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- Lutte de Classe n°105
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Que signifie politiquement " le camp des travailleurs " ?
Un certain nombre de militants politiques se sont sentis visés par l'affiche où nous écrivions d'Arlette Laguiller : " Qui d'autre sincèrement peut se dire dans le camp des travailleurs ".
Certains ont dit : " Mais, il y en a d'autres qui défendent les travailleurs ! " ou des candidats ont dit qu'ils étaient eux-mêmes des travailleurs.
En fait, on peut être un travailleur et bien souvent ne pas du tout défendre les travailleurs. Et on peut prétendre les défendre à la façon de Marie-George Buffet, de Ségolène Royal ou même de Sarkozy qui prétend réhabiliter le travail et faire gagner plus aux travailleurs en supprimant les impôts et les charges sociales qu'ils auraient à payer sur les heures supplémentaires.
On peut enfin défendre les travailleurs par quelques phrases noyées dans bien d'autres affirmations, écologistes, altermondialistes, anticapitalistes ou antilibéralistes qui ne défendent pas un changement réel du rapport de forces social entre le monde du travail et la classe capitaliste.
Le libéralisme, la mondialisation ou le saccage de la planète sont des produits du capitalisme, et pas des défauts indépendants. Alors, en attendant de renverser définitivement ce système social, il faut faire en sorte que les travailleurs et la population contrôlent étroitement les actes et surtout les finances, c'est-à-dire les comptabilités et les projets, aussi bien des grandes sociétés que des petites qui dépendent souvent des premières.
C'est pourquoi nous pouvons dire que personne d'autre qu'Arlette Laguiller ne pouvait se dire sincèrement dans le camp, et uniquement dans le camp, des travailleurs contre la bourgeoisie.
Dans le même ordre d'idées, la presse et quelques autres se sont souvent moqués de l'expression : " Travailleuses, travailleurs " systématiquement utilisée par Arlette Laguiller lors de ses meetings.
Par contre, ils ne se moquent pas de toutes les femmes et les hommes politiques qui s'adressent aux " Français, Françaises ", aux " citoyens, citoyennes " ou à leurs " chers compatriotes ". Pourtant, il le pourraient car cela fait bien plus longtemps qu'Arlette qu'ils utilisent ces expressions archi-usées.
Mais ces dernières expressions ne sont pas seulement usées, elles sont mensongères.
Car tous les " Français ", tous les " citoyens " ou même leurs " chers compatriotes " ne sont égaux ni devant la loi ni dans la société. Il y a, d'un côté, les riches et, de l'autre, les pauvres. Il y a le patronat petit et grand, et il y a ceux qui l'enrichissent, les travailleurs. Les premiers profitent du travail des seconds qui ne vivent que de leur travail ou, plus précisément, que de leur salaire car ils ne profitent pas du produit de tout leur travail.
Mais parmi les travailleurs, il y a les travailleurs salariés, et il y a des patrons restaurateurs, des patrons coiffeurs, les artisans, des patrons de PME qui disent qu'ils travaillent aussi. Formellement, c'est vrai ! La différence est qu'ils ne vivent pas que de leur propre travail, ils vivent aussi du travail de quelques, voire plus, salariés qu'ils exploitent. Et, dans les grandes entreprises, c'est parfois dans des conditions abominables, que ce soit sur les chaînes automobiles, dans les mines car il en reste encore, dans le bâtiment, ou dans toutes les activités humaines qui sont des propriétés du patronat, de l'industrie chimique aux ateliers de confection.
Bien sûr, il y a des différences entre les diverses catégories de travailleurs salariés. Il y a des ouvriers, des employés, des techniciens, des cadres, des infirmières, des enseignants, des cheminots, des postiers... et la liste de ces catégories est d'ailleurs très longue. Beaucoup, malheureusement, de ces travailleurs ne veulent pas être confondus avec les autres et ils se considèrent parfois comme supérieurs. Et ceux qui sont les moins conscients ne veulent pas être payés pareil. Ceux-là sont insensibles aux revenus des plus riches, mais ne se sentent à leur place que lorsqu'il y a des travailleurs moins payés qu'eux.
Lorsqu'ils entrent en lutte, qu'ils se mettent en grève, par exemple, leurs revendications sont alors différentes les unes des autres et donc ils font grève pour des revendications catégorielles.
Bien souvent, les mouvements que l'on voit aujourd'hui sont des mouvements de travailleurs contre les licenciements ou, plus précisément, contre leur propre licenciement parce que leur patron a décidé un plan dit " social " et de jeter à la rue une partie d'entre eux. À ce moment, ils se battent le dos au mur. Leur grève ne gêne pas un patron qui veut diminuer la production. Ils se battent dans l'indifférence générale des travailleurs d'autres catégories sociales qui ne se sentent pas concernés, quand bien même, parfois, ils ne sont pas soulagés de voir que, cette fois, ce n'est pas tombé sur eux.
Dans le passé, et en particulier quand il y avait beaucoup d'ouvriers, pas seulement d'industrie, mais de gens qui travaillaient manuellement, la grande majorité des travailleurs avaient conscience d'appartenir à une même classe sociale et conscience que, dans la société, il existait deux principales classes : les patrons d'un côté et les travailleurs de l'autre. Deux principales classes sociales aux intérêts antagonistes, car se partageant très inégalement le produit social provenant de l'activité des salariés.
Aujourd'hui, cela a tendance à disparaître et on pourrait croire que cela a même complètement disparu. En fait, cela n'est pas tout à fait vrai. On le voit dans certains conflits sociaux où, même de façon limitée, cela réapparaît. On voit alors que cela existe encore dans la conscience des salariés, mais cela n'a jamais disparu dans celle du patronat. Il n'y a qu'à entendre aujourd'hui les propos des dirigeants du Medef et voir comment ils savent défendre les intérêts généraux de leur propre classe sociale.
Cette situation est due en partie à des causes qui ne dépendent pas entièrement des travailleurs eux-mêmes.
Les racines de l'unité des travailleurs
Il y a d'abord le fait que les partis politiques comme les partis socialistes à leur belle époque, au XIXème siècle, qui défendaient la classe ouvrière ne la défendent plus. Ils ne défendent ni ses intérêts moraux ni même ses intérêts matériels. Ils n'ont qu'une envie, c'est de s'intégrer à l'appareil d'État de la bourgeoisie, y avoir des députés, des sénateurs, des ministres, des conseilleurs de ceci ou de cela, pas pour changer le sort des masses, mais pour changer le leur.
Parallèlement, les syndicats de travailleurs ont changé de nature aussi. Ils sont devenus plus enclins à discuter avec les patrons qu'à organiser les travailleurs pour qu'ils soient en situation de se défendre et surtout qu'ils aient la volonté de le faire collectivement. Les syndicats ne défendent pas le fait qu'il y ait une seule classe des travailleurs, quelles que soient les catégories. Ils défendent avant tout des revendications catégorielles pour justifier leur existence. Ils estiment qu'en réclamant peu ils ont plus de chances de l'obtenir et qu'en n'étant pas offensifs ils ont plus de chances d'amadouer leur interlocuteur, le patronat, et que cela suffira à maintenir leur crédit dans le monde du travail. Ils ne préparent plus et n'organisent plus les luttes, mais considèrent qu'ils n'existent que par la négociation avec le patronat et par les lois qui protègent leur " droit syndical ".
C'est évidemment un faux calcul car, aujourd'hui, il y a très peu de travailleurs qui sont syndiqués, c'est-à-dire qui ont une carte syndicale, et infiniment moins encore qui consacrent un peu de leur temps à faire vivre les syndicats. Mais les négociations liées aux droits syndicaux les font vivre et ils n'ont pas besoin de syndiqués pour cela.
Certains, parmi les militants syndicaux et politiques qui n'ont pas abandonné leurs idées, pensent que cette situation est irréversible. Les militants de Lutte Ouvrière savent que, dans la vie sociale et politique, il y a des hauts et des bas, de longues périodes où la conscience de classe de l'ensemble des travailleurs diminue, mais qu'il y a aussi des moments où elle remonte brutalement et où les travailleurs retrouvent l'esprit de solidarité, de coopération, le dynamisme et la combativité qui caractérisent leur monde.
Dans le passé, on citait en exemple la solidarité des mineurs de charbon. Quand il y avait un accident à la mine, les sirènes retentissaient dans les corons et tous les mineurs de tous les puits avoisinants accouraient pour se porter au secours de leurs camarades, en risquant parfois leur propre vie. C'était vrai dans les mines, c'était vrai pour les marins, c'était vrai dans l'industrie ou dans le bâtiment et cela l'est encore. C'est cela, la solidarité que l'on apprend au travail. Mais cette solidarité était entretenue par les plus conscients des travailleurs organisés dans les syndicats et les partis ouvriers.
Cette solidarité, on la retrouve cependant dans des luttes où les travailleurs prennent le risque de perdre de l'argent et parfois leur emploi, mais en étant convaincus que s'ils gagnent, tout le monde en bénéficiera.
Bien sûr, on n'entre pas en lutte pour le plaisir. Pour le monde du travail, ce n'est pas un jeu. Ce n'est pas casser quelques carreaux, bloquer un péage d'autoroute, brûler quelques pneus ou saccager des bureaux.
Non, c'est une épreuve de force entre le patronat et les travailleurs. Il s'agit, en arrêtant le travail, en occupant les entreprises, de frapper le patronat au portefeuille. Chaque salarié risque de perdre de l'argent, mais les patrons en perdent encore plus quand leurs salariés arrêtent le travail. Leur richesse vient du travail, du travail des autres et leur portefeuille, ils l'ont beaucoup plus sensible que le coeur.
Les militants de Lutte Ouvrière agissent pour reconstruire de telles organisations. Tout d'abord pour reconstruire une organisation politique, mais ils militent aussi au sein des syndicats, pas pour recruter politiquement, mais pour les rendre plus combatifs et les pousser à mieux défendre les intérêts généraux des salariés.
Se présenter aux élections n'est pas un but en soi pour eux. C'est simplement mettre à profit la liberté de parole, le peu de démocratie qui existe dans cette société, pour s'exprimer, pour défendre leurs idées, pour les faire connaître, pour y gagner le maximum de travailleurs. C'est pourquoi, par exemple, nos candidats ne s'alignent pas sur les idées qui traversent momentanément la jeunesse. Le faire leur ferait peut-être gagner des suffrages. Mais au détriment de ce qu'ils veulent défendre fondamentalement. Ils ne s'appuient que sur la conscience de classe des travailleurs. Lorsque celle-ci diminue, l'audience de Lutte Ouvrière recule. Mais ses militants ne s'adapteront pas aux courants à la mode, dans la mesure où ces courants ne sont pas porteurs d'avenir pour la société.
C'est recréer un parti qu'il faut au monde du travail, un parti qui défende ses intérêts sociaux et surtout politiques, et c'est possible. La démocratie électorale, on l'a souvent dit, est un piège car les travailleurs n'ont pas les moyens de se faire entendre spécifiquement. Ceux qui ont le plus la parole déforment toutes les idées, les faits sociaux, la réalité. Quand Nicolas Sarkozy prétend qu'il veut réhabiliter le travail, il ne s'agit pas du travail des salariés. Non, il veut réhabiliter, sous ce nom-là, la situation du patronat et, en particulier, du grand. Il n'est que de voir qui sont ses amis personnels.
Révoltes de la jeunesse et luttes des travailleurs
On pourrait dire qu'aujourd'hui les luttes des travailleurs, des salariés, sont en déclin mais qu'elles sont remplacées par celles de la jeunesse. De la jeunesse des quartiers populaires ou de la jeunesse lycéenne et étudiante.
Mais ce n'est pas vrai car, pour si radicales que soient ces luttes, elles n'ont aucune possibilité de changer la société dans un sens favorable. Ce n'est pas en brûlant les voitures de ses voisins qu'on change la société. On ne la changera pas non plus en saccageant les locaux de son propre lycée ou de son université.
Évidemment, les étudiants en lutte contre le CPE n'ont pas fait que cela. Ils ont participé nombreux à de grandes manifestations durant ces semaines-là. Ils ont organisé des assemblées pour coordonner leur mouvement. Ils n'ont pas parlé de " direction ", car ils étaient hostiles à tout pouvoir, mais de " coordinations ", lesquelles dirigeaient plus ou moins les mouvements, mais n'avaient pas pour objectif de changer la société et, surtout, ne gênaient absolument pas le patronat. Ils ont gêné le gouvernement au point de le faire reculer, mais ils n'étaient en rien l'embryon ou même l'ébauche d'un contre-pouvoir opposé à celui de la bourgeoisie. C'est pourquoi ce ne sont pas de telles luttes qui peuvent changer la société. De plus, dès qu'elles sont terminées, il n'en reste rien car leur acteurs, deux ou trois ans plus tard, n'ont plus, autour d'eux, à qui en parler.
Quant aux manifestations, même celles qui sont importantes, elles peuvent influencer des luttes mais ne changent rien par elles-mêmes si elles n'ont pas de suite efficace.
Bien des jeunes, intuitivement de gauche, quoique certains soient hostiles au Parti socialiste ou au PCF, voire à tout parti assimilé à un embrigadement, croient qu'il suffit de descendre dans la rue pour changer les choses. Ceux qui, en 2002, entre les deux tours de la présidentielle, ont manifesté à la Bastille avant de voter pour Chirac, donc pour Sarkozy, en étant convaincus qu'ils avaient fait reculer, voire arrêté, le fascisme, étaient à côté de la réalité. S'il y avait eu réellement une menace fasciste à l'époque, ils se seraient fait massacrer à la Bastille et n'auraient peut-être même pas eu l'occasion de voter à un deuxième tour interdit.
Mais cette puérilité n'est pas due à un manque d'intelligence, mais plus simplement à l'absence d'expérience et de culture politiques. Expérience et culture que seule permet d'acquérir la participation aux activités d'un parti conséquent et qui se consacre résolument et uniquement à la défense des intérêts politiques et sociaux du monde du travail, un parti qui défende et entretienne, au sein de cette population, la conscience d'appartenir à une même classe sociale.
Le patronat, et surtout le plus grand et le plus puissant, n'est absolument pas gêné par ce genre d'actions.
Bien sûr, cela peut permettre d'empêcher le gouvernement d'appliquer une loi qu'il a fait voter, comme ce fut le cas du CPE. Mais cela ne change rien pour le patronat. Cela ne change les choses que pour les larbins politiques du capital mais ne diminue pas la puissance économique de ce dernier et ne change en rien la société et pas même les rapports de forces sociaux.
Par ailleurs, il y a surtout le fait que les travailleurs sont une classe sociale nombreuse et stable, malgré les licenciements. Dans une entreprise d'un millier de salariés, il y en a des centaines qui restent dans la même entreprise pendant 10, 20, 30 ou 40 ans. Des centaines qui vont accumuler les mêmes expériences, des centaines qui vont se connaître les uns les autres, nouer des liens et être solidaires, et cela surtout s'ils sont nombreux à se dévouer pour faire vivre les syndicats, voire un parti politique représentant les intérêts politiques du monde du travail.
À l'opposé, les collégiens et les lycéens ne restent au collège ou au lycée que très peu d'années, surtout ceux qui ont l'âge de réfléchir, entre 15 et 18 ans. Les étudiants eux aussi ne sont des étudiants que pendant quelques années. Après ces quelques années, une minorité deviendra médecins, avocats, cadres politiques ou commerciaux, en faisant Sciences Po ou HEC, bien que leur immense majorité seront des salariés. Ils seront des travailleurs intellectuels et, comme les travailleurs manuels, leur vie dépendra de leur salaire et leur avenir dépendra aussi de leurs patrons. Si un conseil d'administration à Paris, Berlin, New York ou Tokyo, décide qu'il convient mieux pour le cours de ses actions en Bourse de licencier du personnel, il se débarrassera d'eux comme de vulgaires kleenex, même s'ils sont ingénieurs.
C'est le cas chez Airbus, par exemple, et même chez Peugeot-Citröen où, s'il y a des ouvriers, il y a aussi des cadres dont les emplois vont être supprimés. C'est là la différence entre les révoltes des jeunes et les luttes des travailleurs.
C'est pourquoi les jeunes collégiens ou étudiants, s'ils veulent contribuer à changer la société doivent, alors qu'ils sont encore jeunes et collégiens ou étudiants, s'allier aux travailleurs, partager la culture qu'ils ont reçue, transmettre les idées généreuses qu'ils ont encore parce qu'ils sont jeunes et, en fait, contribuer à créer un parti du monde du travail. Un parti pour changer la société, un parti révolutionnaire.
Voilà pourquoi, nous, militants de Lutte Ouvrière, nous nous adressons essentiellement aux travailleurs, jeunes et moins jeunes.
Nous saluons l'enthousiasme et le radicalisme de la jeunesse étudiante et lycéenne. Nous comprenons les raisons de la violence, même aveugle, de la jeunesse des quartiers défavorisés, tout en expliquant que nous ne sommes pas d'accord avec ses actes.
C'est qu'aussi bien auprès de la jeunesse des banlieues que des jeunes des lycées et des facultés, nous défendons la politique qui consiste à renforcer la conscience politique et sociale des travailleurs.
Bien sûr, la jeunesse des banlieues est au chômage et les lycéens ou les étudiants ne sont pas encore au travail. Mais ils appartiennent quand même à la classe sociale des travailleurs. Les travailleurs, les chômeurs, et même les travailleurs retraités, appartiennent à une même classe sociale et les jeunes, s'ils n'y appartiennent pas encore, en font intégralement partie. D'abord par la famille où ils sont nés et où ils vivent, et aussi par leur avenir, même s'ils refusent d'envisager cet avenir.
On peut se demander ce que signifie être révolutionnaire socialiste ou communiste, aujourd'hui
Être révolutionnaire, c'est évidemment être pour un changement radical de société. Il ne s'agit pas de révolution dans les lettres, les arts, ou les moeurs comme en 1968 et les années qui suivirent, ni d'une " rupture ", voire d'un changement de société comme le disent sans rire les dirigeants politiques des grands partis, y compris ceux de droite.
Être révolutionnaire, c'est oeuvrer à un changement aussi radical que le fut la révolution française au XVIIIème siècle et plus profond encore que le fut la révolution russe de 1917 qui se limita à un seul pays et, qui plus est, arriéré à 90 % de son économie et de sa population, et même le plus arriéré d'Europe.
Un tel changement social viserait à la suppression de l'économie capitaliste et de ce qui lui est lié, l'impérialisme et son masque d'aujourd'hui, le " libéralisme " et la " mondialisation ".
Cela signifie la suppression de la propriété privée d'une classe riche de tous les grands moyens de production, de distribution, de transport. Le pire n'est pas qu'elle possède ces instruments de production, le pire est que leur fonctionnement n'est pas cohérent. Il est cohérent à l'intérieur de chaque entreprise mais dans les relations entre ces entreprises et entre les pays, la répartition, les échanges se font d'une façon anarchique. Cela se fait par la recherche du profit le plus élevé possible et la concurrence entre tous au travers du marché capitaliste où la régulation des échanges ne se fait qu'à retardement, par à-coups catastrophiques. Cela aboutit à un énorme gâchis du produit social et à des crises économiques parfois catastrophiques. Ces crises entraînent une surexploitation des travailleurs qui n'est limitée que par les réactions éventuelles de ces derniers. La classe capitaliste enchaînée à son mode de production, de répartition, de régulation par le marché, ne peut qu'exploiter au maximum le monde du travail pour en tirer le plus de profits possible.
Dans les pays économiquement développés, les réactions du monde du travail, concentré, puissant, même s'il n'utilise pas toujours cette puissance, limitent le degré des ponctions du capital sur le produit du travail. Mais même dans les pays pauvres, très pauvres, sous-développés, où le revenu moyen par habitant est souvent cent fois, voire plus, inférieur au revenu par habitant des pays industrialisés, et qui sont des pays où la misère est extrême, où l'espérance de vie est raccourcie de moitié, où la mortalité infantile est catastrophique, le capitalisme mondial est encore capable d'extraire de la plus-value du travail de ces miséreux. Bien moins par tête d'habitant que dans les autres pays, mais il se rattrape sur le nombre.
Un changement de société nécessite d'enlever des mains des conseils d'administration des grandes sociétés, et même des autres, la puissance économique qui leur permet d'exercer une dictature sociale et politique, quelles que soient les formes plus ou moins démocratiques du pays, sur l'ensemble des autres classes.
Être révolutionnaire, c'est oeuvrer à la préparation d'un tel changement de société, d'une telle révolution. Pour cela, il faut des instruments, des partis qui représentent l'expérience des classes populaires, la mémoire de leurs luttes, qui en tirent les leçons, qui forment politiquement leurs membres. Il faut donc créer au moins un tel parti, dont la propagande et l'activité dans le monde du travail consisteront aussi à amener le maximum de travailleurs, jeunes ou moins jeunes, à s'organiser en commun dans le même but.
Dictature économique de la bourgeoisie sur toute la société ou démocratie sociale sans le pouvoir de la bourgeoisie
Mais les acteurs de cette transformation sociale, et surtout du régime social et politique qui en sortirait, ne peuvent être que les travailleurs salariés. En effet, pour lutter contre la dictature économique de la bourgeoisie, il faut qu'énormément d'individus intéressés à cette transformation, à cette révolution, participent aux décisions et aux actions.
Pourquoi les travailleurs salariés et pas d'autres catégories sociales qui sont parfois, elles aussi, opprimées, sans toujours en avoir conscience, par le même système économique ? C'est le cas des artisans, voire des petits entrepreneurs, des membres des classes intellectuelles et de bien d'autres encore qui, même disposant de plus d'aisance financière que les travailleurs du bas de l'échelle, vivent dans une société inhumaine et peu propice au développement humain et culturel, y compris le leur.
Les travailleurs salariés sont naturellement la catégorie sociale la plus concentrée sur les mêmes lieux de travail car ils s'y retrouvent quotidiennement par centaines ou par milliers. Quotidiennement, ils peuvent s'assembler, décider, discuter démocratiquement sans forcément s'en remettre à des dirigeants politiques éloignés d'eux. En tout cas, même s'ils doivent recourir à de telles délégations de pouvoir, ce qui est nécessaire dans un grand pays, ils ont les moyens de les contrôler, voire de les contraindre à agir dans le sens des intérêts de la population.
C'est cela le communisme, c'est cela la démocratie sociale que l'on peut opposer à la dictature du capital.
Bien sûr, par provocation ou slogan propagandiste, on peut dire comme le fit Karl Marx que ce serait une dictature aussi. Mais une dictature sociale de l'immense majorité, la classe des travailleurs, sur une infime minorité, la bourgeoisie, et n'agissant que dans les intérêts de toute la population.
C'est pour cela que des révolutionnaires socialistes et communistes, aussi bien d'hier que d'aujourd'hui ou de demain, ne peuvent compter que sur les travailleurs pour changer les bases économiques de la société et instaurer un régime de gouvernement démocratique, gouvernement qui se fondrait peu à peu dans la quasi-totalité de la population en se décentralisant au fur et à mesure que les conflits entre exploiteurs et exploités disparaîtraient.
Les choix que nous proposons à la jeunesse
C'est cela être révolutionnaire, aujourd'hui comme hier, et c'est pour cela que les révolutionnaires ne peuvent se contenter de s'appuyer sur des révoltes ou même des luttes de la jeunesse, même si la jeunesse aurait une large place dans une telle révolution.
C'est pourquoi nous cherchons à défendre auprès des jeunes les idées que nous défendons auprès du monde du travail. Nous ne voulons pas emboîter le pas à leurs actions ni aller dans le sens de leurs préoccupations immédiates et des voies dans lesquelles ils engagent leur radicalisme.
Nous ne disons pas qu'ils ont eu raison à ceux qui sont allés à la Bastille manifester contre Le Pen en 2002, et encore moins à ceux qui ont voté ou appelé à voter Chirac à l'époque. Nous ne disons pas, et nous ne dirons pas, qu'ils ont raison à ceux qui ont manifesté, minoritairement, contre l'élection de Sarkozy. C'est avant, qu'il fallait se donner les moyens de changer les choses, pas une fois que l'élection est terminée.
L'élection de Sarkozy n'est pas une catastrophe politique. Le présenter aujourd'hui de la façon dont on présentait Le Pen hier est la pire des façons de lutter contre l'oppression des puissances d'argent représentées politiquement par Sarkozy.
Le Pen n'était pas le fascisme à la porte du pouvoir. Et Sarkozy n'est pas le fascisme à la présidence de la République. C'est une homme de droite, mais pas plus que Chirac, Giscard, Pompidou ou de Gaulle, et pas moins que François Mitterrand qui était un faux homme de gauche, ayant flirté avec le gouvernement de Pétain, mené la répression en Algérie, condamné à mort des militants du FLN et des militants français pro-algériens.
Il ne faut pas voir le présent et l'avenir comme catastrophiques.
Nous ne dirons pas à la jeunesse que la mondialisation est un phénomène nouveau et cataclysmique. Elle existe sous ses pires aspects depuis plus d'un siècle. Et ceux qui font un drapeau de l'antimondialisation ou de l'antilibéralisme n'ont d'autre alternative que de revendiquer le retour à des frontières économiques fermées, à des droits de douane qui renchériraient tout ce qui se consomme à l'intérieur du pays.
Le réchauffement de la planète est une catastrophe annoncée, mais la société capitaliste engendre des catastrophes qui sont actuelles et aussi graves. Et c'est contre elles qu'il faut lutter et pas simplement essayer de convaincre les dirigeants politiques et économiques de la planète d'être plus conscients, ou encore de convaincre la population de circuler en vélo plutôt qu'en voiture. Des milliards d'habitants de la terre, à l'heure actuelle, n'ont aucun autre moyen de transport que leurs pieds. Car ils n'ont ni transports en commun ni transports individuels du tout. Et cela les oblige parfois à des dizaines de kilomètres à pied chaque jour. C'est cela qu'il faut essayer de contribuer à changer.
Et pour cela, il faut des outils. Et le premier outil, nous l'avons dit, est un parti politique puissant, défendant les intérêts politiques du monde du travail, car c'est seulement le monde du travail qui a le nombre, la puissance et le rôle social voulu pour pouvoir changer la société à la fois sur le plan économique, social, voire écologique, et en faire une véritable démocratie.
Nous nous présentons aux élections, certes, mais comme nous le disions plus haut, c'est fondamentalement pour défendre ces idées-là. Mais pas pour faire des scores avantageux. Quand nous en faisons, c'est justement sur la base de ces idées-là.
Dans les élections, notre propagande contient des revendications que nous voulons populariser pour qu'elles soient celles des luttes à venir, surtout des luttes importantes. Et les luttes importantes des travailleurs ont la caractéristique de s'en prendre à la bourgeoisie, au patronat, en touchant la production, en arrêtant l'économie et, donc, en stoppant les profits.
C'est là que réside l'épreuve de force. Et c'est alors que l'on peut imposer à la bourgeoisie des revendications essentielles.
Et si nous parlons de certaines revendications économiques en fonction de la situation sociale des classes laborieuses comme, par exemple, le rattrapage du niveau de vie, que ce soit sur les plus bas salaires ou sur tous les autres, si nous revendiquons l'arrêt de toute subvention aux entreprises capitalistes pour consacrer cet argent à créer des emplois dans les services publics, ou encore une augmentation de l'imposition sur les bénéfices des sociétés, pour pouvoir construire le nombre de logements sociaux qui manquent cruellement à toute la population, nous mettons surtout en tête de notre programme l'objectif du contrôle par les travailleurs, les associations, toute la population, des comptabilités et des projets de toutes les grandes entreprises, sans oublier les moyennes ou petites qui dépendent des grandes.
Ce n'est pas le programme d'une révolution, mais une revendication essentielle lors d'une lutte générale car ce serait un changement déterminant du rapport de forces social, voire politique, entre la population laborieuse et la bourgeoisie. Ce serait même une transition entre un programme strictement revendicatif et le programme qui conviendrait dans une crise révolutionnaire.
Par contre, nous n'irons pas dans le sens des courants dominants parmi la jeunesse ou une partie des travailleurs en défendant des objectifs vagues et non déterminants comme l'altermondialisme, l'écologie, un anticapitalisme imprécis, simplement pour gagner des suffrages. " Faire des voix " n'est pas un but en soi. D'ailleurs, même si nous étions élus, nous ne pourrions rien changer à la société sans un mouvement de masse puissant réunissant une majorité de travailleurs.
Voilà pourquoi, militants de Lutte Ouvrière, nous nous adressons avant tout aux travailleurs et à ceux, jeunes ou moins jeunes, qui le deviendront.
12 mai 2007