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Textes de la Conférence nationale de Lutte ouvrière - La situation internationale
La situation mondiale continue à être dominée, sur le plan politique, par les conséquences de la dislocation de l'Union Soviétique.
La fin de la rivalité entre les États-Unis et l'Union soviétique - en tout cas, en tant que superpuissances - a sans doute facilité le règlement de deux conflits régionaux de plus cette année.
Encore qu'au Moyen-Orient comme en Afrique du Sud, la possibilité d'un processus de règlement doive infiniment plus à l'évolution des rapports de forces dans la région même, qu'à la disparition de l'URSS en tant que grande puissance susceptible de peser sur la situation ou sur les termes du règlement.
Le bouleversement de l'ancien équilibre mondial en faveur des États-Unis n'empêche pas l'apparition de nouveaux foyers de tension, et l'écroulement de l'Union Soviétique recèle en lui-même une menace autrement plus grave de multiplication de foyers de tension, tant dans son ancienne sphère d'influence que sur ce qui fut son propre territoire.
Nous parlons par ailleurs de l'accord israélo-palestinien. Quant au règlement d'un autre conflit durable, celui interne à l'Afrique du Sud, il consiste à remettre à "l'élite noire", c'est-à-dire à cette fraction des forces politiques aspirant à la représentation des intérêts de la bourgeoisie - locale comme mondiale - que le système anachronique de la ségrégation écartait de la vie politique officielle, la charge de faire tenir tranquille, par la tromperie conjuguée à la violence, la classe ouvrière numériquement la plus importante du continent africain.
Le démantèlement du système de l'apartheid est une victoire des masses noires d'Afrique du Sud. Mais les forces politiques bourgeoises qui ont assuré la direction du combat et qui, depuis toujours, veillent à ce que le combat contre la ségrégation raciale ne puisse pas se transformer en combat contre la ségrégation sociale, ont limité la portée politique de la victoire à ce strict minimum qui ne puisse pas passer pour un exemple et un encouragement pour les masses noires, ni en Afrique du Sud même, ni ailleurs sur le continent.
La dislocation de l'Union soviétique ne donne pas aux États-Unis des moyens supérieurs d'intervenir pour assurer l'ordre mondial - ni même plus d'inclination à le faire.
Malgré le foyer de tension que représente la situation dans l'ex-Yougoslavie, avec de surcroît des dangers d'extension vers d'autres pays de l'Europe centrale et balkanique, les États-Unis montrent depuis deux ans qu'ils n'ont nulle envie d'assumer les difficultés politiques et militaires d'une intervention. Quant aux puissances secondaires d'Europe, elles sont de surcroît divisées par leurs rivalités et leurs partis pris contradictoires entre les différents États issus de l'ex-Yougoslavie. Les grandes puissances ne semblent pas avoir d'autre politique que d'entériner, ouvertement ou hypocritement, le rapport de forces qui se dégage sur le terrain.
Le fiasco de Somalie montre comment une intervention américaine, au nom des États-Unis ou derrière le paravent des Nations Unies, peut exacerber un foyer de tension au lieu de le liquider. Intervenus pour rétablir et consolider l'appareil d'État dans un pays situé dans une zone stratégique qui sombrait dans l'anarchie clanique, les États-Unis n'ont pas su miser sur le chef de guerre le plus puissant. Ils sont en passe d'effectuer une volte-face pour ne pas continuer à s'embourber dans une situation qu'ils sont incapables de maîtriser.
Même en Haïti, dans une zone d'influence plus proche, les dirigeants de Washington acceptent que leur politique officielle soit tournée en dérision par une poignée de militaires qui, il est vrai, ne menacent en rien les intérêts de l'impérialisme américain.
Voilà pourquoi les États-Unis ne voient pas d'inconvénient, malgré l'indépendance formelle des différents États issus de l'Union soviétique, à ce que la Russie joue dans le Caucase ou en Asie ex-soviétique le rôle de gendarme (c'est une autre question de savoir si la Russie a les moyens de le faire). A en juger par la prudence avec laquelle les puissances occidentales traitent les demandes d'adhésion à l'OTAN de pays de l'Est comme la Pologne ou la Hongrie, en tenant compte des susceptibilités de la Russie, les États-Unis pourraient être enclins, le cas échéant, à associer la Russie à la défense de l'ordre au-delà même des limites de l'ancienne URSS.
Malgré les changements intervenus dans l'ex-URSS et dans ce qui avait été son glacis, "l'ordre" impérialiste mondial continue à être fait de foyers de tension, d'affrontements, de guerres locales vis-à-vis desquels les États-Unis réagissent empiriquement, au jour le jour et au coup par coup.
Aux tensions entre États - l'Inde contre le Pakistan ; les deux Corées ; les relations changeantes mais conflictuelles entre l'Irak, l'Iran, l'Arabie Saoudite, etc. - s'ajoute une multitude de guerres internes, dont plusieurs susceptibles de s'internationaliser (Kurdes partagés entre la Turquie, l'Irak et l'Iran ; Touaregs partagés entre plusieurs pays du Sahara ; Libéria, Angola, Sri Lanka, Cambodge... sans même parler des conflits internes à l'ex-URSS).
Certaines de ces guerres donnent lieu à une intense agitation diplomatique, voire, pour quelques-unes, à des règlements internationaux, respectés ou pas. D'autres déclencheront peut-être des interventions militaires limitées, soit des États-Unis, soit, en particulier dans les anciens empires coloniaux, d'anciennes puissances coloniales. Mais nulle contrainte ne pèse dans ce domaine sur les États-Unis, dans la mesure où les conflits d'ethnies, de clans, de coteries ou les tensions en cours entre États ne mettent pas en cause leurs intérêts vitaux et à plus forte raison, ne constituent aucune menace pour l'ordre impérialiste mondial. L'impérialisme a toujours su vivre avec ce type de conflits, inhérents à son ordre, voire les attiser ou en susciter pour s'en servir.
Leur prépondérance économique donne toujours aux États-Unis le rôle dominant non seulement dans leurs relations avec le commun des États, mais aussi, dans leurs relations avec les autres puissances impérialistes. D'autant que cette prépondérance économique peut être appuyée par une hégémonie politique et militaire, ainsi que par le fait que ce sont les États-Unis qui dominent tous les organismes internationaux - FMI, Banque Mondiale, etc. - censés incarner les intérêts plus ou moins généraux de l'impérialisme.
Pour le moment, les impérialismes les plus directement concurrents de l'impérialisme américain - le Japon ou l'Allemagne - n'ont pas à se plaindre de l'hégémonie des États-Unis. Ces derniers, en continuant à pousser, en tant que principale puissance économique, dans le sens de l'atténuation des barrières protectionnistes - cf. les négociations du GATT ou encore, les pressions pour liquider "la zone franc" - favorisent également les intérêts de l'Allemagne et du Japon. La coïncidence d'intérêts dans ce domaine n'écarte nullement la possibilité que la concurrence, les rivalités, les affrontements incessants se transforment en guerre commerciale ; ni que cette dernière débouche un jour sur la guerre tout court, même si nous sommes loin aujourd'hui - mais aujourd'hui seulement - de cette situation.
Pendant des décennies, les journalistes en quête de sensationnel ont présenté la rivalité des "deux super-grands" comme la principale raison de la durée, sinon toujours du déclenchement des guerres locales ; comme ils voyaient dans l'opposition des "deux blocs" et dans leur course à l'armement, la principale menace d'une éventuelle guerre mondiale.
L'ex-URSS ayant cessé d'être un "super-grand", et encore moins, un super-grand en compétition avec les États-Unis, il n'y a pourtant pas moins de conflits locaux sur la planète, mais sans doute plus.
Quant aux facteurs fondamentaux susceptibles de conduire à une nouvelle guerre mondiale, ils n'avaient rien à voir avec l'URSS et, en conséquence, avec l'opposition des deux blocs (même si, bien entendu, une guerre généralisée dans le passé récent aurait inévitablement conduit, à une étape ou à une autre, à un affrontement armé entre les États-Unis et l'URSS).
C'est le système impérialiste lui-même, des enchaînements concrets de rivalités interimpérialistes qui ont été responsables des deux guerres mondiales précédentes. L'éclatement de l'URSS et l'affaiblissement de ses anciennes composantes ne font en rien disparaître les mécanismes qui, sous l'impérialisme, sont susceptibles de conduire à une nouvelle guerre mondiale.
En prévoir aujourd'hui la mise en marche concrète relèverait de la politique fiction. Aucune puissance impérialiste - ni le Japon, ni l'Allemagne, les plus dynamiques d'entre elles - ne semble avoir aujourd'hui les moyens, ni l'intérêt, de remettre en cause par les armes le rapport de forces mondial, même si celui-ci est favorable surtout aux États-Unis.
On peut cependant imaginer que l'impérialisme américain n'accepterait pas d'être affaibli, dans une guerre locale ample et prolongée par exemple, au point de perdre son hégémonie, sans entraîner les autres puissances dans la guerre. Comme on peut imaginer, en cas d'aggravation de la crise et d'une montée grave du protectionnisme, que même une puissance impérialiste secondaire, coupée de ses marchés et de ses approvisionnements, ne voie pas d'autre issue que la guerre pour la conquête d'espace vital, même si le combat semble désespéré.
Pas plus aujourd'hui que tout au long de son passé à peu près centenaire, l'ordre impérialiste mondial ne connaît de paix définitive. C'est cette instabilité essentielle qui rend la révolution nécessaire et possible.
23 octobre 1993