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Soudan - Sur la ligne de front des rivalités impérialistes
Le Soudan occupe, depuis plusieurs mois, une triste place dans l'actualité en raison de la famine catastrophique dans la partie sud du pays. Les chaînes de télévision montrent périodiquement des images insupportables d'enfants mourant de faim, d'adultes décharnés, de foules se jetant sur de la nourriture parachutée.
Cette famine n'est pas la conséquence d'un cataclysme naturel. Le sud du Soudan ne souffre même pas seulement du sous-développement bien qu'il souffre, comme la quasi-totalité des régions agricoles de l'Afrique, de l'absence de moyens de production modernes, d'engrais ou simplement d'irrigation.
Mais le sud du Soudan pourrait assurer son autosuffisance alimentaire, fût-ce à un niveau très bas, s'il ne subissait pas depuis de longues années une guerre endémique et la loi des bandes armées. Même si les acteurs de cette guerre sont autochtones, ses responsables se trouvent dans les métropoles impérialistes. Car le Soudan paie, depuis un siècle, sa position géographique sur la ligne de front des rivalités impérialistes.
Le Soudan s'est trouvé, aussi, au premier plan de l'actualité quand, en août dernier, des missiles américains ont réduit en cendres une usine de la capitale soudanaise, Khartoum, dont la CIA affirmait qu'elle fabriquait des "gaz innervants". Ce bombardement était la riposte du gouvernement américain aux attentats qui venaient de frapper deux de ses ambassades en Afrique, attentats revendiqués par un mystérieux groupe se réclamant de l'intégrisme islamiste. Sous couvert de "combattre le terrorisme", Clinton justifiait ainsi le recours au terrorisme d'État des grandes puissances.
Pourtant il n'a fallu que quelques jours pour que la presse se fasse l'écho du témoignage de techniciens britanniques récemment en poste à Khartoum, affirmant qu'avant d'être détruite, cette prétendue usine de gaz militaires avait fabriqué la moitié des médicaments consommés au Soudan. Au point que même la CIA s'est sentie obligée d'admettre qu'elle s'était peut-être trompée, avant que le bombardement médiatique sur les prouesses sexuelles de Clinton finisse par éclipser ce qui aurait pu devenir une affaire embarrassante pour les autorités américaines.
La destruction de cette usine pharmaceutique par des missiles américains est d'autant plus révoltante que le Soudan est un des pays les plus pauvres du monde (avec un PNB par habitant d'environ 1 800 F annuels) et l'un des plus endettés (avec une dette équivalant à deux fois sa production annuelle). Elle a sans doute entraîné, pour les mois et peut-être les années à venir, une grave pénurie de médicaments vitaux pour la population pauvre du pays. En revanche, les missiles américains n'auront en rien affaibli la dictature soudanaise qu'ils étaient censés ébranler. Quant aux groupes terroristes qui seraient basés au Soudan (à supposer qu'ils existent ailleurs que dans l'imagination fertile des agents de la CIA), ce ne sont sûrement pas les souffrances des malades soudanais qui les troubleront.
Cette dernière action d'éclat des missiles américains s'inscrit dans le contexte des sanctions économiques que les États-Unis imposent au régime soudanais depuis plusieurs années déjà. Pour avoir resserré ses liens avec l'Iran à la fin des années quatre-vingt, puis refusé de se joindre à la croisade impérialiste contre l'Irak au moment de la guerre du Golfe, la dictature islamique de Khartoum fut portée, en 1993, sur la liste des régimes qualifiés de "terroristes" par les autorités américaines. Le commerce avec le Soudan fut soumis à de sévères restrictions et les exportations d'armes et de capitaux à destination du Soudan interdites (en théorie du moins, parce que, comme à son habitude, Washington a su faire preuve de souplesse dans certains cas "exceptionnels", par exemple celui de la Continental, une multinationale du pétrole qui finance généreusement le Parti Démocrate du président Clinton). Puis, en 1997, le noeud coulant des sanctions s'est resserré avec le gel de tous les avoirs soudanais aux États-Unis et l'interdiction totale du commerce entre les États-Unis et le Soudan.
Comme les relations économiques entre les deux pays avaient toujours été limitées, les sanctions américaines ont surtout pesé de façon indirecte, au travers des alliés régionaux de l'impérialisme US. Elles ont néanmoins contribué à rendre la survie économique du pays encore plus aléatoire. En revanche, loin de contraindre le régime soudanais à prendre ses distances vis-à-vis des dirigeants iraniens, ces sanctions n'ont fait que l'en rapprocher en rendant le Soudan encore plus dépendant de l'aide économique iranienne.
Au-delà de ces péripéties récentes, il est un autre domaine, plus obscur mais au moins aussi déterminant dans la vie du pays, où la politique régionale de l'impérialisme américain, comme d'ailleurs des impérialismes britannique et français, a joué un rôle important, sinon décisif celui de la guerre civile qui déchire le pays depuis plus d'un demi-siècle entre les ethnies du sud soudanais et le régime de Khartoum.
Un pays né des rivalités coloniales
Le Soudan lui-même est le produit des rivalités passées entre grandes puissances. La bataille ou plutôt le massacre d'Omdurman, près de Khartoum, au cours de laquelle les troupes du général britannique Kitchener taillèrent en pièces 10 000 soldats soudanais, eut lieu il y a un siècle, le 3 septembre 1898. Cette bataille marqua l'intégration du Soudan dans l'empire britannique sous le statut hypocrite de "condominium anglo-égyptien". Cela signifiait que l'administration et la police y étaient organisées et payées par l'Egypte (alors protectorat britannique), mais que des officiers britanniques, formellement rattachés à l'armée égyptienne mais ne recevant d'ordres que de Londres, occupaient toutes les positions-clés.
Mais surtout, la mainmise britannique sur le Soudan marqua la dernière étape décisive dans le partage de l'Afrique entre les grandes puissances coloniales. Dans la guerre plus ou moins ouverte à laquelle ce partage donna lieu, la région occupée aujourd'hui par le Soudan constituait un enjeu majeur dans la lutte que se livraient les deux principales puissances rivales, la Grande-Bretagne et la France. Londres avait réussi à évincer la France de l'Egypte, qui avait été un temps sous protectorat anglo-français. Mais pour que sa victoire soit complète, il était vital que le Soudan et les rives de la Mer Rouge échappent à l'influence française.
Le Soudan n'était pas, en lui-même, très attractif pour les puissances coloniales. Il n'avait pas de richesses naturelles connues. C'était un pays rural, très arriéré, dont la population était pauvre et en partie nomade. Mais qui contrôlait le Soudan contrôlait aussi le cours supérieur du Nil, et pouvait donc prendre l'économie égyptienne à la gorge. De plus, grâce à sa position dominante en Afrique occidentale et centrale, la bourgeoisie française menaçait d'établir sa propre route commerciale à travers le continent africain, de l'Atlantique à la Mer Rouge. Pour ce faire, la France n'avait plus qu'à imposer son droit de passage à travers le Soudan. En sens inverse, le contrôle du Soudan offrait aux Britanniques un lien physique entre leur protectorat égyptien et leurs colonies d'Afrique orientale (l'Ouganda et le Kenya d'aujourd'hui).
En fait, si le Soudan vit le jour sous sa forme actuelle, ce fut en grande partie pour servir de zone-tampon entre les empires coloniaux français et britannique. Le caractère artificiel de ses frontières est d'ailleurs évident au vu de ses quelque 1500 kilomètres de frontières rectilignes au nord-nord-est, visiblement tracées à la règle sur une carte, sans tenir le moindre compte de la géographie ni des populations. Du Soudan ainsi constitué, seule la partie située au nord-est du pays avait jamais existé en tant qu'entité politique distincte. Le nord et le centre du pays comprenaient plus d'une demi-douzaine d'ethnies différentes, dont certaines furent coupées en deux par ces frontières avec ce qui constitue aujourd'hui le Tchad, l'Egypte, l'Erythrée et l'Ethiopie. Sur le plan politique, ces ethnies avaient toujours été divisées en de nombreux fiefs féodaux rivaux. Leur seul point commun était d'avoir longtemps été soumises au pillage des commerçants et marchands d'esclaves arabes venus d'Egypte. C'est ainsi que l'Islam avait été imposé à la majorité de ces populations au fil des siècles ainsi que, bien que dans une moindre mesure, l'usage de l'arabe.
Quant au sud du pays, il était encore plus divisé et comprenait une multitude de groupes ethniques, apparentés pour l'essentiel aux populations noires d'Afrique centrale. Dans le Sud, qui n'avait jamais eu beaucoup de contacts avec le Nord, les religions traditionnelles et le christianisme des missionnaires européens prédominaient, plutôt que l'Islam. Presque tous les groupes ethniques du Sud couvraient des régions qui s'étendaient loin à l'intérieur des territoires actuels de l'Ethiopie, Ouganda, Congo et République centrafricaine. L'inclusion de cette mosaïque de groupes ethniques d'Afrique noire au sein du Soudan était si aberrante que même l'administration coloniale britannique en vint à élaborer un plan visant à incorporer le sud soudanais dans un "grand Ouganda". Si ce plan ne vit finalement jamais le jour, ce fut en partie parce qu'il ne résolvait pas tous les problèmes mais aussi du fait des rivalités entre les sections égyptienne et est-africaine de l'Office Colonial de Londres.
Par la suite, les autorités coloniales britanniques s'ingénièrent à verser de l'huile sur le feu des nombreuses divisions ainsi créées au sein de la population soudanaise, jouant les ethnies les unes contre les autres, et surtout les populations du Nord contre celles du Sud. Ainsi, sous prétexte de préserver le Sud des pressions arabes, mais en réalité pour empêcher un possible exode de la population pauvre du Sud vers le Nord plus riche, l'administration coloniale mena une politique visant à isoler le Sud du reste du pays, ce qui empêcha le développement de tout lien entre les populations.
La constitution artificielle du Soudan et la politique suivie par la suite par les autorités coloniales britanniques créèrent les conditions qui conduisirent à la guerre civile qui ravage aujourd'hui le Soudan. Le début de cette guerre remonte à 1955, un an avant l'accession du pays à l'indépendance, avec la rébellion de soldats du sud soudanais contre la politique de "soudanisation" du gouvernement semi-autonome d'alors (nomination systématique au Sud de fonctionnaires venus du Nord). Depuis, cette guerre n'a jamais cessé, à l'exception d'une période de 11 ans, entre 1972 et 1983.
L'époque de la guerre froide
Deux ans seulement après l'indépendance de 1956, le Soudan connut le premier d'une longue série de coups d'État. En 1958, le général Abboud s'empara du pouvoir, interdit les partis politiques et les syndicats et instaura un état d'urgence qui devait durer jusqu'à son renversement en 1964.
La principale cause de ce coup d'État tenait sans doute à la montée de l'agitation populaire face à l'aggravation de la situation économique du pays et à la corruption des partis religieux au pouvoir jusque-là. Mais ce coup d'État avait aussi un lien direct avec la politique de l'impérialisme américain dans la région. La position stratégique du Soudan et l'impulsion donnée au nationalisme arabe par la nationalisation du canal de Suez par Nasser en 1956, avaient incité Washington à rechercher les bonnes grâces du régime soudanais pour lui faire abandonner la politique de non-alignement qu'il menait dans l'ombre de Nasser et se ranger dans le camp impérialiste. Nixon, alors vice-président des États-Unis, avait visité Khartoum pour inviter le gouvernement à signer un "plan Eisenhower", pur produit de la guerre froide qui offrait au pays une aide économique et militaire (y compris la construction de bases américaines) afin de contrebalancer l'influence soviétique au Moyen-Orient (illustrée par l'aide militaire apportée par l'Union Soviétique à Nasser). L'offre américaine scinda en deux la coalition au pouvoir. Le Parti Umma, principal parti religieux du Nord, se rangea résolument dans le camp pro-américain avec le soutien des cercles dirigeants de l'armée et, malgré l'opposition de ses partenaires gouvernementaux, il accepta de signer le texte proposé par les Américains. Face à la montée en force d'une coalition anti-américaine qui menaçait le parti Umma de destitution, ses dirigeants firent appel au général Abboud. Ainsi le Soudan devint-il l'un des composants de la politique de l'impérialisme américain au Moyen-Orient.
Il y avait cependant, à l'intérieur de l'armée, un courant d'opposition à cette politique pro-américaine. Suivant l'exemple de Nasser en Egypte, une Organisation des Officiers Libres fut créée par de jeunes officiers en 1959, pour s'opposer à la dictature d'Abboud et promouvoir une politique nationaliste anti-américaine, une gestion étatique de l'économie et la démocratie politique. Ces jeunes officiers participèrent par la suite à toute une série de tentatives pour renverser Abboud tentatives qui, si elles échouèrent, n'en contribuèrent pas moins à affaiblir la dictature.
Entre temps, les méthodes brutales d'Abboud alimentaient la mobilisation des classes laborieuses et de la petite bourgeoisie étudiante. Le Parti Communiste clandestin, qui apparaissait comme la seule force d'opposition active au sein de la population, se trouva en mesure de prendre la tête des mouvements de protestation et des grèves de masse qui aboutirent à la grève générale du 26 octobre 1964 à l'appel d'un Front National, une alliance bizarre entre les vieux partis religieux, le Parti Communiste et les syndicats illégaux. Quand le régime fit appel à l'armée, l'agitation de l'Organisation des Officiers Libres porta ses fruits : les officiers refusèrent de donner l'ordre à leurs troupes de tirer sur les manifestants qui avaient envahi les rues de la capitale et Abboud se vit contraint de remettre le pouvoir au Front National.
Le nouveau gouvernement aussitôt formé comportait un ministre issu de chacun des partis religieux (y compris les Frères Musulmans intégristes), un ministre du Parti Communiste, le secrétaire général de la fédération syndicale soudanaise et le président de l'Association des paysans de Gezira, l'organisation paysanne la plus importante et la plus militante du pays, ainsi que deux ministres représentant les forces politiques du Sud. Le programme de ce gouvernement, appelé Charte Nationale, proposait une rupture claire avec l'impérialisme, le respect des droits civils et la libération des prisonniers politiques. En revanche, il ne parlait pas, et c'était significatif, d'un quelconque changement social ou économique.
Ce programme résumait très bien la politique du Parti Communiste du Soudan, comme d'ailleurs celle de tous les partis communistes dans les pays du tiers monde à l'époque. Il n'était pas question pour les dirigeants communistes de postuler au pouvoir au nom des classes pauvres. Le Front National, c'était l'alliance "démocratique" de toutes les classes, c'est-à-dire la soumission des classes pauvres aux classes privilégiées et il n'était pas question pour le Parti Communiste d'offrir aux partis religieux le moindre prétexte pour quitter la coalition même s'il devait pour cela faire passer à la trappe son propre programme et les aspirations des masses pauvres. Derrière son langage radical, la politique du PC était avant tout dictée par les intérêts de la bureaucratie soviétique, qui voulait voir le Soudan réintégrer le camp des non-alignés. Les intérêts des masses pauvres pouvaient bien attendre !
Cette politique n'offrait aucune perspective à la population pauvre qui avait renversé la dictature. Elle ne pouvait que la démobiliser et la désarmer. Bientôt, l'ordre fut rétabli dans les rues. Les partis traditionnels n'eurent plus qu'à invoquer le "respect des droits civils" inscrit dans la Charte Nationale et réactiver le vieux système électoral hérité des Britanniques système qui excluait la grande masse des pauvres de la vie politique. Ils purent ainsi faire basculer le rapport de force au sein de la coalition gouvernementale en leur faveur. Et trois ans après le renversement d'Abboud, les partis religieux se sentirent suffisamment forts pour prendre le risque d'expulser du Parlement les 16 députés communistes qui y siégeaient.
D'une certaine façon, ce coup de force ne fit que marquer le retour à l'ancien régime de corruption qui avait précédé le coup d'État d'Abboud. Mais il marqua aussi le retour à la politique de non-alignement qui avait marqué cette période. C'était sans doute une politique des plus modérées, très éloignée de l'anti-impérialisme virulent proclamé par la Charte Nationale. Mais l'éclatement de la guerre des Six Jours, en 1967, contraignit les dirigeants soudanais à sortir des déclarations rituelles pour choisir leur camp. Et, au grand dam des dirigeants de Washington, ils choisirent celui des pays arabes contre Israël. C'est ainsi que l'on vit le spectacle étrange de ces partis religieux soudanais, rompant leurs relations diplomatiques avec les États-Unis et se tournant vers l'Union Soviétique pour lui demander son aide militaire et économique que les dirigeants du Kremlin leur accordèrent d'ailleurs sans condition.
Du faux radicalisme de Nemeiry à la charia
Une fois de plus cependant, devant le mécontentement croissant né de l'incapacité des partis traditionnels à résoudre les problèmes économiques du pays, l'armée fut appelée en renfort. L'appel vint de deux côtés, cette fois. D'un côté, les États-Unis et certains éléments du Parti Umma essayèrent de convaincre la hiérarchie militaire traditionnelle de suivre l'exemple du général Abboud et de ramener le pays dans le camp impérialiste. De l'autre, le PC et les nationalistes radicaux en appelèrent aux Officiers Libres, leur offrant leur soutien s'ils prenaient le pouvoir. C'est ainsi qu'en mai 1969, le colonel Gaafar Nemeiry, un vétéran des Officiers Libres s'empara du pouvoir au nom de l'armée, avec le soutien du Parti Communiste, des syndicats et des associations paysannes. Dans sa première déclaration, Nemeiry s'engagea à "suivre la voie du socialisme". Il rebaptisa le pays République Démocratique du Soudan, puis interdit tous les partis politiques et envoya en prison une bonne partie des politiciens et des ministres de l'ancien régime. De toute évidence, la "voie vers le socialisme" de Nemeiry n'avait fait qu'emprunter au stalinisme ce qui convenait aux besoins spécifiques d'une dictature militaire soudanaise.
La direction du PC soudanais ne pouvait ignorer les risques mortels résultant de son soutien à Nemeiry et des illusions qu'il suscitait ainsi quant au rôle de l'armée ne serait-ce qu'à cause de l'amère expérience du Parti Communiste égyptien, dont les dirigeants avaient continué à chanter les louanges de Nasser jusque dans leurs cellules de condamnés à mort. La politique du PC soudanais ne tarda pas à tourner à la catastrophe lorsque Nemeiry décida qu'il était temps, précisément, de suivre l'exemple de Nasser. En juillet 1971, un prétendu "complot communiste" qui aurait visé à assassiner Nemeiry fut opportunément découvert. Des centaines de militants communistes furent arrêtés et plusieurs de leurs dirigeants, dont le secrétaire général du parti, furent exécutés après des simulacres de procès. En même temps, Nemeiry rompit ses relations diplomatiques avec l'URSS. Quelques mois plus tard, les diplomates américains étaient de retour à Khartoum et, en 1976, l'aide militaire et économique américaine afflua de nouveau au Soudan. Grâce à l'appui du Parti Communiste soudanais, et à la désorientation qu'il avait engendrée dans la population pauvre, Nemeiry avait réussi à ramener le pays dans l'orbite de l'impérialisme !
Après juillet 1971, le Soudan de Nemeiry vécut sous la coupe de son parti unique, l'Union Socialiste du Soudan, et s'engagea non pas sur "la voie du socialisme", mais sur celle de la réaction. Après l'échec d'un coup d'État organisé en 1976 par des militaires proches des partis religieux traditionnels et des intégristes islamistes de la Fraternité Musulmane, l'année suivante, Nemeiry proposa à ces partis une "réconciliation nationale" et réintroduisit l'Islam dans la phraséologie officielle du régime. Plus il devenait impopulaire, à cause de sa politique répressive et de la situation économique de plus en plus dramatique du pays, plus Nemeiry céda du terrain aux partis religieux. Et en septembre 1983, il finit par céder complètement aux exigences de la Fraternité Musulmane, en faisant de la loi islamique, la charia, la loi fondamentale du régime.
Il faut dire en passant que les États-Unis, qui condamnent aujourd'hui en paroles l'application de la charia au Soudan, au nom de la morale et des Droits de l'Homme, n'ont rien trouvé à redire à l'époque à son introduction par Nemeiry. Au contraire, la dictature de Nemeiry resta considérée comme un régime ami, chouchouté par les dirigeants américains, qui ne lui ménagèrent pas leur aide, militaire en particulier ! Peut-être ces démonstrations d'amitié envers ce récent champion de l'anti-communisme avaient-elles d'ailleurs aussi quelque chose à voir avec le soutien apporté à l'époque par l'URSS à Mengistu, le dictateur de l'Ethiopie voisine ? En tout cas, cela montre que rien ne répugne aux dirigeants impérialistes, pas même les dictatures les plus réactionnaires, intégristes ou non, pourvu qu'ils y trouvent leur intérêt.
En avril 1985, après trois semaines de manifestations et de grèves contre la suppression de subventions d'État à certains produits alimentaires de base, le chef d'état-major du général Nemeiry, le général Dahab prit la place de son ancien maître. Le régime en revint, une fois encore, à une libéralisation très limitée et reprit quelque distance vis-à-vis de l'impérialisme. Le non-alignement redevint la politique officielle du pays et le régime parlementaire fut rétabli l'année suivante, sous l'égide d'une coalition comprenant le Front National Islamique, qui avait succédé à la Fraternité Musulmane. Mais, libéralisation ou pas, la charia instaurée par Nemeiry ne fut même pas assouplie.
Le nouveau régime parlementaire ne tint pas plus longtemps que ses prédécesseurs. En 1989, après que le Front National Islamique eût décidé de quitter le gouvernement, le lieutenant-général Hassan Bashir organisa un nouveau coup d'État, avec l'aide occulte du Front. Les partis politiques furent à nouveau interdits et la République devint officiellement un État islamique. De nombreux "raffinements" furent périodiquement ajoutés à la charia et renforcèrent, entre autres, la discrimination légale à l'égard des non-musulmans.
Le pays s'enfonça dans un cauchemar réactionnaire et répressif. Mais il est sans doute significatif, par comparaison en particulier avec l'Iran de Khomeiny, que le Front National Islamique ait toujours choisi depuis de ne pas apparaître ouvertement sur le devant de la scène politique, laissant cette place à une armée dont il contrôle étroitement les rouages. En fait, contrairement à l'Iran des années quatre-vingt, la base sociale des intégristes soudanais semble avoir été limitée à une frange étroite des couches éduquées de la petite bourgeoisie. Ce qui explique sans doute que, malgré son caractère répressif, le régime ne soit jamais parvenu à étouffer vraiment ni les manifestations d'opposition ni les grèves.
Le trou noir de la guerre civile
Les changements politiques qui ont jalonné l'histoire du Soudan depuis son accession à l'indépendance sont directement reflétés dans les avatars qu'a connus la guerre civile dans le sud du pays.
Jusqu'en 1963, celle-ci se limita à de fréquents incidents entre les bandes armées de chefs de guerre locaux et la police. Le Sud était un endroit peu sûr pour les fonctionnaires venus du Nord et pour la police. L'armée était présente en force dans les villes, mais elle s'aventurait rarement dans les campagnes, de sorte que l'impact de la guerre civile était limité. Quant aux forces des rebelles du Sud, elles étaient trop hétéroclites et désunies pour menacer sérieusement Khartoum. Cette situation changea néanmoins en 1963, lorsque le premier mouvement de guérilla du Sud fut formé par d'anciens mutins de l'insurrection de 1955 qui venaient d'être libérés, avec le soutien de plusieurs des groupes politiques qui s'étaient créés au Sud après l'indépendance.
Pendant cette période, celle de la dictature d'Abboud, la répression contre les militants du Sud s'intensifia. La vieille technique britannique, consistant à créer des "villages sûrs" (en réalité des camps, où certains groupes de population étaient isolés par la force pour priver la guérilla de tout appui populaire), fut réintroduite pour terroriser les groupes ethniques les plus remuants. Des dizaines de milliers de Sudistes durent alors chercher refuge dans les pays voisins. Cette politique devait finalement se retourner contre les dirigeants de Khartoum, en fournissant aux nationalistes du Sud une audience captive, concentrée dans les camps de réfugiés mis en place de l'autre côté des frontières soudanaises, où ils purent former, politiquement et militairement, les futurs cadres de la guérilla.
L'arrivée au pouvoir du Front National en 1964 marqua néanmoins un tournant, lorsque le nouveau gouvernement prit publiquement la voie de la recherche d'un règlement politique. Des négociations s'engagèrent autour d'un projet de type fédéral répondant ainsi aux revendications des mouvements du Sud qui n'avaient jamais revendiqué leur indépendance. Mais le retour en force des partis religieux eut tôt fait de geler le processus qui ne reprit qu'après la prise du pouvoir de Nemeiry. Et en mars 1972, un accord de paix fut signé avec les dirigeants du Sud, sous le patronage des États-Unis. Il prévoyait l'autonomie régionale pour le Sud et l'abrogation de toute discrimination légale fondée sur la religion. Il donnait aussi mandat aux États-Unis de veiller à l'application du plan de paix et d'organiser le retour des réfugiés.
Bien sûr, dans cette affaire, les dirigeants américains n'étaient pas partie prenante par seul amour de la paix. Sans doute voulaient-ils régler un conflit qui menaçait la stabilité de la région et du régime de Khartoum. Mais ils étaient aussi là pour prendre des gages en prévision de l'avenir. En particulier, le rôle apparemment humanitaire qu'ils jouèrent dans l'organisation du retour des réfugiés servit de couverture à une politique, d'ailleurs menée en parallèle au sein de l'armée soudanaise, visant à sélectionner, recruter et former dans les institutions américaines une génération de cadres politiques et militaires qui seraient prêts le moment venu à servir loyalement les intérêts de l'impérialisme. Et ce moment ne tarda pas à venir.
En 1979, la chute d'Idi Amin Dada en Ouganda provoqua l'exode vers le Soudan de nombreux réfugiés soudanais dont certains protégés des "éducateurs" américains appartenant au groupe ethnique d'Idi Amin Dada. Ces hommes, qui avaient pour la plupart reçu une bonne éducation, découvrirent en rentrant au pays qu'avec la politique de réconciliation lancée par Nemeiry en direction des partis religieux, il n'y avait plus guère de place pour des cadres issus des ethnies du Sud. Ils se tournèrent alors vers une opposition politique ouverte, qui menaça rapidement de faire renaître la guerre civile. Ce fut chose faite en mai 1983, avec la mutinerie de deux bataillons de l'armée soudanaise d'où sortit un nouveau mouvement de guérilla, l'Armée Populaire de Libération du Soudan (SPLA), dont le principal objectif était de tenter d'unifier, pour la première fois, tous les nationalistes du Sud dans un seul mouvement, luttant pour une République fédérale du Soudan et pour le retour à une démocratie laïque débarrassée de toute trace de la charia.
Par la suite, après le renversement de Nemeiry, la SPLA participa à plusieurs tentatives d'accords de paix, sur la base des positions conquises par la guérilla face aux troupes gouvernementales. Ce furent probablement les progrès de l'une de ses tentatives, en 1989, qui incitèrent les cadres dirigeants de l'armée et les intégristes, chacun pour leurs propres raisons, à s'engager ensemble dans la voie du coup d'État militaire qui amena au pouvoir la dictature du général Bashir.
Depuis 1989, la guerre n'a pas cessé de s'intensifier, malgré les nombreuses négociations et tentatives de règlement organisées sous l'égide des pays voisins. Il est impossible d'évaluer le nombre des victimes de la guerre civile au Soudan, pas plus au Sud qu'au Nord, où le régime organise depuis des années la mobilisation forcée de jeunes qui sont envoyés dans le Sud combattre dans des "milices" contrôlées par le gouvernement. Le taux de mortalité parmi ces jeunes contraints à faire une guerre qui n'est pas la leur est, dit-on, très élevé. Il n'y a pas non plus de moyen fiable d'estimer le nombre des réfugiés ou des personnes déplacées. Mais ce qui est certain, c'est que le tissu social et économique du Sud du pays a été complètement détruit par la guerre. Seules subsistent quelques rares villes, transformées en forteresses par l'armée gouvernementale. Tout autour, le pays n'est que terre brûlée.
L'intensification de la guerre a entraîné, des deux côtés, l'utilisation des mêmes méthodes terroristes contre la population. La SPLA utilise elle aussi aujourd'hui la technique des "villages sûrs" et les transferts forcés de populations entières, même si c'est sur une échelle moindre que le gouvernement. Avec le temps, la SPLA est devenue une coalition de chefs de guerre, plus que la branche armée d'un mouvement nationaliste. Plusieurs de ses dirigeants ont leur propre armée et des bases régionales qu'ils quittent rarement. Quand l'un de ces dirigeants rompt avec la SPLA, ce qui s'est déjà souvent produit, il s'ensuit une guerre sanglante une guerre dans la guerre et c'est la population qui se trouve sur le territoire contrôlé par le chef renégat qui paye le prix de sa dissidence.
Le gouvernement de Khartoum met d'ailleurs en oeuvre une politique très élaborée, destinée à tirer avantage de ces fréquents affrontements entre les chefs de guerre de la SPLA. Cette politique, dite "politique de la paix par l'intérieur", consiste à offrir aux dissidents la possibilité de rejoindre le camp gouvernemental avec leurs troupes et de prendre la tête des forces gouvernementales dans leurs fiefs. Mais il faut dire que cette politique n'a pour l'instant réussi à rallier que trois chefs de seconde zone de la SPLA, et encore, de façon limitée, car une fois passés dans le camp gouvernemental, ceux-ci se sont en gros contentés de défendre leur territoire contre les attaques de leurs voisins.
Le jeu sanglant des impérialismes
Le principal dirigeant de la SPLA est un ex-colonel de l'armée soudanaise, John Garang. Garang faisait partie de ces réfugiés dont le retour a été supervisé par les Américains. Peu après l'accord de paix de 1972, il a été envoyé par ses mentors à Fort Benning aux États-Unis, pour y suivre une formation militaire. Puis, il a passé les quatre années suivantes, jusqu'en 1981, dans une académie militaire de l'Iowa. Par ailleurs, au temps de son exil, Garang avait été un proche du protégé des États-Unis en Ouganda, Yoweri Museveni (qui devait réussir par la suite à prendre la succession d'Amin Dada en 1986). De toute évidence, Garang est l'une des recrues sur qui les États-Unis "comptent" pour servir leurs intérêts. Mais il avait aussi d'autres "amis". Parmi les proches de Garang ainsi d'ailleurs que des services spéciaux britanniques figure en bonne place le millionnaire anglais "Tiny" Rowlands, qui continue à siéger à la direction de la multinationale financière et minière Lonrho. Garang a utilisé bien souvent l'avion privé de Rowlands, tandis que ce dernier fut fait membre d'honneur de la SPLA un an après sa création, sans doute en reconnaissance de son généreux soutien financier.
Mais, comme à leur habitude, les dirigeants américains ont d'abord gardé ouvertes pendant longtemps toutes les possibilités qui s'offraient à eux. Dans un premier temps, ils se sont contentés d'encourager discrètement la SPLA, tout en soutenant officiellement le régime en place. A partir de 1986, avec l'arrivée au pouvoir de Museveni en Ouganda, l'aide militaire américaine à la SPLA augmenta par Ouganda interposé (ainsi d'ailleurs que l'aide britannique) tandis que celui-ci s'offrit complaisamment pour abriter les bases arrière de la SPLA. Mais, dans une large mesure, c'est seulement au milieu des années quatre-vingt-dix, après les premières sanctions à l'encontre du régime de Khartoum, que le bloc anglo-américain se mit à soutenir Garang à fond. Depuis, la SPLA a bénéficié de l'aide logistique et militaire de bien d'autres alliés de l'impérialisme américain par exemple celle du nouveau régime pro-américain d'Erythrée, qui a admis récemment avoir envoyé des troupes combattre aux côtés de la SPLA dans le sud du Soudan.
En face, le régime de Khartoum a reçu une aide, politique et militaire, non seulement d'Iran, de Chine et de certains émirats arabes du Golfe, mais de l'impérialisme français lui-même.
Ainsi, on a appris en 1994 que la France avait obtenu pour les troupes de Khartoum un droit de passage à travers la République Centrafricaine, pour leur permettre de prendre la SPLA à revers. En même temps, Paris fournissait à l'armée soudanaise des images satellites montrant la position des bases et des troupes de la SPLA. Il ne fait pas de doute que c'est l'aide apportée par la France qui a permis à Chirac, en août 1994, de se payer un bon coup de publicité à l'adresse de l'électorat de droite en sortant de son chapeau le fameux terroriste Carlos, qui venait d'être arrêté à Khartoum par la police soudanaise à la demande des autorités françaises. L'aide de la France ne s'est pas arrêtée là. Plus récemment, en 1996, la revue New African a révélé que des pistes d'atterrissage du Haut-Zaïre étaient utilisées par l'aviation soudanaise pour ravitailler des troupes postées de l'autre côté de la frontière du Zaïre avec le Soudan ce qui signifie qu'un autre des "protégés" de Paris, l'ex-dictateur zaïrois Mobutu, apportait son aide à Khartoum.
Ce qui est en jeu ici, dans la politique des impérialismes américain et britannique, ce n'est pas seulement le problème des relations de Khartoum avec l'Iran, ou celui des groupes terroristes qui auraient trouvé refuge au Soudan. Pas plus que l'impérialisme français ne se sent soudainement attiré, en soi, par l'intégrisme islamiste. La politique des uns et des autres s'explique par des raisons beaucoup plus terre-à-terre, qui relèvent du séculaire affrontement entre ces impérialismes rivaux.
Comme il y a un siècle, le Soudan est toujours une zone-tampon entre les sphères d'influence anglo-américaine et française. Le problème n'est plus de savoir qui va contrôler les voies commerciales ou les territoires coloniaux, mais, par exemple, de savoir quelles compagnies feront main basse sur les ressources naturelles du Soudan, lesquelles bénéficieront des commandes de son État ou lui vendront des armes. Sur ce terrain, les impérialismes anglo-américain et français sont en concurrence directe. Ils ont parié sur des camps opposés dans la guerre civile soudanaise et entendent tirer le maximum de leurs paris.
Les ressources naturelles du Soudan, jusqu'ici peu connues, semblent la cible principale des impérialismes rivaux. Dans les années soixante-dix, le géant américain Chevron découvrit d'immenses réserves de pétrole au sud du Soudan et au large des côtes de la Mer Rouge. En 1984, suite aux pressions des intégristes islamistes pour qu'il se montre moins conciliant à l'égard des multinationales américaines, Nemeiry annula les licences d'exploitation accordées à Chevron. Par la suite, en 1992, Chevron revendit ses concessions au gouvernement soudanais. La question qui se posait alors était de savoir qui allait récupérer ces concessions pétrolières. Finalement, plusieurs consortiums furent formés. Les deux plus importants, qui ont repris les anciennes concessions de Chevron, sont des sociétés basées au Canada : il s'agit de Talisman Energy et d'International Petrol Corporation, qui sont probablement toutes deux contrôlées, en partie, par des capitaux américains, même si elles ne sont pas contrôlées par les grandes compagnies pétrolières américaines, les majors (l'une de celles-ci, pourtant, Continental, a réussi à s'introduire dans le capital de Talisman).
Mais il y a encore beaucoup de champs pétroliers à exploiter au Soudan. Et puis, des pipelines, des installations de stockage et de pompage et au moins une raffinerie, devront être construits. Certains contrats ont déjà été signés, mais il y en a encore beaucoup à venir. Qui les obtiendra ? Les candidats sont nombreux. On trouve parmi eux la compagnie française Elf. Récemment, au Tchad, Elf a réussi à extorquer à Exxon et Shell une participation de 20 % dans le consortium créé pour exploiter le plus grand champ de pétrole jamais découvert en Afrique centrale cela grâce à l'appui du président tchadien Idris Deby. Il est vrai que Deby est un "ami très proche" de la France. Les compagnies anglo-américaines ont donc toutes les raisons de se méfier des ambitions d'Elf au Soudan. Et puis, cette année, de l'or vient d'être découvert au nord du Soudan. La compagnie qui a remporté la concession n'appartient pas au cercle des géants américains, britanniques ou sud-africains de l'or, non, c'est une compagnie française, Ariab. Il s'agit là, sans aucun doute d'un geste de Khartoum en remerciement pour le soutien apporté par Paris au régime en place.
La féroce lutte pour le pouvoir qui se livre par procuration au sud du Soudan n'est que l'un des affrontements qui se sont déroulés en Afrique centrale au cours de ces dernières années. La crise rwandaise a montré d'un côté un impérialisme français s'accrochant désespérément à une dictature sanglante, mais fidèle, et de l'autre, l'alliance anglo-américaine lançant les forces qui allaient finalement abattre cette dictature à partir de l'Ouganda voisin, dans le but d'arracher la région des lacs à l'influence française (ce qu'elle a réussi à faire pour l'instant). Une opération similaire fut ensuite menée dans l'ex-Zaïre et réussit à renverser, Mobutu. Mais Kabila, le candidat anglo-américain à la succession de Mobutu, s'est révélé plutôt imprévisible. Les impérialistes n'ont donc pas découragé si tant est qu'ils ne l'aient pas incitée une nouvelle opération impulsée par le Rwanda et l'Ouganda pour remplacer l'inconstant Kabila.
Les populations du Soudan, du Rwanda et du Zaïre ont déjà payé très cher les conséquences sanglantes de ces rivalités inter-impérialistes. De plus, chacun de ces conflits nourrit d'autres affrontements dans les pays voisins : par exemple, quand la SPLA reçoit le soutien de l'Ouganda, les guérillas ougandaises opposées au régime de Museveni reçoivent, à leur tour, l'aide de Khartoum. Il en est de même en Erythrée et aussi, sans doute, au Kenya. Ainsi, il se pourrait bien que les rivalités inter-impérialistes pour la mainmise sur les ressources naturelles du Soudan embrasent une partie de la Corne de l'Afrique, en plus du Soudan lui-même et de l'Afrique centrale au prix de millions de morts et de mutilés, de millions de personnes déplacées, contraintes de fuir en permanence pour survivre et tenter d'échapper à la guerre, et au prix de la destruction totale de pays entiers.
Mais tout cela n'est rien pour les gros actionnaires de Paris, du moment que les profits rentrent et qu'ils puissent damer le pion à leurs concurrents de Londres ou de New York, et vice-versa. Quant aux catastrophes humaines et sociales qu'ils engendrent en Afrique, n'ont-ils pas l'excuse éculée et éhontée des "tensions ethniques ancestrales" ?