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Situation politique en France
Texte de la majorité
La vie politique française, durant cette année 1998, s'est située dans le prolongement direct de la situation née de la dissolution ratée (du point de vue de Chirac) d'avril 1997.
Les institutions de la Ve république se sont montrées tout aussi capables de fonctionner avec une "cohabitation" entre un président de la république de droite et un chef du gouvernement se réclamant de la gauche, qu'elles l'avaient été de 1986 à 1988, et de 1993 à 1995, lorsque Mitterrand avait dû s'accommoder de Chirac, puis de Balladur.
Le retour du Parti Socialiste à la direction du gouvernement n'a pas résulté d'un glissement à gauche du corps électoral, puisque la droite, toutes tendances confondues, était majoritaire dans le pays aux législatives de 1997, comme elle l'est restée lors des régionales de 1998. Mais près du quart de cet électorat vote pour l'extrême droite, et les grands partis de la droite parlementaire ne disposent pas à eux seuls de la majorité absolue.
Depuis l'apparition, en 1984, du Front National comme force électorale notable, le problème qui se pose à certains des dirigeants de ces partis est celui de savoir comment rechercher l'appui de Le Pen et de ses amis, à défaut de regagner leur électorat, sans prendre le risque de rejeter la frange la plus libérale de leur propre électorat dans les bras du Parti Socialiste.
Les élections régionales de mars 1998, et les péripéties qui ont marqué les élections des présidents de conseils régionaux, ont cependant montré qu'une partie du personnel politique de la droite était prête à conclure des accords, au moins implicites, avec l'extrême droite.
Il serait évidemment illusoire de voir dans cette division entre partisans et adversaires d'accords électoraux avec le Front National, un clivage entre une droite qui serait "républicaine", et une autre qui serait prête à vendre son âme au diable, comme ont voulu le faire croire les dirigeants du Parti Socialiste et du Parti Communiste (auxquels une partie de l'extrême gauche a malheureusement emboîté le pas). Ce qui distingue les Millon, Blanc, Soisson et consorts des leaders de la droite qui ont condamné leur attitude, ce sont bien plus des questions d'opportunité, de conditions locales, de problèmes de carrières personnelles, que des questions de principe. Et vanter les mérites de la "droite républicaine", c'est parer de vertus antifascistes des hommes qui n'hésiteraient pas à faire appel à l'extrême droite (et pas seulement sur le plan électoral) si les intérêts de la bourgeoisie l'exigeaient.
Accessoirement, les partis de droite sont également déchirés par les suites de la guerre des chefs, celle qui a opposé dans le passé Chirac à Giscard d'Estaing (et qui a permis l'élection de Mitterrand en 1981 et 1988), comme celle qui a opposé Chirac à Balladur en 1995, ou les conflits qui opposent les leaders de second ordre à la Bayrou ou à la Léotard.
Mais c'est le problème de l'attitude à adopter vis-à-vis du Front National (si celui-ci renforce ou même simplement maintient son influence électorale) qui pourrait amener dans un avenir plus ou moins proche à une recomposition du paysage politique à droite, avec la formation d'un parti regroupant des hommes issus tant du RPR que de l'UDF, qui jouerait le jeu d'une alliance avec le Front National.
Cette crise de la droite explique sans doute pour une large part qu'après dix-huit mois de gouvernement, Jospin se maintient à une cote élevée dans les sondages (pour autant que ceux-ci reflètent la réalité), malgré le mécontentement croissant de larges couches de l'électorat populaire, dont évidemment son propre électorat.
Jusqu'à présent, la formule de la "gauche plurielle" a fonctionné sans lui poser trop de problèmes. Le Parti Communiste et les Verts ont saisi quelques occasions pour prétendre faire entendre leur différence, sans pour autant oser remettre en cause la solidarité gouvernementale. L'approche d'une nouvelle campagne électorale, avec la nécessité pour les uns et les autres d'avoir l'air de défendre leur identité propre par rapport à leur électorat, risque certes de susciter quelques tensions. Mais visiblement ni Robert Hue ni Dominique Voynet et les directions de leurs formations respectives n'ont la moindre envie de prendre le risque de quitter le gouvernement.
En ce qui concerne le Parti Communiste Français, sa participation à un gouvernement qui continue pour l'essentiel la politique de Juppé ne va pas sans poser des problèmes à nombre de ses militants et sympathisants, même si la majorité de ses cadres se reconnaît parfaitement dans la politique de Hue. Il ne s'agit certes pas d'un clivage entre révolutionnaires et réformistes, car il y a longtemps que le PCF recrute et forme ses militants sur la base d'une politique réformiste. Et, dans les remous qui agitent ce parti, les rivalités d'appareils et de personnes ne comptent sans doute pas pour rien. Mais il existe, au sein et autour du Parti Communiste, des milliers de militants ouvriers conscients qu'il mène une politique qui n'a rien à voir avec la défense des intérêts des travailleurs. Et les révolutionnaires doivent plus que jamais, dans la période actuelle, savoir critiquer la politique de la direction du Parti Communiste Français, tout en étant solidaires des militants de ce parti et de leurs aspirations.
L'année 1998 n'a pas connu de mouvements sociaux de grande ampleur. L'hiver 1997-1998 a certes été marqué par le mouvement des comités de chômeurs. Celui-ci a bénéficié d'une large sympathie dans le grand public, et posé quelques problèmes au gouvernement. Mais, même à son point culminant, il n'a mobilisé qu'une infime proportion et même, en valeur absolue, un nombre restreint des sans-emploi.
Le mouvement lycéen de l'automne a lui, au contraire, mobilisé de larges couches de la jeunesse scolarisée. Mais le Parti Socialiste, à travers les organisations lycéennes qu'il a mises en place, y compris artificiellement et au nom du "pas de politique", en a toujours gardé le contrôle de façon à ne pas trop gêner le gouvernement.
Quant aux luttes ouvrières, si l'année a connu son lot de conflits revendicatifs et de mouvements grévistes, elle n'a pas été marquée par une recrudescence de ceux-ci.
Cette constatation doit nous amener à relativiser la signification des résultats électoraux de l'extrême gauche (essentiellement de Lutte Ouvrière, mais, dans une certaine mesure, aussi de la Ligue Communiste Révolutionnaire, là où elle se présentait sous son propre drapeau) aux élections régionales de mars 1998. Ce succès électoral relatif ne traduit pas une radicalisation du monde du travail, qu'aucun autre élément ne vient confirmer. Mais il montre cependant qu'une partie de plus en plus large de l'électorat populaire et ouvrier se reconnaît dans ce que nous disons, et est consciente que c'est une tout autre politique que celle des gouvernements prétendument de gauche qu'il faudrait mener pour lutter vraiment contre le chômage et ses conséquences.
Cette évolution a commencé il y a plusieurs années. Le score réalisé par les listes de Lutte Ouvrière aux régionales n'était pas une première, puisqu'il succédait aux 5 % obtenus par Arlette Laguiller à l'élection présidentielle de 1995 et à des résultats aux élections législatives de 1997 qui, pour être plus modestes, n'en étaient pas moins supérieurs à ceux dont nous étions coutumiers.
Pour limitée que soit la signification de ces résultats, ils n'en ont pas moins une importance politique considérable à notre échelle, car non seulement le fait d'avoir franchi la barre symbolique des 5 % à l'élection présidentielle, d'avoir obtenu vingt élus aux élections régionales, nous rend plus crédibles auprès de la grande masse des travailleurs, mais il contribue à redonner confiance aux militants ouvriers, et en particulier à ceux du Parti Communiste, qui ont là l'occasion de vérifier qu'un langage radical peut recueillir l'assentiment de la population laborieuse assentiment exprimé par des scores qui ne sont que relativement inférieurs à ceux du PCF (et même supérieurs dans certains endroits).
C'est la raison pour laquelle nous devons tout mettre en oeuvre pour, aux élections européennes de 1999, essayer d'améliorer encore nos résultats et de faire entrer des députés d'extrême gauche au parlement européen afin d'utiliser toutes les possibilités, même relatives, que nous offrirait cette tribune. C'est dans cet esprit que nous nous sommes déclarés prêts, dès le lendemain des élections régionales, à constituer avec la LCR une liste commune se réclamant ouvertement du communisme révolutionnaire, sur la base d'un programme correspondant aux préoccupations de la population laborieuse face à un chômage qui ne recule pas.
C'est un des moyens de préparer moralement les luttes à venir de la classe ouvrière, des luttes qui demeurent le seul moyen de changer véritablement la situation.
27 novembre 1998