Relations internationales et domination impérialiste01/12/20052005Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2005/12/93.png.484x700_q85_box-0%2C4%2C570%2C828_crop_detail.png

Relations internationales et domination impérialiste

Texte approuvé par 98% des délégués présents au congrès

Malgré la prédominance absolue des États-Unis, il n'y a pas de stabilisation des relations internationales. Comment pourrait-il en être autrement dans un monde impérialiste dominé par les rapports de forces et la remise en cause incessante de ceux-ci par les heurts permanents entre intérêts divergents des différentes bourgeoisies et par les soubresauts incessants venant des peuples appauvris et assujettis?

Il y a quelques années encore, la forme actuelle de la "mondialisation" de l'économie et la disparition de l'Union soviétique servaient conjointement d'arguments à ceux qui prophétisaient une évolution dans le sens de la résorption des conflits et de la paix mondiale, sinon de l'harmonie universelle. Du côté de certains idéologues de la bourgeoisie, ces prédictions ont été résumées sous la forme extrême de "la fin de l'Histoire". Mais il s'en est trouvé même dans l'intelligentsia d'extrême gauche se revendiquant du marxisme qui, reprenant les idées avancées naguère par Kautsky de "l'ultra-impérialisme", annonçaient, pour la critiquer, l'émergence d'une classe capitaliste internationale aux intérêts transcendant les cadres nationaux et poussée par là même à gérer les affaires du monde en dépassant les oppositions entre États. Ils s'appuyaient sur l'interpénétration croissante des capitaux dans les différents pays, sur l'abaissement progressif des barrières devant les déplacements et les investissements de capitaux, sur la déréglementation généralisée, sur l'abaissement des barrières que nombre de bourgeoisies des pays sous ou semi-développés avaient érigées autour de leur pays pour tenter de protéger leur économie nationale.

Cette idée plus ou moins clairement formulée sous-tend également bien des discussions entre ceux qui présentent la mondialisation capitaliste actuelle sous les couleurs avenantes de l'unification des économies et des civilisations et ceux qui la dénoncent et déplorent le recul des États nationaux et souhaitent leur retour pour se protéger de la "concurrence excessive" ou encore pour "préserver les acquis sociaux".

Passons ici sur le fait que, même dans les périodes protectionnistes les plus accentuées, les États nationaux ne protègent pas les classes laborieuses, mais la bourgeoisie. Mais c'est toute cette vision opposant l'interdépendance croissante des économies sous la domination du capital financier et le rôle des États qui est fausse.

Le pouvoir croissant des grands groupes capitalistes, leur interpénétration dans les pays impérialistes, leur mainmise sur l'économie mondiale ne s'opposent pas à l'existence et au rôle d'États nationaux. Affirmer que de nombreuses multinationales ont un chiffre d'affaires plus élevé que le budget, voire le produit intérieur, de bien des États est certes éclairant sur la puissance croissante des grands trusts. Mais, en partant de là, présenter ces trusts comme des réalités opposées à cette autre réalité qu'est l'État, c'est proprement stupide. Lénine parlait déjà de fusion entre les grands trusts et leur État. La puissance croissante des trusts américains n'enlève rien au rôle de l'État des États-Unis en tant qu'instrument de ces trusts. Aussi "multinationaux" que soient les grands groupes financiers -et tous cherchent à se développer à l'échelle de la planète-, ils sont tous profondément liés à "leur" État national (sans même parler de l'État du pays pauvre dont un trust domine la production. Ainsi le Guatemala, État surtout du trust United Fruit, ou le Gabon, instrument étatique au service d'Elf, puis de Total).

La domination des trusts sur le monde ne signifie pas la fin des États et l'émergence d'une sorte d'État mondial, ni même la coopération permanente et harmonieuse entre les différentes bourgeoisies impérialistes. Les multiples formes d'alliance ou de coopération entre impérialismes sont toujours conflictuelles et susceptibles d'être modifiées ou remises en cause en fonction des modifications des rapports de forces économiques, financiers, voire militaires. Ce sont, pour reprendre l'expression de Lénine, des "trêves entre des guerres". Le développement du capitalisme a toujours eu un caractère à la fois international et national. L'impérialisme et son évolution des dernières années ont accentué le caractère contradictoire de cette réalité.

Seuls les défenseurs de l'impérialisme les plus bornés peuvent présenter l'évolution actuelle comme un cheminement sur la voie de la coopération croissante, sur une base capitaliste, avec un mouvement irréversible vers la démocratisation à l'intérieur des nations et la paix entre elles. Ce sont les mêmes qui saluent le succès du référendum en Irak ou le procès de Saddam Hussein comme des pas en avant sur le chemin de la démocratie.

Le plus puissant des impérialismes, les États-Unis, n'oeuvre certes pas pour le progrès de l'humanité, mais pour la mainmise de ses trusts sur l'économie mondiale et la domination de son État national sur les autres. Mais opposer à la mondialisation impérialiste la "souveraineté" des États est une utopie réactionnaire. Ceux qui opposent à l'unification croissante de l'économie mondiale par le capital financier, le repliement derrière la protection de l'État, instrument "national" du même capital financier, n'ont rien à voir avec le marxisme révolutionnaire qui a pour objectif l'abolition du capitalisme.

Même entre puissances impérialistes, la guerre économique n'a jamais cessé. Avec la stagnation de l'économie mondiale, elle s'intensifie. Si la presse se focalise sur les aspects les plus spectaculaires de cette guerre économique -Boeing contre Airbus, la fusée Ariane contre les lanceurs américains, cinéma ou production télévisuelle "nationaux" contre l'invasion des séries américaines, etc.-, elle se mène dans bien d'autres domaines, du textile à l'agroalimentaire, en passant par la banane-dollar et la banane des dépendances françaises d'outre-mer. Les organismes internationaux genre FMI, OMC, Banque mondiale, etc., n'atténuent pas les affrontements, même s'ils en régulent certaines modalités. Ils leur offrent surtout des arènes supplémentaires. Ils ne se substituent pas aux États. Ils servent de cadres où les États s'affrontent.

Et si les États-Unis ont joué un rôle majeur dans la mise en place de ces organismes, ce n'est certes pas pour abdiquer leurs prérogatives, mais pour se donner des moyens supplémentaires de les exercer.

Bien que le monde n'ait pas connu depuis 1945 des guerres dites mondiales, c'est-à-dire opposant entre elles directement des grandes puissances, entraînant les autres par un système d'alliances et de subordination, le militarisme demeure un trait fondamental de l'impérialisme. Malgré la disparition de "l'autre super-puissance", les États-Unis continuent à développer leur arsenal militaire. La nouvelle course à l'armement, relayant celle qui se menait au nom du "containment" du bloc soviétique, s'était engagée bien avant les attentats du 11 septembre 2001. Ces derniers ont fourni le prétexte pour lier la croissance du budget militaire -en augmentation spectaculaire depuis 1999- au spectre d'une menace qui "peut venir de partout".

La hausse des dépenses militaires a entraîné une croissance accélérée des grands trusts de l'armement, leur concentration par fusions ou rachats autour de quelques groupes géants (General Dynamics, Lockeed Martin, Northrop Grumman, etc.) attirant le capital financier (notamment celui des "fonds d'investissements" dont la part dans ces entreprises est largement majoritaire). Le placement dans les entreprises d'armement assure au capital financier des performances boursières plus fortes que tous les autres secteurs et plus assurées. La fusion entre l'État et les grands trusts est, dans ce secteur, poussée à l'extrême.

Si les dépenses militaires des États-Unis dépassent celles de toutes les puissances impérialistes réunies, ces dernières agissent de la même façon. Dans aucune d'entre elles, le budget militaire n'est en baisse.

Bien qu'une grande partie des dépenses militaires des États-Unis aille vers la recherche, l'élaboration et la fabrication de systèmes matériels de plus en plus sophistiqués, la militarisation se traduit, aussi, par un large déploiement d'hommes. Ce déploiement est, sans doute, plus large même que pendant la guerre froide, ne serait-ce qu'à cause de la présence de troupes américaines, seules ou avec des alliés de l'OTAN, dans certaines des ex-Démocraties populaires -Hongrie, Roumanie, Bulgarie-et dans plusieurs pays issus de l'éclatement de l'Union soviétique, en Géorgie ou en Asie centrale.

La puissance économique est ainsi complétée et assurée par la force militaire, en particulier dans les zones stratégiques que sont, pour le contrôle de l'approvisionnement en pétrole, le Moyen-Orient ou, pour des raisons politiques, l'Asie centrale, à proximité de la Russie, de la Chine et de l'Inde.

Il en va de même pour tous les États impérialistes en proportion de la puissance de leurs groupes industriels et financiers. Les États nationaux leur servent d'instrument pour se défendre dans la compétition internationale contre leurs concurrents, les autres puissances impérialistes, et en premier lieu les États-Unis, mais aussi à préserver leurs intérêts dans les pays pauvres qui font partie de leurs zones d'influence.

La "construction européenne" est une tentative des puissances impérialistes d'Europe d'échapper aux conséquences mortelles du morcellement national -mais sans pour autant abandonner les États nationaux. Car le processus qui a mené à l'Union européenne n'a pas mis fin à l'antagonisme entre bourgeoisies impérialistes d'Europe. Le rejet de la Constitution européenne n'est qu'un épiphénomène mineur à cet égard. La construction d'une Europe unie sur une base bourgeoise se heurte à des forces autrement plus puissantes que l'acceptation ou le rejet d'un texte constitutionnel. À commencer par celle des États nationaux des pays impérialistes d'Europe eux-mêmes, capables de s'associer à des degrés divers en fonction du degré d'interpénétration de leurs économies respectives, mais nullement disposés à disparaître en cédant la place à un État européen. Tout en marchant sur la "souveraineté" des États des pays qu'elles pillent dans leurs zones d'influence, y compris dans la partie pauvre de l'Europe, les bourgeoisies impérialistes ont trop besoin de leurs États, y compris pour négocier au mieux les abandons partiels de souveraineté qu'exige la création d'un marché unifié.

En Europe, il y a bien un marché plus ou moins unifié, des accords bi ou multilatéraux entre pays européens pour des projets industriels du type "Arianespace", mais seulement des embryons de diplomatie et d'armée communes. Quant au budget européen, s'il représente un pactole pour les trusts qui y émargent, il ne représente qu'un pourcentage ridiculement faible par rapport aux budgets des États. Et même sur ce budget, les grandes puissances ne sont pas parvenues cette année à se mettre d'accord. La diplomatie française attribue l'échec des affrontements à ce sujet à la Grande-Bretagne, accusée d'être plus liée aux États-Unis qu'à l'Europe (au moins sur ce point, c'est vrai). Mais les représentants de la bourgeoisie britannique ne voient pas pourquoi le gros du budget européen -plus de 40%- irait à l'agriculture et à l'agroalimentaire (ce qui favorise surtout la France), et pas à ses propres entreprises. Étant entendu cependant que pas plus la France que la Grande-Bretagne ne sont partisanes d'augmenter le budget commun au détriment des budgets nationaux.

La "construction européenne" est pour l'essentiel une alliance contractuelle entre puissances impérialistes d'Europe et avant tout du trio Allemagne-France-Grande-Bretagne. Il ne se passe pas une année sans que les divergences d'intérêt entre ces trois puissances moyennes éclatent sous forme de conflits ou de crises plus ou moins graves. Au-delà des aspects anecdotiques attribués aux relations entre dirigeants -du fameux "L'Angleterre est une île" de DeGaulle au "I want my money back (je veux récupérer mon argent)" de Margaret Thatcher-, les divergences reposent sur des différences d'intérêts économiques.

Par la complémentarité de leurs ressources en matières premières, par l'importance de leurs échanges -la France est la première cliente et le premier fournisseur de l'Allemagne, et réciproquement-, ce sont la France et l'Allemagne qui ont le plus besoin de rendre communs leurs marchés respectifs. D'où aussi leur entente pour une monnaie unique, faisant échapper leurs échanges commerciaux aux aléas des variations des taux de change. Pour ce qui concerne plus particulièrement l'impérialisme allemand, il est d'autant plus chaud partisan de l'élargissement de l'Union européenne vers l'Est que cette partie du continent est sa sphère d'influence traditionnelle. Quant à la France, puissance moyenne de moins en moins de taille à préserver sa sphère d'influence dans son ex-empire colonial d'Afrique, elle a intérêt à y "européaniser" le coût humain et financier de sa présence. Dans les premiers balbutiements d'une force militaire européenne commune, ses initiateurs désignent l'Afrique comme un des principaux théâtres de ses opérations dans le cadre du Recamp (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix).

La Grande-Bretagne, en revanche, est plus liée aux États-Unis qu'à l'Allemagne et à la France sur le plan tant économique que politique. Les dirigeants politiques de l'impérialisme britannique n'ont jamais caché que, dans l'Union européenne, seuls les intéressent un marché plus ou moins unifié et la suppression des obstacles devant le déplacement de leurs capitaux et de leurs marchandises. Si l'Allemagne et la France sont allées plus loin, ni l'une ni l'autre ne proposent, même à long terme, la fusion de leurs États en un seul ou la disparition de leur État respectif au profit d'une entité étatique à l'échelle de tout ou partie du continent.

Les trois principales puissances impérialistes d'Europe ont, en revanche, en commun l'intérêt d'affermir leur condominium sur la partie moins développée et plus faible de l'Europe, les ex-Démocraties populaires, les pays baltes, voire au-delà, sur les Balkans ou sur la Turquie. Mais cela ne les empêche pas de jouer, chacune, sa partie en fonction de ses intérêts particuliers. On l'a vu lors de l'éclatement de la Yougoslavie, où l'Allemagne a favorisé l'indépendance croate, et la France et la Grande-Bretagne ont pendant quelque temps pris position pour le maintien d'un État yougoslave unifié, ce qui revenait à prendre parti pour la Serbie. On l'a revu lors des récents affrontements dans les instances européennes où l'Autriche a fait "chanter" la Grande-Bretagne, partisane d'engager les négociations pour l'adhésion de la Turquie, en menaçant de bloquer le processus si les négociations n'étaient pas engagées en même temps avec la Croatie.

Quant aux pays de l'Est européen, ils restent des sujets passifs de l'unification européenne. Le fait d'être intégrés dans l'Union ne change pas la nature de leurs relations avec l'Europe occidentale. Leur économie est dominée par les grands trusts occidentaux.

Le traité de Nice, qui régit les relations entre les différents pays de l'Union européenne, leur reconnaît une représentation à la Commission européenne que les grandes puissances n'ont pas l'intention de leur laisser. (Mettre fin à cette situation et assurer à la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne coalisées un droit de veto dans les institutions européennes était le principal objectif de la "Constitution Giscard").

Mais le fait qu'il y ait un commissaire par pays à la Commission européenne ou encore que, dans bien des domaines de décision, la règle de l'unanimité continue à prévaloir, ne change pas ce rapport de forces dans le domaine économique. Cela contribue seulement à ce que l'Europe dite politique reste dans les limbes. Mais, de toute façon, là n'est pas l'essentiel pour les grandes entreprises d'Europe occidentale.

Jamais, grâce aux progrès techniques dans les domaines de la communication, de l'informatique, du déplacement matériel, la planète n'est apparue aussi petite qu'aujourd'hui, et le sort de ses habitants aussi profondément lié. Mais jamais, en même temps, n'a été aussi forte la fragmentation en différents États, complétée par des montées nationalistes un peu partout, y compris dans les grands pays impérialistes, à commencer par les États-Unis.

Nous avons eu l'occasion de souligner bien des fois qu'alors que l'Europe ne comptait que 23 États avant 1914 et que 33 après 1945, elle en compte aujourd'hui 45. On peut ajouter qu'à l'échelle du monde, l'évolution a été semblable: une quarantaine d'États avant 1914 contre plus de 180 aujourd'hui, sans parler de la multitude de régions indépendantes de fait ou cherchant à l'être, du Kosovo à telle ou telle région d'Afrique. Cette multiplication d'États à l'échelle du monde est certes due en partie à la décolonisation ou à l'accès à l'existence nationale de certains peuples qui le souhaitaient et on pourrait y voir un progrès. Mais les puissances impérialistes, même lorsqu'elles ont été contraintes d'abandonner la forme coloniale de domination, l'ont fait en brisant les entités plus grandes, en dressant les uns contre les autres des peuples qui, auparavant, vivaient ensemble. Bien des régions du monde portent encore les stigmates de ces séparations dans la violence. Ainsi le partage entre l'Inde et le Pakistan; ainsi encore la multitude d'États artificiellement créés, héritages de la domination coloniale de la France en Afrique.

Certaines des quelque soixante guerres qui se poursuivent dans la période actuelle sont les conséquences directes ou indirectes de la politique des puissances impérialistes à l'égard des peuples qu'elles dominaient. D'autres sont le fait des puissances impérialistes elles-mêmes.

Malgré des élections et un référendum sur un projet de Constitution, l'état de guerre se prolonge en Irak. Bien difficile de savoir quelle est la part du sentiment d'oppression nationale contre l'occupant et quelle est la part de l'activisme des différents groupes armés qui, tout en prétendant s'en prendre aux occupants américains et britanniques, s'en prennent surtout à leurs concurrents sur le terrain, chiites contre sunnites, Kurdes contre Arabes, et quelle est la part des clans rivaux à l'intérieur de chacune de ces catégories. Non seulement le calme n'est pas rétabli en Irak, mais le risque d'éclatement en fonction de clivages religieux ou ethniques demeure entier.

Il se peut qu'une partie de la population irakienne, les Kurdes massacrés pendant la guerre contre l'Iran ou les chiites dont le soulèvement à la fin de la première guerre du Golfe a été écrasé dans le sang par les blindés de Saddam Hussein avec l'accord tacite des troupes américaines victorieuses, se trouve vengée par le procès de l'ancien dictateur. Mais on ne peut qu'être écoeuré par ce procès fait moins pour condamner Saddam Hussein que pour faire oublier l'écrasante responsabilité des grandes puissances. Les puissances impérialistes victorieuses ont une longue habitude de sacrifier des boucs émissaires pour ne pas toucher à l'essentiel. Le procès de Nuremberg a décidé l'exécution de quelques crapules de haut vol du régime nazi pour mieux préserver l'appareil d'État allemand que ces derniers avaient dirigé, et, surtout, les grands groupes capitalistes qui avaient soutenu le pouvoir nazi et ceux -pas seulement allemands-qui avaient vu avec sympathie Hitler briser le mouvement ouvrier allemand.

Saddam Hussein a été, pendant près de trente ans, l'homme de main de l'impérialisme contre son propre peuple avant tout, mais aussi, à l'occasion, contre des pays voisins, comme l'Iran. C'est en tant que tel, soutenu et armé par toutes les grandes puissances dites démocratiques, que Saddam Hussein a déclenché la guerre Irak-Iran, une des plus sanglantes dans la région avec plus d'un million de morts. Par sa fin, il rejoint la longue liste des dictateurs utilisés par l'impérialisme tant que cela était dans son intérêt pour être lâchés lorsque ce n'était plus le cas.

Il se peut que le prochain sur la liste soit le dictateur de la Syrie, Bachar El-Assad -dont le père a joué les utilités pour le compte de l'impérialisme en rétablissant l'ordre dans un Liban alors déchiré par la guerre civile-, qui a maintenant cessé d'être utile. Qu'il soit réellement responsable de l'attentat contre Rafik Hariri, comme veut le démontrer une commission d'enquête créée pour cela, ou que le politicien et homme d'affaires libanais véreux soit mort victime de ses propres affaires troubles, ne change rien au fait que les grandes puissances, qui en ont accepté bien d'autres de la part de la dictature syrienne, cherchent aujourd'hui à écarter la Syrie du Liban et à rendre le régime syrien plus coopératif en faisant planer la menace de son renversement.

Mais la situation anarchique créée en Irak par la mise à l'écart de Saddam Hussein rend probablement plus prudents les va-t'en-guerre américains quant à un renversement brutal du régime syrien sans qu'une relève soit assurée.

L'oppression du peuple palestinien par l'État d'Israël constitue cependant le principal facteur de tension dans la région. Ariel Sharon a accepté de retirer de Gaza son armée et ses colons pour mieux conserver la plupart des colonies en Cisjordanie.

Les États-Unis semblent engagés dans une énième tentative de stabilisation de la situation en soutenant Sharon dans l'évacuation de la bande de Gaza et en faisant pression sur la nouvelle direction palestinienne de Mahmoud Abbas pour que l'Autorité palestinienne prenne en charge le maintien de l'ordre contre son propre peuple dans la zone qui lui a été concédée. Cependant, ce n'est pas la prétendue intransigeance d'Arafat qui était le principal facteur s'opposant au rétablissement de l'ordre sous le contrôle de l'État d'Israël. Ce fut d'abord le soulèvement de la jeunesse palestinienne contre l'oppression dans les deux intifadas. C'est, de plus en plus, l'activisme armé d'organisations que l'Autorité palestinienne n'a pas les moyens de contrôler.

Nul ne peut prédire si la population palestinienne aura la même énergie pour continuer la résistance. On peut seulement constater que l'évacuation de Gaza par les colons israéliens n'a rien changé à la situation qui avait mis en mouvement l'intifada. La bande de Gaza reste un immense camp de concentration enfermant une population dont l'écrasante majorité est condamnée à la pauvreté et qui, même pour travailler dans l'industrie ou sur les chantiers en Israël, est totalement dépendante du bon vouloir du gouvernement de ce dernier. La pauvreté, l'oppression, le "mur", derrière lequel on se prépare à enfermer tout un peuple, les vexations d'une armée israélienne travaillée par l'extrême droite, continuent à maintenir une situation explosive.

Il faut souligner, une fois de plus, l'impasse dans laquelle les nationalismes opposés ont conduit les deux peuples qui vivent sur le même territoire et dont la collaboration aurait pu être un exemple pour toute la région. Le nationalisme des fondateurs et dirigeants de l'État oppresseur, Israël, avant tout. Ils n'ont pas su et pas voulu lier le sort du peuple d'Israël à celui des masses exploitées arabes au milieu desquelles il s'est installé. Ils ont fait de l'État d'Israël l'instrument de l'impérialisme en général et de l'impérialisme américain en particulier, dans cette région, en creusant un fleuve de sang entre la population israélienne et la population palestinienne.

Le nationalisme palestinien de l'OLP, de son côté, tout en reprenant à son compte la légitime aspiration de la population palestinienne à s'opposer à l'oppression de l'État d'Israël, n'a pas su, n'a pas voulu non plus, s'adresser aux exploités d'Israël, ni même aux exploités arabes des pays voisins.

Nombre de fondateurs de l'État d'Israël se revendiquaient d'un sionisme de gauche, voire du socialisme. La résistance palestinienne dont est issue l'OLP se voulait, de son côté, progressiste, voire, pour certaines de ses composantes, marxiste et révolutionnaire.

Il est à constater qu'en amenant leurs peuples respectifs sur la voie de garage de l'affrontement de deux nationalismes opposés, ils ont favorisé chacun leur propre extrême droite. C'est aussi manifeste en Israël avec un Sharon, homme de droite contesté surtout sur son extrême droite, que dans les territoires palestiniens où le centre de gravité de la résistance se déplace de plus en plus vers l'organisation islamiste Hamas.

L'Afghanistan a droit, de son côté, à sa dose de "démocratie" à la sauce américaine. Mais, là encore, la présence de troupes occidentales diverses -dont, rappelons-le, des troupes françaises- n'a pas mis fin à l'état de guerre. La "démocratisation" se réduit à ce que les anciens chefs de clans ou chefs de guerre ont fait consacrer leur pouvoir par le suffrage universel, puisque telle est la nouvelle mode imposée par les Américains. Mais à en juger par le sort imposé aux femmes, cette "démocratie"-là s'accommode fort bien de l'oppression et de l'arriération sociale la plus crasseuse. Et, à certains égards, cette pseudo-démocratie parlementaire est moins démocratique encore que ne le fut naguère la dictature de Najibullah, appuyé par les Russes, qui au moins avait fait en sorte qu'une femme puisse se promener dans Kaboul sans voile.

La décomposition de l'Union soviétique a conduit les États-Unis à prendre pied dans plusieurs des États issus de cette décomposition. Parfois, ils l'ont fait à la suite de mouvements populaires plus ou moins amples, dirigés contre l'équipe politique en place liée à Moscou. Les révolutions "de la rose" en Géorgie, "orange" en Ukraine, "des tulipes" au Kirghizistan ont conduit en effet à l'éviction d'équipes liées à Moscou et au remplacement par d'autres plus favorables à Washington. Ailleurs, comme en Ouzbékistan, c'est l'équipe en place qui a, dans un premier temps, accepté la présence de bases américaines avant de se raviser et d'exiger leur départ.

Toute cette région, située à un carrefour stratégique entre la Russie, l'Inde et la Chine, proche de surcroît de régions pétrolifères, est le théâtre d'une sourde lutte d'influence entre les États-Unis et la Russie.

Malgré la présentation enthousiaste que les médias occidentaux ont faite des révolutions "de la rose" ou "orange", les changements des équipes ne se sont pas traduits par plus de démocratie ni par moins de corruption. En Ukraine, en particulier, le tandem présenté comme pro-occidental Youchtchenko-Timochenko a éclaté neuf mois après la révolution "orange" dans une ambiance de scandales et de corruption à grande échelle.

Pas de changement majeur cette année en Russie. Poutine poursuit sa guerre en Tchétchénie avec la bénédiction de toutes les grandes puissances. Mais, bien au-delà de la Tchétchénie, c'est tout le Caucase qui vit dans un climat de guerre larvée avec attentats, prises d'otages, affrontements entre groupes militaires. Si les États-Unis assurent une présence avec une base militaire fraîchement établie en Géorgie, ils ne contestent pas vraiment à la Russie le rôle de gendarme dans cette région du Caucase, soumise non seulement aux forces centrifuges des différents nationalismes ou des fondamentalismes religieux contre l'État russe mais aussi contre l'État géorgien, ainsi qu'aux affrontements entre cliques locales, parrains de la drogue ou trafiquants d'armes.

La flambée mondiale des prix du pétrole fait que l'économie russe a connu une nouvelle année de croissance. Mais, mises à part les grandes manoeuvres des trusts pétroliers, le flux d'investissements de capitaux occidentaux vers la Russie reste ténu. La prétendue "croissance" économique de l'an passé s'est traduite surtout par une nouvelle accélération des fuites de capitaux vers l'Occident. Les bureaucrates russes convertis en richissimes hommes d'affaires préfèrent mettre leur argent à l'abri en Occident, plutôt que de miser sur le développement de la Russie sur une base capitaliste. Ce n'est pas la condamnation à neuf ans de prison en Sibérie du bureaucrate milliardaire Khodorkovski qui va les inciter à changer d'attitude. Il ne suffit pas que Poutine ramène en grande pompe les restes de Dénikine en Russie pour que l'opinion publique bourgeoise lui pardonne la "renationalisation" d'entreprises privatisées, quand bien même ces privatisations étaient le vol pur et simple d'entreprises d'État.

Le continent africain, et surtout sa partie subsaharienne, reste celui où le système impérialiste mondial fait le plus de ravages. Seuls quelques pays africains bénéficient d'investissements productifs: l'Afrique du Sud, le seul pays africain semi-développé qui constitue un marché significatif, ou encore les pays qui disposent de ressources pétrolières. Mais pour la grande partie de l'Afrique, le capital occidental n'est que prédateur: prêts usuraires aux régimes, ventes d'armes, pillage pur et simple des ressources naturelles. L'Afrique, mise de plus en plus au ban des circuits du commerce mondial, s'enfonce dans la pauvreté. La pauvreté alimente les guerres locales ou ethniques qui, à leur tour, aggravent la pauvreté.

L'Afrique a le triste privilège de concentrer sur son sol les guerres locales les plus nombreuses et les plus meurtrières: au Soudan, en Ouganda, en Somalie et surtout en République du Congo (ex-Zaïre) et bien d'autres. Depuis le soulèvement militaire qui a coupé le pays en deux, la Côte-d'Ivoire s'ajoute à la liste des pays déchirés par une guerre civile endémique.

L'année 2005 devait être celle de la stabilisation en Côte-d'Ivoire et de la résorption de la scission qui coupe le pays en deux depuis la rébellion militaire du 19 septembre 2002. Les accords de Marcoussis sous l'égide de la France et la succession d'accords (Accra1, 2, 3, Pretoria 1) sous l'égide de l'OUA (Organisation de l'unité africaine) devaient conduire au désarmement des unités rebelles au nord et des milices pro-Gbagbo au sud et à l'organisation d'élections le 30 octobre 2005, avec la participation de tous les protagonistes (Gbagbo, Bédié, Ouattara, principalement) dont la rivalité pour la succession d'Houphouët-Boigny déchire le pays depuis bien des années.

Aucun des deux camps n'a désarmé et l'élection présidentielle du 30 octobre 2005 n'aura pas lieu. La dernière en date des trouvailles de la diplomatie internationale est de proposer une période de transition d'un an, avec Gbagbo maintenu à la tête de l'État mais flanqué d'un Premier ministre avec de larges pouvoirs, notamment celui de l'organisation "neutre" de l'élection présidentielle avant le 31 octobre 2006. Mais cette nouvelle trouvaille ne suffira ni à désarmer les milices privées ni à empêcher leur multiplication.

Nous ne savons pas, à la date de ce texte, comment se traduira cette échéance du 30 octobre et après, lourde d'aggravation de la guerre civile latente. La simple prolongation de la crise actuelle se traduit déjà par un ralentissement de la vie économique, l'aggravation des conditions d'existence des classes populaires, des conflits locaux poussés sur la voie de l'ethnisme par les clans rivaux, la transformation en activités permanentes des rackets pratiqués par les bandes armées officielles et officieuses.

La présence militaire française ne freine pas la dégradation de la situation. Elle l'aggrave, au contraire. Gbagbo n'est qu'un démagogue lorsqu'il mêle à sa politique ethniste une phraséologie anti-française. Mais si cette phraséologie trouve un large écho, c'est en raison du passé colonial et de ses infamies, prolongé par la suite par le maintien de la mainmise de groupes capitalistes français sur les principaux secteurs économiques et par la présence de leurs cadres et d'une petite bourgeoisie affairiste originaire de métropole qui fait fortune sur le dos de la population. Le départ forcé de ceux-là après les événements de novembre 2004 n'a pas pu effacer ce passé, pas plus que la tendance des grands groupes capitalistes français à déplacer le centre de leurs activités ailleurs (au Togo notamment).

L'unique raison de la présence de l'armée française en Côte-d'Ivoire demeure la protection des intérêts économiques, politiques et diplomatiques de l'impérialisme français dans ce pays et, au-delà, dans les anciennes colonies françaises d'Afrique. Nous réitérons en conséquence ce que nous avons affirmé au congrès de l'année dernière: "Troupes et affairistes français, hors de Côte-d'Ivoireet, plus généralement, de tous les pays d'Afrique!".

La comédie pseudo-électorale au Togo, qui a officialisé la transmission du pouvoir au fils Eyadéma à la mort de son père, a concrétisé cette année encore le triste rôle de l'impérialisme français dans ses ex-colonies. La répression a fait taire, pour le moment, les oppositions à cette dictature héréditaire patronnée par l'impérialisme français, mais rien ne dit que ce pays puisse continuer à servir de base de repli aux entreprises capitalistes françaises que l'insécurité croissante éloigne de la Côte-d'Ivoire.

L'impérialisme français s'est illustré récemment dans la mer des Caraïbes également, en intervenant à Haïti, au côté des États-Unis, pour déposer au début de 2004 le président en place, Aristide. Certes, l'ex-petit curé des pauvres, élu une première fois en 1990 dans une véritable vague d'enthousiasme de la population pauvre, était devenu au moment de son renversement un dictateur avide de pouvoir et d'argent. Mais on peut constater, un an et demi après son renversement, que la situation en Haïti a continué à se dégrader et que la population est soumise au règne des bandes armées auxquelles la troupe sous l'égide de l'ONU n'a fait qu'ajouter une bande armée de plus.

Les deux grandes puissances tutélaires, les États-Unis et la France, ont une responsabilité majeure dans la transformation de ce pays, qui a tant contribué à l'enrichissement de la bourgeoisie de l'une comme de l'autre, en prison pour pauvres. Mais si les grandes puissances impérialistes interviennent périodiquement dans la vie politique de ce pays, il n'est question, pour aucune d'entre elles, de ristourner ne serait-ce qu'une partie des richesses volées à Haïti pendant les siècles de l'esclavage, de la culture sucrière imposée, des pillages financiers, ni de ce qui continue à lui être volé par l'échange inégal et du fait des bas salaires. Haïti demeure une des illustrations les plus flagrantes de l'impossibilité pour les pays appauvris par le grand capital de sortir la tête de l'eau sous la domination impérialiste.

L'Amérique latine, où les inégalités sociales, l'oppression et la mainmise américaines ont souvent produit des insurrections ou des mouvements de guérilla, a souvent fourni un modèle à l'extrême gauche mondiale et surtout européenne, portée à substituer à la défense des idées communistes chez elle le suivisme à l'égard de mouvements menés ailleurs par d'autres. Le castrisme avec sa variante guévariste, puis le sandinisme ont ainsi été présentés dans le passé comme des substituts au communisme.

Le régime sandiniste au Nicaragua ayant connu le sort que l'on sait, le régime castriste passant de plus en plus difficilement pour un modèle, le suivisme s'est focalisé plus récemment sur la personne et le parti de Lula, au Brésil. Lula étant porté au pouvoir, son régime est à mi-chemin de son mandat. Il apparaît perclus de scandales de corruption, et surtout il est un exécutant loyal des quatre volontés de l'impérialisme. Du coup, le suivisme a trouvé une nouvelle coqueluche en la personne de Chavez, militaire qui a conquis le pouvoir au Venezuela.

Si nous sommes bien entendu solidaires de Chavez lorsqu'il se heurte aux manigances de l'impérialisme américain, comme nous continuons à être solidaires du régime castriste dont ceux qui dénoncent le caractère dictatorial soutiennent des dictatures bien plus infâmes qui n'ont même pas apporté à leurs classes populaires ce que le régime castriste a apporté aux siennes -éducation, santé publique et un certain sentiment de dignité-, ni l'un ni l'autre ne représentent de près ou de loin les intérêts de leurs classes pauvres, et encore moins ceux du communisme révolutionnaire (dont Chavez ne s'est d'ailleurs jamais réclamé).

Les guerres et les conflits s'ajoutent à la misère pour alimenter les migrations internationales. Mais les migrations constituent aussi un brassage des classes laborieuses. Ceux qui, venant du Mexique ou de l'ensemble de l'Amérique latine, affrontent les barrières électrifiées le long de la frontière américaine, ceux qui, à Ceuta et à Melilla, risquent leur vie en franchissant les barbelés ou ceux qui échappent à la mort sur des embarcations de fortune aux alentours de Gibraltar ou venant d'Haïti sur la mer des Caraïbes et qui parviennent dans les pays impérialistes, finissent par se rendre compte que ce n'est pas le paradis et qu'il n'y a pas de paradis pour les pauvres dans l'univers dominé par l'impérialisme.

Ce brassage physique de la classe ouvrière d'aujourd'hui, comme le renforcement numérique d'un prolétariat moderne en Chine ou en Inde, forment le prolétariat mondial d'aujourd'hui. Il n'est pas moins nombreux qu'à des périodes de l'histoire où il a mené de grands combats, ni moins à même de peser, par sa place dans la production, sur l'avenir de l'humanité.

Il a les moyens de retrouver le rôle historique qui est le sien et qui ne peut être que le sien dans la transformation de la société. Ce qui lui manque, c'est la conscience politique, c'est-à-dire des partis pour l'incarner. Gardent toute leur validité ces lignes écrites il y a près de 70 ans dans Le Programme de transition: "La crise actuelle de la civilisation humaine est la crise de la direction prolétarienne".

24 octobre 2005

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