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Proche Orient - la nouvelle Intifada
Il aura suffi d'une provocation, d'une provocation supplémentaire : la venue sur l'esplanade des Mosquées à Jérusalem d'un ancien ministre israélien connu pour ses idées d'extrême droite, Ariel Sharon, pour que les Territoires occupés par Israël, Gaza et la Cisjordanie, s'embrasent à nouveau. Mais il n'aura pas suffi cette fois qu'un pseudo-accord soit signé entre le gouvernement israélien et l'Autorité palestinienne pour que soit mis fin au nouveau soulèvement, commencé le 28 septembre 2000.
Depuis le début de cette révolte, le gouvernement israélien et bien d'autres ont incriminé la violence des Palestiniens à laquelle, disent-ils, il conviendrait de mettre fin. Mais tous ceux qui sont si prompts à dénoncer la violence quand elle vient des pauvres et des opprimés, oublient curieusement de s'en prendre à celle des oppresseurs, en l'occurrence celle qui se trouve du côté israélien. Car tout de même, ne sont-ce pas les dirigeants israéliens qui, depuis des décennies, ont privé les Palestiniens de leurs meilleures terres pour y installer leurs colonies, qui ont dynamité leurs maisons quand il pensaient avoir affaire à un "terroriste", qui ont humilié tout un peuple par de multiples provocations ? Et puis, n'y a-t-il pas une différence sans commune mesure entre la violence d'un lanceur de pierres et celle d'un tankiste ? Entre un gamin armé d'une fronde et un pilote d'hélicoptère de combat ? Là-bas, la violence n'est en fait que la révolte d'un peuple qui en a assez des brimades et des humiliations, et qui se soulève pour les combattre. Et c'est cette violence-là justement qui fait peur.
L'embrasement des Territoires fait évidemment penser à la première Intifada le soulèvement, en arabe qui, elle aussi, avait débuté de façon soudaine, au lendemain d'un accident de la route au cours duquel quatre Palestiniens avaient été écrasés par un camion israélien. On ne peut pas dire aujourd'hui si l'actuel soulèvement durera autant que l'Intifada qui débuta en 1987 pour se terminer en 1993. Seulement, si cette Intifada est dans toutes les mémoires et attise les craintes des gouvernants israéliens, ce n'est pas uniquement à cause de sa durée, bien que celle-ci puisse être difficile à supporter, même pour l'armée la plus puissante du Proche Orient ; mais aussi et surtout parce que la seule fois où les dirigeants israéliens ont été contraints de reculer, ce fut précisément face à une révolte populaire.
L'armée israélienne qui, à trois reprises, avait vaincu les armées coalisées des États arabes environnants, en 1948, 1967 et 1973, s'était finalement montrée inopérante face à l'Intifada, face à des hommes et des femmes, souvent des adolescents, qui avaient décidé de ne plus supporter leur présence et de jeter des pierres sur chacune de leurs patrouilles. Ce furent d'ailleurs les tâches quotidiennes de répression, sans fin et sans espoir, qui démoralisèrent l'armée israélienne et une partie de la jeunesse du pays, contraignant les politiciens israéliens, après bien des refus et autres hésitations, à traiter avec l'OLP, cette organisation qu'ils n'avaient jamais qualifiée autrement que de "terroriste". Un "processus de paix" allait dès lors pouvoir être laborieusement mis sur pied. Aujourd'hui, on dit ce "processus" suspendu, pour ne pas le dire mort. Mais a-t-il jamais eu la moindre consistance, la moindre vie ? A-t-il à un quelconque moment apporté ne serait-ce qu'un début de solution aux problèmes des populations palestinienne et israélienne ?
Quand le peuple palestinien n'existait pas
Lorsque, après la guerre des Six jours de 1967, l'État d'Israël occupa Gaza, la Cisjordanie, le Golan et le Sinaï, il se trouva, surtout à Gaza et en Cisjordanie, face à une population nombreuse qui, dans sa grande majorité, resta sur place (alors que la majorité de la population palestinienne avait été brutalement chassée des territoires sur lesquels s'est établi l'État d'Israël, et dispersée dans des camps de réfugiés dans les pays voisins). Le gouvernement israélien de l'époque, à majorité travailliste, entama la colonisation des Territoires occupés avec tout ce que cela impliquait de déplacements de populations, de vols de terres et de souffrances infligées.
Trop peu de voix s'élevèrent en Israël contre une telle politique. Mais, lorsque quelques-uns mirent en garde contre le piège que pouvaient constituer les Territoires occupés pour toute la société israélienne, ils ne furent pas écoutés. On les considéra même comme traîtres lorsqu'ils demandèrent, tel cet ancien secrétaire général du syndicat Histadrout, que les Territoires soient restitués "fût-ce unilatéralement et sans accord de paix".
Non seulement la gauche et la droite israéliennes niaient le fait national palestinien mais elles se réjouissaient de concert lorsque dans plusieurs pays arabes en Jordanie en 1970, au Liban dans la seconde moitié des années soixante-dix les Palestiniens furent délibérément massacrés. Pour Israël, les Palestiniens n'existaient pas. N'existaient que des Arabes qui avaient le mauvais goût d'être installés dans les territoires qu'Israël occupait ou convoitait. Pour Israël, la solution était simple : les Palestiniens n'avaient qu'à s'installer dans d'autres pays arabes. Il est vrai que le territoire palestinien n'a jamais constitué dans l'histoire le support d'un État national, la population palestinienne étant passée de la souveraineté ottomane à la souveraineté anglaise, puis en 1948, à celle de la monarchie hachémite de Jordanie. Mais cette population n'en existait pas moins sur cette terre dont Israël allait la spolier. Cette attitude à l'égard des Palestiniens n'était d'ailleurs pas vraiment une nouveauté. Le gouvernement britannique qui s'y connaissait en mépris à l'égard des peuples avait, dans le texte de la déclaration de Balfour de 1917, par lequel il "considérait favorablement l'établissement d'un Foyer national juif en Palestine", nommé les habitants de ladite Palestine par le vague terme de "communautés non juives", aux droits civiques et religieux desquelles il convenait tout de même de ne pas porter atteinte.
Deux des principales figures de l'État d'Israël lors de sa fondation, socialistes de surcroît, Ben Gourion et la dirigeante travailliste Golda Meïr, ne raisonnaient pas autrement. Golda Meïr n'avait-elle pas affirmé à la tribune de la Knesset, le parlement israélien : "Le peuple palestinien ? a n'existe pas !" ? Quant à Ben Gourion, c'est tous les Arabes qu'il ignorait superbement. Un de ses principaux biographes, que l'on ne peut suspecter d'antipathie à son égard, écrivit : "Ses relations avec les Arabes sont assez extraordinaires, du fait qu'elles sont inexistantes (...). Dans le monde de Ben Gourion, dans son État, il n'y a pas de place pour les Arabes, il n'en a pas connus et ne veut pas les connaître. Si la pensée de ce dirigeant sioniste pouvait se résumer en une phrase, ce serait celle-ci : "Une Palestine aussi juive que l'Angleterre est anglaise".
Droite et gauche israéliennes : une même politique
Des années durant, les dirigeants israéliens firent donc semblant de croire à la non-existence des Palestiniens, alors que, dès 1974, même l'ONU reconnaissait l'OLP comme la représentante officielle du peuple palestinien, lui octroyant à ce titre un siège d'observateur permanent. En élevant ainsi Arafat sur un piédestal, en autorisant qui plus est son mouvement à se doter d'organes politiques, militaires, culturels, diplomatiques, préfigurant un futur État palestinien, les dirigeants arabes et ceux de l'impérialisme prenaient une sorte d'assurance contre les risques que comporte l'explosive question palestinienne.
Tous redoutaient en effet que la lutte, la combativité, l'esprit de sacrifice des Palestiniens puissent être contagieux, car les Palestiniens ont ceci d'inquiétant pour tous les roitelets du pétrole et autres potentats locaux, qu'ils sont non seulement déterminés mais encore éparpillés dans quasiment tous les pays du Proche et du Moyen-Orient, du fait de leur exil forcé. Leur lutte et leurs organisations indépendantes peuvent être un exemple pour d'autres. Voilà la crainte des gouvernants arabes et occidentaux, de tous ces dirigeants qui savent fort bien que si les peuples d'Egypte, de Jordanie, de Syrie, d'Arabie Saoudite se battaient pour eux-mêmes avec la même détermination que les Palestiniens, c'en serait fini des dictatures qui maintiennent sous leur coupe les populations faméliques de la région. C'est en cela que le mouvement palestinien pouvait être un réel facteur de déstabilisation. Il aurait pu incarner un espoir dépassant les limites de la seule Palestine, un espoir pour tous les peuples de cette région qui subissent une même exploitation et des oppressions similaires. Mais si tous ces peuples se sont bien souvent reconnus dans le combat des Palestiniens, les dirigeants de ces derniers, Arafat en tête, se sont toujours refusés à les encourager réellement, à encourager ce besoin d'unité pour un combat bien plus vaste, bien plus profond, que celui porté par le seul nationalisme palestinien.
Autant l'OLP a été combattue lorsque ses milices, dans les camps de réfugiés notamment, pouvaient être l'expression d'une mobilisation pouvant servir d'exemple pour d'autres peuples arabes, autant l'OLP, en tant qu'appareil coupé des masses, a pu recevoir un important soutien des régimes arabes au point de pouvoir constituer tout un appareil de fonctionnaires, et bien sûr un appareil militaire, une sorte de pré-État en quelque sorte qui attendait son heure.
Il y avait loin cependant entre la reconnaissance de l'OLP par plusieurs États arabes et même par l'impérialisme, et l'obtention pour l'organisation palestinienne d'un pouvoir effectif, ne serait-ce que sur une partie de la Palestine. Les dirigeants américains pouvaient être conscients de l'intérêt qu'il y avait à laisser exister une organisation nationaliste modérée, sans être prêts pour autant à contraindre Israël à adopter la même attitude. Ainsi, les dirigeants israéliens campèrent sur des positions intransigeantes à l'égard de l'OLP, alors même que leur tuteur américain adoptait, lui, une attitude plus souple.
Ce n'était pas, de la part des dirigeants israéliens, un signe de cécité mais le reflet d'un rapport des forces qui leur était particulièrement favorable. Et tant qu'il en fut ainsi, on ne vit aucune inflexion dans l'attitude israélienne à l'égard des directions palestiniennes, que ce soit de la part des travaillistes ou de celle des représentants de la droite, du Likoud. Peu de différences en effet séparent sur le plan de la reconnaissance du fait palestinien la droite de la gauche israéliennes. Quoique moins porté sur les références bibliques, le Parti Travailliste a toujours été inflexible quant à la non-reconnaissance des droits du peuple palestinien. Au pouvoir de 1948 à 1977, c'est-à-dire pendant les trente premières années de l'existence d'Israël, ce parti était sur ce plan aussi intransigeant que la droite et même plus rigide en ce qui concerne la rétrocession du Sinaï à l'Egypte. C'est d'ailleurs un gouvernement de droite conduit par Begin qui, en 1979, fit ce que les travaillistes n'avaient pas osé faire : la paix avec l'Egypte, en échange d'une évacuation du Sinaï.
Ce traité, signé sous les auspices du président américain de l'époque, comportait un volet concernant un vague projet d'autonomie administrative pour les Territoires occupés auquel personne ne donna suite. Mais pour qu'il n'y ait strictement aucune ambiguïté, le gouvernement israélien, sitôt les accords signés, fit avaliser par l'administration américaine des "lettres d'accompagnement" qui précisaient certains passages du traité de paix israélo-égyptien. Ainsi, les "droits légitimes des Palestiniens" étaient-ils devenus dans la nouvelle rédaction les "droits légitimes des Arabes de la Terre d'Israël". Et dans une autre lettre annexe aux accords, Begin précisait que pour son gouvernement, l'expression "rive occidentale" (Cisjordanie) devait être "interprétée et comprise" comme étant la "Judée et Samarie", termes bibliques sur lesquels Israël a toujours fondé ses prétentions territoriales.
Sur le terrain, le gouvernement israélien continuait à manifester sa crainte que les Palestiniens se dotent d'administrations ayant la moindre autonomie. Les municipalités palestiniennes par exemple, qui avaient été élues en 1976, et qui avaient constitué une représentation locale que l'OLP avait fini par reconnaître, allaient être dissoutes pour ce seul fait. Les uns après les autres, les maires furent démis, arrêtés, expulsés ou victimes d'attentats criminels. Finalement, après la seconde victoire électorale du Likoud en 1981, ces municipalités furent purement et simplement remplacées par une administration dite "civile", bien que justement dirigée par des militaires. Et pendant tout ce temps, la colonisation connut un nouvel essor avec la mise en place du plan Sharon.
Ce fut l'Intifada, la guerre des pierres, qui contraignit les dirigeants israéliens à infléchir quelque peu leur attitude. Quelle autre force aurait d'ailleurs pu faire bouger l'État hébreu puisque les États-Unis faisaient montre d'une clémence et d'une patience sans borne à l'égard de leur protégé israélien ? Certes, les gouvernants américains auraient bien aimé qu'une normalisation s'instaure dans les relations entre Israël, les pays arabes et les représentants palestiniens. Ils ont même parfois été agacés par l'attitude des dirigeants israéliens. "Vous êtes plus entêtés que les Arabes et vous faites obstacle à la paix", aurait dit le président américain Carter à Moshe Dayan, alors ministre des Affaires étrangères, en visite à Washington, au mois de septembre 1977. Mais c'est extrêmement rarement que les dirigeants américains ont exercé de réelles pressions sur les Israéliens pour qu'ils modifient leurs relations avec les Palestiniens. Lorsque James Baker, le ministre des Affaires étrangères de Bush, affirma aux représentants de la communauté juive des États-Unis : "Il est temps pour Israël de mettre de côté une fois pour toutes la vision irréaliste d'un Grand Israël", et invita le gouvernement israélien à "renoncer à l'annexion ; arrêter l'activité de colonisation ; permettre aux écoles de rouvrir ; tendre la main aux Palestiniens comme à des voisins méritant des droits politiques", il ne fit qu'essuyer en retour les propos acides du Premier ministre israélien de l'époque, l'homme de droite Shamir. Pour ce dernier, qui ne faisait jamais dans la nuance, le ministre américain était "une menace pour l'existence même du peuple juif" et représentait "l'émergence d'un nouveau bourreau pour le peuple juif".
Et pourtant, c'est ce même Shamir qui, après deux ans d'Intifada, c'est-à-dire en 1989, se trouva dans l'obligation de proposer un plan qu'il se disait prêt à négocier avec des porte-parole des habitants de Cisjordanie et de Gaza, en échange de l'arrêt de la guerre des pierres. C'était la première fois qu'un Premier ministre israélien envisageait qu'il puisse y avoir des pourparlers directs avec des Palestiniens, même s'il les appelait encore "les habitants arabes de la Judée, Samarie et Gaza". Seulement, faute d'interlocuteurs, rien ne put aboutir ni même commencer. Refusant en préalable que la délégation palestinienne comporte des membres de l'OLP, Shamir ne trouva personne avec qui il put entreprendre ne serait-ce qu'un début de discussion. Pour le reste, le plan qu'il concocta fut en bien des points similaire à celui que reprendront quelque temps plus tard les travaillistes israéliens, lors des rencontres d'Oslo.
De la conférence de Madrid aux accords d'Oslo
C'est toujours sous la présidence de Shamir que s'ouvrit la Conférence de Madrid voulue par les États-Unis, à la fin de l'année 1991. Israël n'était pas alors dans la meilleure des positions pour refuser sa participation. A l'issue de la guerre du Golfe qui venait de se terminer, l'État hébreu pouvait craindre de ne plus avoir la même position de partenaire privilégié des États-Unis dans la région. La Syrie ne s'était-elle pas rangée aux côtés de la coalition occidentale ? L'armée israélienne n'avait-elle pas été neutralisée, c'est-à-dire empêchée d'intervenir le temps du conflit ? A cela s'ajoutait un autre motif, d'ordre économique cette fois. Depuis 1990, l'économie israélienne accueillait 100 000 émigrés d'Union soviétique par an. La tâche était lourde pour une petite économie, où la persistance de l'Intifada freinait le mouvement des investissements étrangers, cependant que le développement de la colonisation des Territoires occupés avait (pour une fois) entraîné la suspension des garanties américaines pour mobiliser des prêts extérieurs. La levée de l'interdiction de commercer, que les pays arabes maintenaient depuis 1948 à l'égard d'Israël, aurait permis un certain désenclavement de l'économie israélienne et lui aurait apporté une bouffée d'oxygène : c'est du moins l'espoir que faisait miroiter la diplomatie américaine pour attirer Israël à la Conférence de Madrid.
Shamir se déplaça donc, mais sans aucun enthousiasme. Lors de l'ouverture de la Conférence, il insista sur ce qui n'avait pas grande importance à ses yeux : la question territoriale. "Il serait regrettable que les négociations se fixent en premier lieu et exclusivement sur la question territoriale. C'est la voie la plus rapide qui conduirait à une impasse", dit-il. Commencer ainsi, c'était clore la Conférence avant qu'elle ne débute. C'est d'ailleurs ce que voulait Shamir, qui quitta la Conférence dès le lendemain pour cause de sabbat. Mais, plus encore que dans les salles luxueuses du palais royal de Madrid, c'est sur le terrain que se manifestait le mieux la politique des gouvernants israéliens. Le jour même de la cérémonie d'inauguration, le ministre de l'Energie d'Israël affirma que, comme les Allemands en leur temps, les Arabes devaient renoncer aux territoires perdus pendant la guerre, "concession qui seule pourrait amener la paix". Le 2 novembre, le lendemain même de la clôture de la Conférence, Ariel Sharon, alors ministre israélien du Logement, inaugurait une nouvelle colonie juive sur le Golan. Neuf jours plus tard, le 11 novembre, le Parlement israélien décidait que le Golan ne serait pas négociable avec la Syrie, puisqu'indispensable à la sécurité d'Israël. Cette résolution qui, par ailleurs, encourageait la colonisation du plateau, avait été déposée par deux députés travaillistes. Mais tous ces faits et d'autres encore, comme ceux qui se produisirent au Liban en octobre de la même année, n'altérèrent pas, en Occident du moins, cette croyance en l'émergence d'un "processus de paix" pour cet interminable conflit judéo-arabe, le plus long du 20e siècle.
Après Madrid, les conférences succédèrent aux conférences sans aboutir à quoi que ce soit. Washington, Vienne, Ottawa, Tokyo, Lisbonne, Rome... bien des capitales accueillirent les protagonistes du Proche Orient. Mais ces rencontres furent d'autant plus inutiles que les représentants de l'OLP n'y participaient pas puisque c'était toujours une exigence de la partie israélienne.
Toutes ces prétendues négociations ne furent en réalité qu'un théâtre d'ombres ne parvenant pas à cacher que sur le terrain les affrontements étaient toujours aussi violents, en particulier cette Intifada que l'armée israélienne, de plus en plus lasse, avait de plus en plus de mal à contenir.
Le retour des travaillistes au gouvernement : quels changements ?
Les choses ont pourtant semblé devoir changer avec le retour au pouvoir des travaillistes en juin 1992.
Coupant court au langage outrancier de Shamir, Rabin, le nouveau Premier ministre, n'excluait en paroles ni une possible autonomie palestinienne, ni un compromis territorial sur le Golan syrien annexé. Face à la provocation permanente que constituait l'ouverture de nouvelles colonies dans les Territoires occupés, il disait vouloir distinguer entre "les colonies de sécurité" auxquelles il ne fallait pas toucher et "les colonies idéologiques" que le Likoud avait encouragées. Seulement, Rabin se garda bien de définir et les unes et les autres.
Des négociations secrètes s'engagèrent pour la première fois entre l'OLP et le gouvernement israélien. Elles eurent lieu en Norvège. On y causa de bien des choses, de la reconnaissance mutuelle entre l'OLP et le gouvernement israélien. Mais pas seulement. Furent abordés aussi de grands projets économiques où il était question d'usines de ciment, de Gaza devenant une zone franche, d'un centre de haute technologie, d'une banque de développement, d'aménagements d'adduction d'eau, d'exploitation de la mer Morte, de création de zones franches dans la vallée du Jourdain, de stations de dessalement...
Dès lors, tout alla vite pour se conclure, le 13 septembre 1993, par la cérémonie organisée à Washington où Arafat serra la main tendue avec hésitation par Rabin, puis celle de Pérès, sous l'oeil attendri de Clinton. Le traitement médiatique de l'événement fut une réussite. Mais le processus de paix né sur les pelouses de la Maison Blanche allait-il atteindre les Territoires occupés ?
Dans l'échange de lettres qui précéda la signature des accords, Arafat s'engagea sur plusieurs points : sur le droit d'Israël à vivre en paix et dans la sécurité, sur le renoncement à recourir au terrorisme et l'engagement à sanctionner les contrevenants. Le chef de l'OLP affirma aussi que "les articles et points de la Charte palestinienne niant le droit d'Israël à exister ainsi que les clauses de la Charte qui sont en contradiction avec les engagements de cette lettre sont désormais inopérants et non valides". Et surtout Arafat s'engagea publiquement à encourager et à appeler les Palestiniens des Territoires occupés à coopérer à la "normalisation". En clair, il s'agissait de mettre fin à l'Intifada. En contrepartie, le Premier ministre israélien ne promit rien, si ce n'est la reconnaissance de "l'OLP comme représentant du peuple palestinien et d'engager des négociations avec l'OLP dans le cadre du processus de paix au Proche Orient".
Du côté israélien, malgré une déclaration lyrique faite par Shimon Pérès à la tribune des Nations Unies, quelques jours après la signature des accords d'Oslo : " Sur la pelouse on pouvait presque entendre le pas lourd des bottes quittant la scène après cent ans de conflit. Et en tendant l'oreille, on aurait même pu entendre l'ère nouvelle arriver sur la pointe des pieds pour faire ses débuts dans le monde de la paix qui nous attend", il n'y eut aucun engagement symétrique à faire cesser les innombrables mesures vexatoires dont étaient victimes les Palestiniens. Processus de paix ou pas, les expulsions, les dynamitages de maisons, les confiscations de terres, les couvre-feux, les arrestations arbitraires, les bouclages des Territoires, n'allaient jamais cesser.
Concernant l'avenir, l'accord prenait bien soin de préciser que "les deux parties sont convenues que les accords conclus pour la période intérimaire ne doivent pas préjuger le résultat des négociations sur le statut permanent ou l'anticiper". Ce que prévoyait déjà en son temps le plan Shamir, ni plus ni moins.
Au terme des accords d'Oslo, les Palestiniens obtenaient l'autonomie de Gaza et Jéricho, prélude à la mise en place d'autres enclaves autonomes. C'était certainement dérisoire au regard d'une âpre lutte de sept ans, mais c'était tout de même le premier recul qu'Israël avait été contraint d'effectuer, non pas devant une armée constituée, mais devant un peuple révolté que des années de répression n'avaient pas pu vaincre.
Faible devant l'Intifada, l'État d'Israël avait besoin d'une force associée pour contrôler et faire cesser la révolte des masses palestiniennes. Ce fut l'appareil de l'OLP, avec ses fonctionnaires, son armée de l'extérieur, sa police, qui bénéficia de l'accord et, au-delà, ce furent surtout la bourgeoisie et la petite bourgeoisie palestiniennes. Le prétendu processus de paix n'a été finalement qu'une tentative pour faire cesser un mouvement populaire, avec la complicité d'un Arafat, convié à exercer son autorité sur les Palestiniens et au besoin à faire agir ses forces de police, en échange d'un pouvoir d'État des plus restreints, sous surveillance constante de l'armée israélienne. Et ainsi, l'application de ces accords, à travers ceux de Taba, de Wye Plantation et d'autres encore, a-t-elle été plus proche de la mise en place de bantoustans sud-africains que d'une quelconque indépendance pourtant attendue par tout un peuple.
La seconde intifada
Aujourd'hui, après plus de sept ans de prétendu processus de paix, la situation de la population palestinienne ne s'est guère améliorée dans les Territoires. Au contraire même, on peut dire qu'elle a empiré.
En 1967, lorsque l'armée israélienne était entrée dans ce qui allait devenir les Territoires occupés, la Cisjordanie et Gaza, les déplacements se faisaient alors sans beaucoup d'entraves au sein des Territoires, entre lesdits Territoires et même entre ces derniers et Israël. Rendre visite à un membre de sa famille, aller travailler ou consulter dans un hôpital était encore chose relativement facile. Mais le processus de paix allait changer tout cela. Gaza, par exemple, est devenu un véritable camp d'internements, entouré d'un mur hermétique et ne disposant que d'un point de passage vers Israël ou la Cisjordanie, celui d'Erez. Plusieurs heures sont nécessaires pour le franchir. Et lorsque le gouvernement israélien le décrète, le point de passage d'Erez est tout bonnement fermé, parfois durant des jours.
La Cisjordanie n'est pas mieux lotie. C'est elle qui a été surnommée "peau de léopard", tant la juxtaposition des colonies juives et des quelques zones directement sous contrôle de l'Autorité palestinienne rendait la carte du pays semblable à la peau de cet animal. Il aura fallu quatre ans pour que huit petits bouts de Cisjordanie puissent être administrés par les Palestiniens. Jéricho en 1994, Bethléem, Jénine, Naplouse, Qalqilia, Ramallah, Tulkarem, à la fin de l'année 1995, et enfin Hébron en 1997. Et encore, dans cette dernière ville l'évacuation prévue par les accords de 1995 n'a pas été rendue possible, du fait de la présence de quelques centaines de colons juifs intégristes accrochés au coeur d'une ville qui compte plus de cent mille Palestiniens. Ni les gouvernements de Rabin, de Pérès, de Barak, ni bien sûr celui de Nétanyahou n'ont été capables de régler le problème. La ville a donc été divisée en deux zones, l'une israélienne, l'autre palestinienne.
Les extensions des colonies juives sont des annexions qui ne veulent pas dire leur nom. Elles se sont faites au prix du vol des terres palestiniennes, non seulement pour construire les habitations des colons mais encore pour relier les colonies entre elles, via des routes réservées et protégées, évitant les localités palestiniennes. Cet émiettement du territoire a aussi pour conséquence d'emprisonner les Palestiniens dans leurs villes et villages à chaque fois que les autorités militaires israéliennes le décident. Avant le processus de paix, le bouclage de la Cisjordanie se faisait à la frontière avec Israël. Aujourd'hui, ce n'est plus forcément le Territoire qui est bouclé mais toutes les enclaves palestiniennes. On imagine alors les drames qui peuvent survenir, dont les plus graves sont liés aux difficultés voire à l'impossibilité d'accéder à des soins urgents.
Cette politique d'encerclement systématique de la population palestinienne se poursuit partout et s'accélère. Durant l'année 2000, même non terminée, le nombre de logements de colons a doublé par rapport à l'année précédente : 1 067 contre 545. Au total, il a été construit autant de colonies sous le gouvernement du travailliste Barak, que pendant les trois années du gouvernement de droite de Nétanyahou. Et aujourd'hui, les communautés sont tellement séparées que bien des familles palestiniennes ne peuvent plus se rencontrer librement, et doivent pour ce faire demander des autorisations aux autorités israéliennes.
Mais, s'ajoutant à toutes les humiliations, il y a surtout la misère, le manque d'eau, le chômage qui frappe parfois jusqu'à 50 % de la population. Dans de telles conditions, et alors que les colons israéliens peuvent, eux, se déplacer comme ils l'entendent, posséder les meilleures terres, rien d'étonnant que la révolte palestinienne ait fini par monter encore d'un cran, au point que l'on parle maintenant de seconde Intifada. Et dans l'esprit du gouvernement israélien cette situation ne devrait pas s'améliorer puisqu'il envisage maintenant un plan dit de "séparation unilatérale" qui empêcherait tout contact entre Israéliens et Palestiniens. Si cette option devait se confirmer, elle aboutirait à une annexion pure et simple d'un grand nombre de colonies, celles qui sont les plus proches de la frontière israélienne, quitte à en évacuer quelques autres par trop indéfendables. Un apartheid mâtiné de purification ethnique, voilà à quoi est en train d'aboutir la politique sioniste, qu'elle ait été mise en oeuvre par des gouvernements de gauche ou de droite.
L'impasse des nationalismes
Alors, quelle solution pour ce bout de Proche Orient, grand comme une région française, où vivent Israéliens et Palestiniens, deux peuples qui, l'un comme l'autre, ont tout autant le droit de disposer d'eux-mêmes et de posséder un État qui leur soit propre ?
Il y a aujourd'hui un tel fossé de haine entre Israéliens et Palestiniens qu'il peut sembler vain d'imaginer qu'il puisse exister un autre avenir, différent de cette situation de quasi-guerre qui dure maintenant depuis des décennies. Pourtant, dans le passé commun des peuples israélien et palestinien, il fut des situations où l'histoire aurait pu s'écrire différemment, où les deux peuples auraient pu se forger un avenir commun.
Il n'y avait, par exemple, aucune justification à ce que la venue des immigrants juifs, dans l'entre-deux-guerres et au sortir de la Seconde Guerre mondiale, se fasse au détriment des Palestiniens. Les centaines de milliers de Juifs qui ont fui la barbarie nazie, ceux qui ont eu la chance de survivre au génocide et qui ont pensé trouver un havre de paix en Palestine, auraient pu créer autre chose qu'un État colonial, raciste, où la religion est devenue référence et où les rabbins imposent leur pensée moyenâgeuse.
Ces hommes et ces femmes qui débarquèrent sur cette terre venaient de pays développés, avec ce que cela impliquait de culture, de connaissances. Beaucoup étaient militants ou sympathisants d'organisations juives d'inspiration socialiste, bénéficiant de toute une expérience venue du mouvement ouvrier européen. Les différences de culture, de degré d'éducation, de traditions politiques, entre les communautés juives et arabes n'étaient pas en elles-mêmes un handicap. Au contraire, elles auraient pu être une richesse. Mais pour cela, pour que naisse une Palestine judéo-arabe vraiment démocratique, c'est-à-dire démocratique à l'égard des deux peuples et qui de surcroît aurait pu être un exemple formidable pour tout le Moyen-Orient , encore eût-il fallu que les Juifs israéliens aient le souci non seulement d'eux-mêmes, mais des peuples parmi lesquels ils s'installaient. Et alors, cette histoire commune à laquelle le sionisme tournait le dos aurait pu se forger, dans les luttes précisément. Ensemble, Juifs et Arabes auraient pu se dresser contre toutes les structures sociales archaïques qui soumettaient les peuples à des régimes oppressifs, destinés à maintenir les privilèges de quelques parasites. Ensemble, ils auraient pu s'opposer aux puissances impérialistes, toutes déterminées à participer au pillage des richesses de la région.
Mais cela ne se fit pas. En lieu et place, la politique sioniste, exaltant le retour du peuple juif à sa terre promise, dressa un mur d'ignorance entre les peuples qui devint vite un mur de haine. Si les Israéliens furent suffisamment motivés pour accomplir bien des miracles, faire verdir les déserts, créer un pays moderne, il ne furent pas suffisamment conscients pour comprendre que leur nationalisme, même lorsqu'il fut teinté de vagues éléments empruntés au socialisme, ne pouvait créer au bout du compte que l'État d'Israël que l'on connaît aujourd'hui. Un État qui se veut un petit coin de l'Occident impérialiste, enfoncé dans une région largement sous-développée. Un État où la religion a pris une importance démesurée, où un rabbinat réactionnaire et obscurantiste a aidé à la croissance de partis religieux intégristes sans lesquels à présent aucune majorité gouvernementale ne pourrait se constituer. Un État où les préjugés racistes se sont développés non seulement contre les Arabes, mais au sein de la population juive elle-même. Bref, Israël d'aujourd'hui ressemble de moins en moins à la société que bien des émigrants rêvaient de construire, mais de plus en plus à celle qu'ils ont fuie. Alors, même si on ne peut que reconnaître le droit des Juifs israéliens à une existence indépendante, cela ne doit en aucun cas justifier un quelconque soutien à la politique sioniste.
Du côté palestinien, le nationalisme se révéla aussi être une impasse. On ne peut bien sûr pas mettre sur le même plan le nationalisme israélien et le nationalisme palestinien et renvoyer dos à dos l'un et l'autre. Le nationalisme israélien n'est, lui, que l'instrument d'une bourgeoisie relativement développée dont toute la politique participe au maintien de la domination impérialiste, tandis que le nationalisme palestinien reflète le désir des opprimés de secouer cette tutelle. Mais, tout en reflétant ce désir, les organisations palestiniennes, de l'OLP au Hamas, le canalisent dans un sens acceptable par l'impérialisme. Pourtant, le combat des Palestiniens pourrait être un espoir pour bien des peuples de la région et une crainte pour les régimes arabes réactionnaires et oppressifs.
Ce n'est évidemment pas par solidarité envers le peuple palestinien que vient de se tenir au Caire le sommet de la Ligue Arabe. Les dirigeants arabes ne sont nullement solidaires de la révolte des Palestiniens. Comme Clinton qui s'est précipité quelques jours plus tôt à Charm-el-Cheikh pour tenter de parvenir à un accord Barak-Arafat, tous redoutent un regain de combativité des Palestiniens et craignent que l'autorité de la direction de l'OLP se soit émoussée au point de ne pas pouvoir contrôler la suite des événements.
Là encore, du côté palestinien, l'histoire aurait pu s'écrire différemment. Si les leaders palestiniens avaient voulu s'adresser aux autres peuples arabes, rechercher leur alliance et non celle de leurs dirigeants, ils auraient pu faire voler en éclats les édifices dictatoriaux sur lesquels repose la domination impérialiste au Moyen-Orient et dont Israël n'est finalement qu'une petite partie. Mais de cela, ni Arafat, ni les autres dirigeants nationalistes palestiniens, ne voulaient. Leur nationalisme étroit, borné aux frontières de la seule Palestine, respectueux de l'absurde découpage du monde arabe opéré par l'impérialisme, loyal à l'égard des régimes arabes y compris les plus réactionnaires, les amenait à enfermer leur peuple dans un piège sans issue.
En nationalistes conséquents, représentant les intérêts d'une bourgeoisie palestinienne désirant une petite place au soleil, Arafat et les siens se sont bien sûr servis de la révolte de tout un peuple, mais pour mieux la canaliser, pour mieux désamorcer toutes les possibilités révolutionnaires de la lutte des Palestiniens. C'est ainsi qu'ils ont pu démontrer aux dirigeants arabes, à l'impérialisme et à Israël, qu'ils pouvaient être un facteur de stabilité pour peu qu'on leur confie un pouvoir d'État, même limité.
Aujourd'hui, toutes les concessions faites par Arafat n'ont rien apporté au peuple palestinien. Son pouvoir corrompu et despotique est rejeté par bon nombre de Palestiniens qui, malheureusement, se tournent vers les organisations intégristes islamiques, dont le radicalisme apparent ne masquera que momentanément le vide de leur politique sociale. Car le vrai problème est là et pas seulement dans l'étendue du territoire. Il est dans la nature de classe de l'État, dans le fait de savoir si l'État palestinien est un État pour les notables, pour la petite bourgeoisie, ou bien un État pour les masses populaires, pour ce prolétariat qui a fourni bien des combattants de la première Intifada et fournit toujours bien des combattants de la révolte actuelle.
C'est cela la principale question sur laquelle, en réalité, les différentes organisations, celles qui composent l'OLP ou celles qui constituent le courant intégriste, ne se différencient pas fondamentalement. Au contraire, elles ont toutes un point commun qui les rend profondément hostiles à la classe ouvrière et aux opprimés : leur nationalisme.
Si demain, un pouvoir intégriste musulman en Palestine venait à s'opposer à un pouvoir intégriste juif en Israël, cela se ferait pour le plus grand malheur des peuples. L'avenir ne peut être là. Les peuples juif et palestinien méritent mieux qu'une politique d'exclusion réciproque. Plus que jamais, ce dont ont besoin aujourd'hui les masses palestiniennes qui se battent mais aussi les masses de tous les autres États, y compris celui d'Israël, c'est d'une politique révolutionnaire, une politique qui vise à l'unité de tous les exploités, de tous les opprimés de la région, sur la base de leurs intérêts de classe. Bref, une politique qui ne soit pas dévoyée vers des impasses nationalistes.