avait jamais fait, non seulement shiites mais d'autres confessions aussi, en un mot renforcé politiquement, peut chanter victoire.
Et celui des États-Unis ?
Il n'y a pas que le Hezbollah qui peut crier victoire. Tout autant que lui il y a ses soutiens, la Syrie et surtout l'Iran. D'abord sa défaite aurait forcément été aussi la leur. Mais surtout c'étaient eux qui étaient visés au premier chef au moins autant que le Hezbollah lui-même.
Car dans cette affaire Israël n'a pas fait que défendre ses intérêts propres en tentant de se débarrasser d'une force politique et militaire hostile à ses frontières nord. La preuve définitive que cette guerre fut préparée bien à l'avance et en commun par les États-unis et Israël est peut-être encore à apporter. Elle n'est plus à faire en revanche sur le fait que depuis longtemps le second s'est mis au service des premiers et leur sert de gendarme dans la région. C'est le gendarme qui a frappé au Liban.
Et si le gendarme a frappé au Liban, c'est sans doute parce que ses patrons auraient intérêt tout comme lui de se débarrasser du Hezbollah. N'ont-ils pas classé ce parti parmi les organisations terroristes auxquelles ils ont déclaré une guerre universelle ? Mais c'est aussi pour alléger d'autres de leurs soucis dans la région, plus importants que la situation intérieure actuelle du Liban.
Ils ont certes liquidé le régime de Saddam Hussein capturé son chef montré que la principale nuisance militaire régionale ne comptait pas face à la leur.
Mais ils ont été incapables de remettre en place un État irakien qui pourrait imposer l'ordre, incapable de remettre en marche la production de pétrole au niveau espéré, ce qui était le but essentiel de l'opération. Le chaos politique et économique, la guerre civile et la guerre contre l'occupant se sont installés. Et la seule superpuissance de ce début du vingt-et-unième siècle semble chaque jour un peu plus embourbée et sans solution.
L'Afghanistan avait déjà pris le même chemin. Le régime des Taliban a bien été liquidé lui aussi. Mais depuis les Américains n'y maîtrisent pas davantage la situation. Et ce n'est certainement pas parce qu'ils ont officiellement passé le commandement des opérations à l'OTAN qu'ils se sont sortis de cet autre bourbier. Au mieux ils y entraînent lentement mais sûrement leurs alliés, dont la France.
Et maintenant il y a aussi l'Iran. Enhardi par les difficultés de son ennemi de plus de 25 ans en Irak et Afghanistan, deux voisins, voilà "l'État voyou" des Ayatollah qui proclame sa volonté de se donner une programme nucléaire qui pourrait aboutir à la fabrication de l'arme atomique. La provocation envers la superpuissance américaine, qui prétend réserver cette arme au petit club des déjà détenteurs, est évidente. La réponse que pourrait donner les États-Unis beaucoup moins, l'éventualité d'une intervention militaire étant allant même réduite du fait des problèmes de l'armée américaine engagée sur d'autres champs de bataille.
Une raclée au Hezbollall par Israël pouvait donc sembler a priori plus facile à administrer que de monter une nouvelle intervention militaire américaine d'envergure contre un Iran qui est à nouveau, maintenant que l'Irak de Saddam a disparu, la première puissance militaire du Moyen Orient. Certes l'effet ne pouvait pas en être tout à fait équivalent.
Mais eût-elle été réellement administrée, c'était un avertissement à tous ceux qui dans la région peuvent songer à jouer les fortes têtes, Iran en premier.
C'était leur dire : méditez l'exemple du Hezbollah ! Ne vous figurez pas que, parce que nous avons quelques difficultés en Irak ou en Afghanistan, nous ne pouvons intervenir ailleurs et que nous sommes paralysés. Nous avons toujours à notre service l'irrésistible armée israélienne, qui a les mêmes ennemis les mêmes intérêts et est toujours prête à apporter le coup de main nécessaire.
Las, pour eux, l'affaire ne s'est pas aussi bien qu'ils l'attendaient ! L'armée israélienne d'être irrésistible a été en dessous de sa réputation ; le Hezbollah, cible choisie pour sa supposée infériorité militaire face à Tsahal, s'est révélé plus solide que prévu. Et la démonstration a été ratée.
La démonstration terroriste
La démonstration a été ratée ? Peut-être pas entièrement tout de même. Le Hezbollah n'a pas été détruit certes, mais le Liban si, et pas seulement dans les régions où règne le parti de Nasrallah. Cela a certes provoqué l'indignation, feinte ou réelle, d'une bonne partie de l'opinion mondiale. Mais que compte l'opinion mondiale pour l'impérialisme ?
Pour mettre les guérillas du Hezbollah hors course, il aurait fallu commencer par une offensive terrestre et pas seulement les bombardements aériens. Tout le monde l'a dit. Et une partie des militaires israéliens accusent maintenant leur hiérarchie d'avoir fait le mauvais choix.
Mauvais choix ? Sans doute, si le but avait été de récupérer les soldats enlevés ou même d'infliger une défaite décisive aux milices du Hezbollah. Mais si à ce premier objectif s'en ajoutait un autre, plus important encore (celui de lancer un avertissement aux régimes qu'on soupçonne d'aider les insurgés irakiens ou afghans), le choix était peut-être moins mauvais qu'il paraît à première vue. Au risque d'irriter et frustrer opinion et militaires israéliens !
Le Liban a été un champ de manoeuvres, une piste d'essai, une vitrine. Destiné aux populations comme aux régimes rebelles, nommément la Syrie et surtout l'Iran. L'impérialisme n'a peut-être pas les moyens politiques ou militaires de se mettre, aujourd'hui, un ou plusieurs Irak ou Afghanistan supplémentaires sur le dos. Mais il garde les moyens d'écraser un régime qui ne lui plaît pas d'une autre façon : en le faisant payer au prix fort, en détruisant le pays et ses infrastructures sous les bombes, en massacrant et affamant la population, en "ramenant ce pays à l'âge de pierre" comme se vantaient de le faire, et l'ont en partie fait, les généraux américains au Vietnam... et comme le font aujourd'hui les Israéliens dans une partie de la Palestine et la Bande de Gaza.
Oui, le Liban est un rappel pour les peuples du Moyen Orient et du monde de ce dont les impérialistes sont capables lorsqu'ils jugent leurs intérêts en jeu. Tous les impérialismes, et pas seulement la superpuissance américaine. A l'exemple de la France, qui a fait mine de froncer les sourcils devant la politique d'Israël et des États-Unis, pour se ranger à leurs côtés et leur tirer une petite épine du pied en envoyant des troupes dont le rôle est finalement d'aider à maintenir l'emprise des grandes puissances sur la région.
La guerre ou la négociation ?
Il est trop tôt pour dire si l'avertissement a été entendu. Apparemment les bras de fer continuent. L'Iran campe sur ses positions et s'affirme déterminé à poursuivre sa politique indépendante, en particulier la réalisation de son programme nucléaire, sans se soucier des menaces américaines. Le Hezbollah se vante d'être mieux armé que jamais, 20000 missiles selon Nasrallah. La Syrie dit ouvertement qu'elle continuera à contribuer à cet armement. Mais cela traduit-il la conviction que, pour l'instant, l'impérialisme est trop emberlificoté dans ses problèmes pour mettre ses menaces à exécution ? Ou s'agit-il des bravades habituelles qui précèdent la recherche de négociations et de compromis ?
Car il y a aussi des signes dans cette dernière direction.
En Palestine le Hamas, pressé par la situation catastrophique créée par le quasi blocus et l'arrêt de l'aide internationale, a envisagé la constitution d'un gouvernement d'Union nationale et la reconnaissance de fait sinon de droit d'Israël (toutes concessions qui ont semble-t-il encouragé le Fatah à accentuer encore les pressions de son côté, jusqu'à menacer de déclencher une guerre civile).
Au Liban le Hezbollah, tout en clamant qu'il a gagné, préfère pour l'instant s'accommoder du statu quo et de l'occupation des troupes étrangères censées le désarmer (certes dans l'état actuel, cette tâche est loin d'être à la portée des troupes onusiennes, mais la volonté de réconciliation nationale affirmée par Nasrallah peut être aussi l'annonce d'une ouverture).
En Iran même, tout en réaffirmant leur volonté de ne pas se soumettre au diktat des Occidentaux, les autorités disent aussi leur volonté de négocier, voire de s'engager à n'utiliser les capacités de leur industrie nucléaire que pour l'usage civil (certes la proposition de coopérer avec la société française Aveva pour faire de l'enrichissement d'uranium en Iran fait partie du jeu diplomatique iranien consistant à tenter de diviser le front des grandes puissances; mais ce pourrait être aussi une offre de compromis).
Dans la prochaine période, les États-Unis se sentiront-ils assez forts pour choisir la confrontation directe ou chercheront-ils au contraire, surtout si en face on se montre conciliant, à calmer le jeu, au moins momentanément ?
Ce qui est sûr en tout cas, c'est que la politique de tous ces régimes et partis nationalistes ou islamistes radicaux envers Israël amène à laisser la maîtrise de la situation à l'impérialisme. En n'ayant pour politique que de se préparer à une confrontation militaire (du moins en parole), en se donnant pour objectif (là encore en parole) la destruction d'Israël, comme le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a cru bon de le répéter sur tous les tons ces derniers temps, ils ne font que renforcer la conviction des Israéliens, bourgeois ou prolétaires, que leur salut est dans une alliance indéfectible avec les États-Unis. Et du coup ils contribuent à leur manière à mettre à la disposition des États-Unis toute la puissance d'Israël, à en faire cette forteresse qui surveille et menace toute la région.
L'autre choix serait une politique de classe. Celle qui consisterait pour chaque peuple à défendre ses intérêts et son indépendance, y compris les armes à la main quand il le faut, bien sûr, mais aussi à miser avant tout sur les pauvres et les prolétaires d'Israël pour affaiblir et démanteler ladite forteresse de l'intérieur. Et pour cela à tenir compte et défendre explicitement les intérêts de ces pauvres et de ces prolétaires, plutôt que parler de les rayer de la carte.
Ce n'est évidemment ni d'Ahmadinejad ni de Nasrallah, ni de leurs semblables, qu'il faut attendre cette politique. Israël leur est trop commode pour servir de leurre à leur propre peuple... et masquer peut-être demain les compromis qu'ils sont prêts à passer, eux aussi, avec l'impérialisme lui-même.
Le 5 octobre 2006