Sécurité alimentaire et insécurité capitaliste01/01/20012001Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2001/01/56.png.484x700_q85_box-20%2C0%2C575%2C803_crop_detail.png

Sécurité alimentaire et insécurité capitaliste

Le 21 octobre 2000, la société Carrefour retirait la viande de boeuf des étals d'une quarantaine de ses magasins. Cette décision suivait l'annonce que de la viande provenant d'un troupeau dont l'un des animaux était atteint de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) avait été commercialisée. Un mois plus tard, fin novembre 2000, la consommation directe de boeuf avait chuté de 30 à 50 %. Depuis, les pouvoirs publics s'interrogent sur la façon de rendre confiance aux consommateurs afin de faire remonter les ventes, ce qui est différent du souci d'assurer la sécurité alimentaire.

Depuis la première crise de mévente de la viande de bovins en 1996, la politique des gouvernements comme des autorités de la Communauté européenne n'a pas brillé par la volonté de prendre les mesures indispensables pour supprimer les risques sanitaires.

Aujourd'hui, dans l'urgence, le gouvernement tente de rétablir la confiance des consommateurs, surtout pour enrayer l'effondrement des ventes. C'est d'autant plus difficile qu'après les silences, voire les mensonges officiels, les consommateurs craignent à juste titre que leur santé soit d'une façon ou d'une autre menacée alors que les scientifiques sont démunis quant aux moyens d'enrayer les conséquences de la transmission de la maladie aux êtres humains et impuissants à la guérir.

Depuis des années, très récemment et sûrement encore actuellement et dans l'avenir proche, des animaux infectés sont passés dans la chaîne alimentaire ou y passeront, sans qu'on le sache. Les probabilités pour chaque consommateur d'être atteint par l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ne semblent pas importantes, mais elles sont réelles. En Grande-Bretagne, depuis le début de la crise, les experts ont recensé plus de 180 000 cas d'ESB prouvés mais ils estiment qu'entre 500 000 et un million d'animaux malades sont passés dans la chaîne alimentaire. La Grande-Bretagne compte 85 des 89 cas humains de la maladie détectés en Europe. Les experts les plus optimistes estiment que le nombre de personnes contaminées en Grande-Bretagne pourrait se situer entre 100 et 6 000 cas, la révélation de la maladie pouvant s'étaler sur des dizaines d'années. Les estimations les plus pessimistes évoquent 136 000 cas possibles. En France, jusqu'en décembre 2000, trois cas ont été recensés. Il y a déjà eu deux décès et, malheureusement, un troisième ne saurait tarder.

Cela dit, à la question "Peut-on trouver du boeuf sans prion en Europe, aujourd'hui ?", les scientifiques déclarent qu'il est impossible de répondre. Il n'est pas possible de mesurer la gravité de la contamination parmi l'ensemble des bovins européens. Quant aux tests, tels qu'ils existent aujourd'hui, ils ne détectent que les animaux "très infectieux", lorsque le système nerveux est suffisamment atteint. Pour les autres, y compris ceux ayant réagi négativement aux tests, il n'est pas garanti à 100 % qu'ils soient sains. Pour prendre l'exemple de la France, chaque année, on y abat pour la viande entre cinq et six millions de bovins et même si on les teste tous, cela n'offrira pas une garantie à 100 % car sur le nombre, bien des animaux seront des faux négatifs.

Ainsi, au sein des pays les plus riches d'Europe, l'Angleterre, la France, l'Allemagne, dans cette partie du monde qui a la prétention d'être la plus civilisée, la plus éduquée, regorgeant de richesses, la population prend conscience qu'elle ne sait pas ce que lui font ingurgiter ceux qui tiennent les commandes économiques et politiques des pays. A juste titre, elle se retrouve prise de peur devant cette insécurité alimentaire, devant des risques face auxquels elle est entièrement démunie.

Il en va dans le domaine de l'alimentation comme dans tous les autres domaines de la société humaine : entre les besoins des hommes et les capacités matérielles de les satisfaire s'interposent les lois du marché. Dans le cadre du système capitaliste, seuls comptent les profits à réaliser. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. L'évolution de l'agriculture et plus particulièrement de l'élevage ces dernières années ainsi que le déroulement de cette crise de la "vache folle" en fournissent l'illustration.

L'évolution de l'élevage et la production bovine

Dans un certain nombre de régions du globe, l'élévation du niveau de vie de la population s'est accompagné d'une augmentation de la consommation de viande. En France, celle-ci a doublé entre 1965 et 1980 et a poussé à l'accroissement de la production dans l'élevage. C'est ainsi que les exploitations françaises élèvent aujourd'hui près de 20 millions de bovins. Tous les animaux ne sont pas directement élevés pour la viande de boucherie puisque 4 400 000 sont des vaches laitières et près de 4 millions des vaches allaitantes, soit plus de 8 millions d'animaux qui n'entrent qu'après plusieurs années dans la filière alimentaire, tandis que plus de 11 millions sont élevés seulement pour leur viande.

Depuis une trentaine d'années, l'élevage bovin s'est concentré, intensifié. Le nombre des exploitations agricoles pratiquant des cultures diverses en même temps que l'élevage a diminué au profit de l'élevage intensif (non seulement de bovins, mais aussi de porcs et de poulets).

Entre 1970 et 1997, le nombre d'exploitations d'élevage bovin a diminué des deux tiers, tombant de plus d'un million à un peu plus de 300 000 dans le temps où le nombre de bovins ne diminuait que de 5,8 %. Chaque exploitation élevait alors, en moyenne, non plus 20 mais 64 bêtes, soit plus du triple.

Il y avait en 1993, dans l'ensemble de l'Union européenne, plus de 82 millions de bovins, principalement en France (plus de 20 millions), en Allemagne (16 millions), en Grande-Bretagne (près de 12 millions).

En 1998, l'Europe des Quinze produisit environ 8 millions de tonnes de viande de boucherie, dont 21 % pour la France, 18 % pour l'Allemagne, 15 % pour l'Italie et 12 % pour la Grande-Bretagne. Les jeunes bovins mâles, destinés à l'abattage à l'âge de 24, 30 ou 36 mois, fournissaient désormais l'essentiel de la production de viande, devant les vaches de réforme, car les mesures financières de soutien accordées aux éleveurs dans le cadre de la réglementation européenne favorisaient ce type d'élevage, qui se prête parfaitement à l'engraissement dans des étables de grande taille.

Dans le cadre de la recherche par les éleveurs d'une alimentation plus riche en éléments susceptibles d'accélérer le développement et la prise de poids tout en raccourcissant la durée de l'élevage avant la vente des animaux, divers compléments furent utilisés : des vitamines, des antibiotiques, des hormones et finalement, après l'interdiction de ces dernières, les farines carnées qui sont apparues comme très efficaces pour augmenter le poids de muscles, c'est-à-dire de viande. Elles sont à la fois plus économiques que les protéines végétales et plus efficaces. Au début des années quatre-vingt-dix, personne n'évoquait les conséquences que cette évolution industrielle pouvait avoir. Les animaux grandissaient plus rapidement et les farines animales, moins chères que les autres aliments, comme par exemple les tourteaux de soja importés, offraient un débouché intéressant au traitement des déchets carnés provenant des abattoirs ou des animaux malades, morts, blessés, déclarés impropres à la consommation humaine. Les déchets quant à eux représentent de 30 à 40 % du poids de l'animal vivant. Les farines de viande et d'os trouvaient ainsi un emploi tout à fait rentable. Tout le monde y trouvait son compte, éleveurs, équarrisseurs, fabricants industriels d'aliments pour animaux. Mais il se passa des années avant que l'on s'aperçoive du danger et des années encore avant que les premières mesures de prévention soient prises.

Les étapes de la crise : demi-mesures et tergiversations

Les premiers bovins atteints avaient été recensés entre 1982 et 1985 mais ce n'est qu'en novembre 1986, en Grande-Bretagne, que l'encéphalopathie spongiforme bovine fut réellement identifiée comme une maladie dégénérative du système nerveux central due à des agents infectieux appelés prions. Les études des vétérinaires britanniques concluaient qu'il s'agissait d'une conséquence de l'alimentation des bovins par des farines fabriquées à partir de cadavres de ruminants infectés.

Dès la fin de l'année 1986 donc, le minimum aurait été d'interdire ne serait-ce que par précaution les farines carnées pour l'alimentation de tous les animaux d'élevage. Or ce ne fut pas le cas, et la maladie se développa rapidement. La politique menée au début des années quatre-vingt par le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher n'y fut peut-être pas pour rien. En effet, le gouvernement anglais décréta un desserrement de la réglementation concernant les services vétérinaires de contrôle et leur privatisation, permettant aux sociétés privées d'abattage et d'exportation de posséder sur les vétérinaires une emprise directe et autorisant toutes les pressions dans le sens des intérêts capitalistes privés. On ne peut guère douter qu'un laxisme dans le contrôle des abattoirs s'en suivit. Par ailleurs, pour des raisons d'économie, les normes de chauffage des farines furent assouplies, avec une diminution de la température et de la pression dans leur fabrication, ayant pour conséquence une moindre destruction, lors de la fabrication de ces farines, de l'agent de l'ESB déjà très résistant. En Grande-Bretagne, à la fin 1987, 136 cas d'ESB étaient recensés ; en octobre 1997, on enregistrait 170 326 cas cumulés depuis le début constaté de l'épidémie. A cette date, 276 cas avaient été recensés en Suisse, 217 en Irlande, 74 au Portugal et 28 en France.

Dès 1986, les États membres de l'Union européenne étaient informés que le prion avait infecté massivement le cheptel bovin britannique, abondamment nourri aux farines animales, et qu'il avait atteint aussi des chats nourris avec des aliments pour chats à base de déchets bovins.

En juillet 1988, le gouvernement britannique décidait d'interdire les farines dans l'alimentation des seuls ruminants (bovins, ovins, caprins). En 1989, l'Union européenne prenait les premières mesures de restriction aux exportations de bovins britanniques et la France, en particulier, interdisait l'importation des bovins et des farines animales britanniques... mais pas de la viande qui, elle, ne fut interdite à l'importation qu'en mai 1996. Ce ne fut pas la seule demi-mesure prise par les autorités françaises.

En effet, ce n'est qu'en juillet 1990 que l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des bovins fut interdite, interdiction qui ne fut étendue à l'ensemble des ruminants qu'en décembre 1994. Ce n'était plus par méconnaissance de la gravité de la maladie qu'on tardait à intervenir mais par complaisance vis-à-vis des intérêts commerciaux et industriels en jeu.

Sans compter que les violations des interdictions furent très nombreuses et de toutes sortes. En France comme en Grande-Bretagne, des défaillances, l'insuffisance des services de contrôle permirent à la contamination de se faire y compris après les interdictions. Par négligence ou par fraude délibérée, la maladie a pu se répandre dans toute l'Europe et aujourd'hui dans le monde. En France, des cas d'ESB sont apparus chez les animaux nés après 1990, date de la décision du retrait des farines animales de l'alimentation des bovins. Ces animaux nés après l'interdiction des farines (en raccourci "naïfs") illustrent les contaminations croisées, celles dues à des farines carnées destinées aux porcs et aux volailles mais ayant été aussi mélangées aux aliments destinés aux bovins. Entre 1993 et 1996, bien après l'interdiction d'importer, des centaines de milliers de tonnes de farines animales britanniques ont été importées en fraude en France, mais aussi en Allemagne et probablement dans bien d'autres pays. En 1997 encore, les services des douanes dénonçaient des opérations de véritable "blanchiment" des farines britanniques à destination de la France en particulier. De 1997 à 1999, les contrôles des services de la répression des fraudes ont relevé et identifié nombre d'échantillons d'aliments pour bovins contenant plus de 0,3 % de farines carnées au lieu du 0 % exigé. Dans un rapport de 1999, la Brigade nationale d'enquête vétérinaire notait que "presque toutes les usines présentent ou présentaient des risques de contaminations croisées si elles fabriquent des aliments pour porcs ou volailles mais aussi pour bovins".

Devant la chute des achats de viande bovine à la consommation, c'est-à-dire devant une véritable grève des consommateurs, ce n'est que le 14 novembre 2000 que le gouvernement français a décidé d'interdire (de suspendre, et pour six mois seulement, était-il précisé !) l'utilisation des farines carnées et des graisses issues de la transformation des os pour l'alimentation de tous les animaux d'élevage, sans exception, porcs, volailles, poissons, etc.,... mais non la fabrication de ces farines.

En fait, jusqu'à une période très récente, les mesures de précaution élémentaires dans l'élevage des animaux destinés à la consommation humaine n'étaient toujours pas prises et les demi-mesures qui l'étaient, laissaient une marge d'aléas considérable, au mépris de la santé publique et en toute impunité.

Les profits avant la santé publique

Dans la crise actuelle, ceux qui ne sont jamais nommés devant l'opinion publique alors qu'ils sont parmi les premiers responsables de la gravité de la situation sanitaire pour les populations, ce sont les industriels fabriquant les aliments pour animaux. Les farines carnées mises en cause sont produites par les équarrisseurs, à partir des déchets d'animaux, de viande et d'os collectés dans les abattoirs ainsi que des cadavres de bétail mort dans les fermes ou euthanasié parce que blessé et impropre à la consommation humaine. Dans cette activité très lucrative, la matière première étant à peu près gratuite (si l'on excepte les frais de ramassage) et la main-d'oeuvre, dispersée dans de petites unités industrielles un peu partout dans les campagnes du pays, étant plutôt très mal payée, les sociétés d'équarrissage sont, en France, assez peu nombreuses à se partager le traitement annuel de plus de 3 millions de tonnes de tels déchets. De plus, deux entreprises, elles-mêmes filiales de grands groupes internationaux, dominent à l'échelle nationale, Saria Industries qui contrôle 50 % du marché, sous les étiquettes Soprorga et Française Maritime, et la société Caillaud pour 27 %. Le reste de l'activité revient à des entreprises régionales comme Ferso Bio (Sud-Ouest), Monnard (Jura) ou Blanchand (Massif Central). Il faut signaler en passant que la nouvelle taxe de 3,9 % sur tous les produits à base de viande que vient de décider le gouvernement est destinée à indemniser aussi ces fabricants de farines et que la moitié de ce qui leur est destiné ira à une seule société... Les farines sont ensuite vendues aux fabricants d'aliments pour animaux (qui appartiennent sûrement d'une façon ou d'une autre aux mêmes groupes), qui les incorporent dans les granulés utilisés comme compléments alimentaires. Il s'agit d'entreprises comme Glon-Sanders (numéro Un en France de l'alimentation animale avec une production annuelle de 2,7 millions de tonnes), SNC Guyomarch, etc., dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles agissent dans l'opacité la plus complète, vis-à-vis des consommateurs.

En janvier 2000, la Commission européenne adoptait un Livre Blanc sur la sécurité alimentaire comprenant entre autres choses un plan d'action devant "améliorer la législation alimentaire européenne". Ce plan est intéressant par les manquements qu'il souligne. Ainsi, il demande que soient clarifiées les différentes catégories de produits utilisés en alimentation animale (additifs, suppléments, produits médicamenteux), que soient définies les règles relatives à l'évaluation, l'autorisation et l'étiquetage des nouveaux aliments pour animaux (parmi lesquels figurent ceux élaborés à partir d'OGM). Il réclame également la suppression des antibiotiques utilisés pour hâter la croissance des animaux d'élevage. Il émet un "voeu" qui paraît pieux, à savoir que les responsabilités des industriels du secteur soient recherchées... Une réforme préparée par la Commission européenne et concernant l'ensemble des quinze pays de l'Union européenne vise à rendre "obligatoire l'enregistrement de l'ensemble des entreprises du secteur alimentaire, qui se verront attribuer un numéro destiné à permettre le suivi de leurs produits tout au long de la chaîne qui va de la production à la commercialisation". Jusqu'à maintenant donc, la "traçabilité" était inexistante et les industriels faisaient ce qu'ils voulaient, échappant à tout contrôle sanitaire complet. Mais il n'est pas dit que les choses changent radicalement demain.

Il a fallu attendre la crise actuelle pour apprendre que, jusqu'à maintenant, les industriels fabriquant les aliments étaient uniquement tenus d'indiquer par ordre décroissant d'importance, et seulement par catégorie, les ingrédients utilisés dans les aliments composés. Si la "traçabilité" est à la mode dans les campagnes publicitaires, y compris gouvernementales, en revanche, l'étiquetage détaillé, avec précision de la nature, de l'origine et de la quantité des ingrédients utilisés dans les aliments composés pour animaux, n'a jamais été obligatoire. Un rapport du Sénat français du 23 novembre dernier justifiait cette opacité en ces termes : "Les fabricants d'aliments pour animaux se sont, jusqu'à présent, opposés à une obligation de mentionner le pourcentage précis de chaque ingrédient, qui serait selon eux difficile à respecter pour des raisons à la fois techniques et économiques. Les quantités d'ingrédients utilisés dans un aliment donné varient selon leurs prix, qui sont soumis à des fluctuations régulières. En outre, la mention exacte des quantités utilisées pourrait mettre à mal la notion de secret industriel" !

Un système dangereux pour l'humanité

Parce que les consommateurs se sont détournés de la viande bovine, appliquant spontanément ce "principe de précaution" dont les pouvoirs publics savent si bien parler, toute la filière industrielle et commerciale s'inquiète... et multiplie des déclarations qui ne brillent pas par leur sincérité.

Les pouvoirs publics minimisent l'importance de l'épidémie, le secrétaire d'État français à la Consommation déclarant même, en substance, dans une récente émission télévisée, "qu'il ne faut pas exagérer puisque le risque zéro n'existe pas" ! Les éleveurs, du moins ceux qui ont les moyens de se faire entendre, c'est-à-dire les plus gros d'entre eux, garantissent que leurs bêtes broutent l'herbe des prés, même si, pour accélérer et terminer leur développement, les animaux sont engraissés en étables avec des aliments composés garantis végétaux. Pourtant, la preuve a été faite qu'il pouvait toujours s'y trouver secret oblige des protéines animales assaisonnées de prions. Les industriels de l'agro-alimentaire, comme les groupes Glon-Sanders, Guyomarc'h, jurent qu'ils ont toujours respecté la réglementation relative à l'importation et à l'utilisation des farines de viande. Les fabricants des produits transformés (tels que plats cuisinés, raviolis, sauces, etc.), comme par exemple Soviba (filiale de l'une des plus importantes coopératives agricoles, Cana), au troisième rang sur le marché des viandes de grande consommation, et les géants de la distribution comme Auchan, Carrefour, etc., approvisionnés par les précédents, prétendent garantir la parfaite "traçabilité" de leurs produits, porteurs de labels, de logos, de cocardes, d'étiquettes de toutes sortes. Il n'y a guère que les sociétés d'équarrissage fabriquant les farines qui se font très discrètes. Il faut rappeler qu'en ce qui les concerne, au cours de l'année 1999, la Commission européenne avait publié un rapport condamnant l'utilisation qu'elles faisaient d'ingrédients interdits (boues d'épuration en particulier) dans la fabrication des farines carnées. Ces entreprises si peu scrupuleuses ne seront cependant pas les dernières à toucher les aides que l'État se prépare à verser pour dédommager ceux que la crise actuelle lèse économiquement.

Mais les consommateurs, comment pourraient-ils être dédommagés des risques sanitaires encourus et dont les conséquences ne se feront peut-être sentir que dans plusieurs années ?

On parle de "traçabilité". Mais la seule façon de l'assurer consisterait à lever le secret industriel et commercial qui permet aujourd'hui à l'ensemble de l'industrie alimentaire (et pas seulement) d'être opaque pour les consommateurs. La population devrait disposer de tous les moyens de contrôler les entreprises et leur production, l'origine des produits alimentaires, les approvisionnements, les coûts, les raisons des choix d'orientation faits en matière d'agriculture et d'élevage, de techniques de fabrication, afin d'avoir en main, en même temps que toutes les précisions nécessaires et les appuis scientifiques indispensables, les moyens d'interdire aux entreprises de faire passer leurs considérations de rentabilité avant la santé publique.

Les gouvernements des États européens comme les autorités européennes alertées ont été incapables de mener une telle politique car ils ne sont pas au service de la population. Les uns et les autres ont tergiversé, sans prendre les mesures de sécurité alimentaire qui s'imposaient et cela pour préserver des intérêts économiques privés car c'est cela leur véritable rôle social.

Le gouvernement français s'interroge aujourd'hui sur les produits de substitution aux farines carnées dans l'alimentation des ruminants. Mais il n'a rien fait en ce sens depuis la confirmation du lien entre ces farines et l'apparition de l'ESB, c'est-à-dire au début des années quatre-vingt. Aujourd'hui, on nous présente un éventuel retour à l'alimentation végétale pour les ruminants comme un difficile retour en arrière, sous prétexte qu'il signifierait une croissance moins rapide des animaux, impliquant un coût plus élevé de production, devant renchérir le prix de la viande pour les consommateurs. Mais il n'y a aucune fatalité dans ce scénario. Le prix du boeuf élevé aux farines animales ne s'est jamais fait remarquer par son caractère bon marché. Pour maintenir les prix sur le marché, périodiquement, des tonnes de viandes sont stockées aux frais de l'État, mais le plus souvent, purement et simplement détruites. Parce que c'est la loi du marché.

Sans même parler du casse-tête constitué par la nécessité de stocker et de détruire le million de tonnes de farines et de graisses animales existant aujourd'hui (et renouvelé par les nouveaux abattages), l'épidémie d'ESB chez les bovins ainsi que les inconnues quant à l'ampleur de sa transmission à l'homme représentent un gâchis insupportable, d'autant plus scandaleux qu'il était évitable.

A notre époque, toutes les conditions seraient réunies pour qu'on s'alimente mieux que jamais, en Europe mais aussi sur l'ensemble de la planète. Or non seulement la famine, le pire des risques alimentaires, continue de sévir dans la majeure partie du monde, mais dans les pays riches (où vivent aussi des millions de personnes en état de malnutrition permanente et en dessous du seuil de pauvreté), l'irresponsabilité capitaliste fait craindre de contracter, en s'alimentant, des maladies perverses, insidieuses, dont on mesure mal la portée et qu'on ne sait pas guérir.

Dans le système capitaliste, l'ensemble de la production, et la production alimentaire comme les autres, obéit à la règle du plus grand profit à réaliser. C'est de cette logique ou plutôt de cette folie qui considère les aliments uniquement comme une des multiples façons de faire le plus d'argent possible qu'il faut débarrasser la société.

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