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Situation intérieure (texte de la majorité)
L'actualité politique tourne autour de l'élection présidentielle et, pour certains partis plus que d'autres, aussi autour des élections législatives qui vont suivre.
C'est la première fois qu'il y a une telle conjoncture prévue à l'avance, c'est-à-dire qui ne dépend pas du président qui sera élu et qui peut estimer, au lendemain de son élection, avoir besoin de dissoudre l'Assemblée pour en faire élire une à son image.
Aujourd'hui, ces deux élections seront automatiquement consécutives. Par contre, rien ne dit que, du fait de la loi électorale au scrutin uninominal, la Chambre soit, à moins d'un raz-de-marée dans un sens ou dans l'autre, du même bord que le président élu en avril. Et cette perspective marque la campagne présidentielle car presque tous les partis visent les législatives au travers de cette dernière.
Les principaux candidats, Jospin et Chirac, ne sont pas encore officiellement en campagne, disent-ils, mais leur parti et les partis qui leur sont associés le sont pour eux.
Pour le moment, c'est surtout le gouvernement qui subit les assauts de ses adversaires. Tout prend un tour politique, de l'explosion d'AZF à Toulouse au meurtre de deux policiers par un récidiviste relâché sans jugement.
A Toulouse, la presse de droite a fait courir le bruit d'un attentat terroriste, insécurité oblige ! Pas l'insécurité au travail, non, l'insécurité tout court, entretenue par le laxisme du gouvernement. Quant aux deux policiers abattus, la presse de droite torture les faits, affirme et répète que c'est à cause de la récente loi Guigou que l'assassin a été relâché il y a plusieurs mois, alors que cette loi n'avait pas encore été adoptée. Il a été relâché au nom d'une loi votée par la droite, comme par la gauche, mais que, non sans malice, un tribunal a appliquée stricto sensu, sans se douter sans doute des conséquences.
Cela, c'est le duel Jospin-Chirac, dans lequel Jospin a bien du mal à porter les mêmes coups car il subit le handicap d'être le chef du gouvernement actuel et donc de ne rien pouvoir reprocher de ce qui se passe à l'opposition.
Pour les partis de la droite, si l'on excepte l'extrême droite, leur candidat est évidemment Chirac. Mais leur place dans le jeu électoral n'est pas équivalente. Bien sûr, ils souhaitent la victoire de Chirac, c'est ce qui les mettrait dans la meilleure position pour aborder les législatives, mais chaque composante de la droite joue son propre jeu. Les uns ne cherchent qu'à se mettre dans la meilleure position possible pour les législatives. D'autres ont des visées plus lointaines mais sans doute plus ambitieuses.
C'est le cas en particulier de François Bayrou, qui vise au moins pour 2007 la possibilité d'être candidat de la droite en comptant qu'à cette époque, Chirac ne sera pas en mesure de se représenter, qu'il soit réélu l'année prochaine ou pas. Il n'est cependant pas le seul, et des hommes comme Sarkozy semblent jouer aussi ce jeu. La prochaine échéance est trop proche pour eux pour qu'ils puissent y réaliser ce projet, mais ils ont cinq ans pour tenter de s'imposer. A moins que d'autres "jeunes" n'entrent en lice d'ici là car Pasqua n'a plus guère de chances d'avenir.
Pour ces derniers aussi, les scores de leur parti aux législatives compteront pour leurs projets d'avenir. Leur poids à l'Assemblée sera un des éléments de leur crédit politique vis-à-vis de leurs concurrents pour rassembler la droite.
Bien évidemment, le nombre de députés n'aura qu'un assez lointain rapport avec les voix de chacun de leurs candidats, car il y aura des arrangements, des circonscriptions qu'ils s'échangeront, et peut-être relativement peu où il y aura un premier tour entre eux. Mais cela, c'est aussi fonction de leur réalisme ou de leur arrivisme.
Cela dit, dans notre campagne ce n'est pas de cela que nous nous occuperons le plus car, sur le plan social, ils sont tous sans exception ouvertement dans le camp de la bourgeoisie et ce qui se passe entre eux ne concerne ni les travailleurs ni la population en général.
A gauche, la situation est tout aussi complexe, mais bien plus prévisible.
Le PS n'a pas vraiment le choix de sa politique. Ses résultats dépendront des résultats de la présidentielle. Si Jospin est élu, et surtout élu avec un nombre confortable de voix, le PS cherchera à avoir la majorité à la Chambre et il est vraisemblable que le PS laissera le moins de circonscriptions possible à ses alliés de la gauche plurielle. Et s'il n'a pas la majorité absolue, il cherchera au moins à être le moins dépendant possible de ses alliés.
Si Jospin n'est pas élu et que le PS est dans l'opposition, le problème sera moins crucial, en tout cas moins difficile à résoudre. Il pourra laisser plus d'air à ses alliés puisqu'il aura peu de chances de conduire le gouvernement. Il n'est cependant pas exclu d'avoir un président de droite et une Chambre de gauche. Mais même si le président est forcé de choisir à nouveau Jospin comme Premier ministre, avec une nouvelle cohabitation, le PS pourra ou devra se montrer plus souple avec ses ennemis intimes.
Le problème pour le PS est donc, si Jospin est élu, de composer avec ses alliés de la gauche plurielle pour calculer le moyen de leur offrir un nombre de sièges plus important sans perdre la majorité absolue pour lui-même. Cela dépend bien sûr des électeurs, mais cela dépend aussi de négociations âpres et conflictuelles, ne serait-ce qu'avec ceux des députés socialistes actuels qui pourraient avoir à laisser la place à un candidat PC, Vert ou chevènementiste. Il faudra donc, dans ce cas, jouer un jeu qui évite les schismes et des candidats rejetés. Il y a d'autres places dans l'État que celles de députés.
Le PCF, pour sa part, a bien du mal à se sortir de sa pente descendante ou même de sa stagnation.
De changement en changement, le PCF ne sait plus ce qu'il doit faire ni qui il est. Il voudrait bien, le sort du parti socialiste lui fait envie, être un nouveau parti réformiste bourgeois, ou plutôt bourgeois à peine réformiste. Mais s'il fut un temps sous la IVe ou au début de la Ve République, alors que la SFIO s'était effondrée , où prendre sa place était pour le PCF une hypothèse possible, malheureusement pour lui, l'allégeance passée de ses dirigeants à l'URSS, malgré l'opposition de nombre de ses cadres, le faisait récuser par la bourgeoisie en tant que parti de gouvernement.
Aujourd'hui, plusieurs phénomènes ont concouru au recul du PCF.
Sur le plan électoral d'abord. Tant qu'à voter pour une politique supposée réformiste, nombre d'électeurs ont pensé qu'il valait mieux voter pour le plus crédible, celui qui avait le plus de chances d'avoir les moyens de mener une telle politique. Et la dramatique ironie de cette évolution, c'est que c'est le PCF qui a mis toutes ses forces à justifier la politique réformiste parmi les masses populaires, creusant ainsi sa propre tombe. Cela dit, étant donné ce qu'était la direction du PCF depuis des dizaines d'années, c'était la seule politique qu'elle pouvait et savait mener.
Par ailleurs, sur le plan social, le PCF est le parti qui était le plus implanté dans la classe ouvrière et en général parmi les travailleurs. L'essentiel des cadres de la CGT était constitué de ses militants, de même que l'essentiel des organisations populaires dites de masse. Le PCF était, a longtemps été, est encore aujourd'hui le parti qui a le plus d'influence dans les masses populaires. Mais, pour ne parler que de cette période, en soutenant Mitterrand depuis 1974, le PCF a démoralisé les travailleurs, leur a fait perdre confiance dans l'activité politique et syndicale, dans les luttes revendicatives, dans leur propre participation à la vie des organisations de leur classe et qui dit participation, dit contrôle.
Le PCF leur a dit, pendant des années : "On ne peut rien faire tant qu'on n'a pas changé le gouvernement, la présidence de la République, il faut un président de gauche, et Mitterrand est ce président", en taisant que Mitterrand n'était pas de gauche et qu'il avait seulement annexé le parti socialiste. Ce n'est pas Mitterrand qui était devenu socialiste, c'est le parti socialiste qui avait été racheté par Mitterrand.
Et quand Mitterrand a été élu, les travailleurs ont eu pas mal d'illusions sur ce Programme commun, sur ce qui allait changer. Résultat : ils n'ont rien vu venir d'autre que le chômage, les fermetures d'entreprises ou les licenciements collectifs, que la diminution du niveau de vie du monde du travail, que la dégradation des conditions de travail, malgré les 39 puis les 35 heures. On leur avait dit que la lutte ne servait à rien, sans changer le gouvernement. Le gouvernement avait changé, pas leur situation ! Alors que leur restait-il ? Rien, ont-ils pensé !
C'est là la raison principale de la désaffection du monde du travail pour les organisations ouvrières, syndicales, vis-à-vis du PCF. Pas par hostilité mais par déception et ne sachant plus comment se défendre.
La direction du PCF a décidé, dans son désespoir, de devenir bicéphale, en appliquant à ce bicéphalisme un sexe-ratio de 50/50.
Mais le pire est que d'un côté il y a un dirigeant politique qui vaut ce qu'il vaut, mais qui n'est pas au gouvernement, et de l'autre une ministre de Jospin, c'est-à-dire une personnalité qui obéit à Jospin, et le parti communiste est dirigé maintenant, au second degré, par Jospin lui-même. Robert Hue n'étant que l'affiche électorale, affiche derrière laquelle il n'y a qu'un mur.
Comment les militants communistes, ceux qui sont encore sincèrement communistes, et il y en a, prendront-ils cet attelage ? On ne le sait pas. Comment les électeurs le verront-ils ? On ne le sait pas non plus. D'autant qu'ils ne verront que Robert Hue. La dirigeante du PCF, ils ne la verront pas, partagée qu'elle est entre son ministère et son secrétariat national.
Mais nous ne pensons pas que cela puisse empêcher le recul du PCF.
A gauche encore, si l'on peut dire, il y a les Verts. Ils viennent de vivre une crise d'identité au travers du choix de leur candidat. En fait, ils sont surtout partagés par leur absence de programme politique. Être écologiste n'est pas un programme politique. Il y a ceux qui souhaiteraient des réformes sociales et qui se sont engagés dans l'impasse de l'écologie, et il y a ceux qui n'ont pas d'objectif social, les écologistes purs, partisans du roller ou du vélo, des usines polluantes à l'écart des villes, de l'eau pure, de l'agriculture biologique et du roquefort, etc.
Les premiers veulent défendre les mal-logés et s'opposent aux quartiers insalubres. Ils veulent au besoin qu'on régularise les sans-papiers ceux qui ne mettent pas leur linge aux fenêtres mais ce sont, à tout prendre, les plus proches de tout ce qu'on peut appeler "la gauche".
Les seconds, ceux qui sont partisans d'installer les campagnes dans les villes et veulent de l'air pur et frais, sont les représentants d'une petite bourgeoisie ayant des moyens de vivre et voulant vivre selon ses moyens. Oh, bien gentils mais vraiment convaincus que la classe ouvrière n'existe plus et que les chaînes des usines automobiles ne sont peuplées que de robots brillants de propreté, dans une ambiance insonorisée et où l'huile des machines est parfumée.
Alors les Verts ont eu du mal à choisir entre deux représentants, Lipietz l'opposant et Mamère se voulant serviteur de l'État. Ils avaient déjà vécu la même schizophrénie lors du choix d'une tête de liste pour les européennes. Là, cela n'avait pas pris publiquement ce caractère aigu, mais pour avoir choisi d'un commun désaccord Cohn-Bendit comme tête de liste, c'est que la bagarre interne n'était pas moins violente qu'aujourd'hui.
Toujours est-il que les dirigeants des Verts, de Voynet à Lipietz en passant par Mamère, veulent être un parti de gouvernement. Ils veulent avoir des ministres. Ils veulent avoir des maires dans les grandes villes (Voynet ne l'a pas pu), ils veulent s'intégrer à l'État. Mais ils ont dû avaler pas mal de couleuvres et Voynet, verte par étiquette et verte par couleuvres avalées, a dû bien souvent cautionner des mesures, sur la chasse, l'atome, les tunnels qui tuent, et pas mal d'autres, qui ont dû hérisser l'électorat de la base écologiste.
Ce que visent les Verts, c'est qu'en échange de leur soutien, le PS leur accorde des circonscriptions, pour qu'ils aient des chances d'augmenter le nombre de leurs députés, de façon à avoir plus de poids à la Chambre dans une éventuelle majorité de gauche. Mais ce qui arrangerait les Verts n'arrange pas forcément la direction du PS.
Enfin, il y a le cas Chevènement que, bien que le terme de gauche ne veuille pas dire grand-chose, on hésite vraiment à classer de ce côté-là de l'hémicycle. Ancien ministre ayant battu le record des démissions, son langage hésite entre la démagogie populiste de gauche évitant d'aborder les réels problèmes de classe, et la démagogie nationaliste de droite, champion de la centralisation étatique à outrance et ministre de l'Intérieur champion de la fermeté ce n'est pas Papon, mais il vaut Debré , Chevènement joue sa carte personnelle, tout comme Bayrou à droite, il vise la présidentielle de 2007 à gauche.
Être le représentant de la gauche même très plurielle, c'est d'ailleurs beaucoup dire.
Pour le moment, il essaie de plaire autant à la gauche qu'à la droite. A gauche grâce à ses ailes, à droite à cause de ses poils, comme la chauve-souris de la fable. Et surtout, grâce à son radar à ultrasons qui lui permet de voltiger entre les deux. Cela semble lui réussir.
Bien entendu, ce paysage politique ne concerne pas vraiment les travailleurs, sauf qu'ils risquent d'être déçus par les uns ou par les autres, voire par la fausse impression de voter utile même en sachant qu'ils sont trompés.
C'est dire aussi que notre campagne, même si nous sommes amenés à parler accessoirement des uns ou des autres, ne sera pas axée sur les mesquineries, les ambitions, les petitesses de ce monde-là.
Pratiquement, le jeu du PCF et des Verts sera de ramasser, au premier tour, des voix que Jospin n'aurait pas obtenues pour les lui offrir au second, et cela en échange de quelques strapontins de députés, voire de ministres.
Notre campagne sera axée, comme depuis 1995, sur la situation sociale, la crise menaçante, les licenciements, les fermetures d'entreprises, le recul des salaires réels et l'aggravation des conditions de travail malgré ou à cause des 35 heures.
Nous ne formulerons pas, dans ce texte, ce que sera cette campagne car le fond est connu de tous. C'est ce que nous disons, nous écrivons, depuis des mois. Et nous mettrons à profit la campagne pour le dire avec plus de force.