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Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire dans la campagne des élections européennes
Durant l'été 1998, Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire ont engagé des discussions en vue de présenter une liste commune lors des élections européennes de juin 1999. Ces discussions ont abouti à un projet de profession de foi commune, tel qu'elle aurait pu être rédigée à cette date (texte que nous avons publié dans le numéro 39 de Lutte de Classe, en décembre 1998, avec d'autres documents concernant cette discussion). Après que, de part et d'autre, les militants des deux organisations eurent été largement consultés, et eurent approuvé très majoritairement cet accord, celui-ci a été rendu public en janvier dernier.
Notre préoccupation principale, en recherchant un tel accord, était de se donner le maximum de possibilités pour confirmer les résultats que nous avions obtenus lors de l'élection présidentielle de 1995 (où plus de 5 % des électeurs avaient voté pour notre camarade Arlette Laguiller) et des élections régionales de 1998 (où Lutte Ouvrière avait obtenu vingt élus, dans neuf régions différentes, avec par exemple 7,73 % des voix dans l'Aisne, 6,35 % dans le Pas-de-Calais, 6,81 % dans la Somme, 6,84 % en Seine-Saint-Denis, tandis que de son côté la Ligue Communiste Révolutionnaire obtenait deux élus en Midi-Pyrénées avec 5,52 % des voix en Haute-Garonne). Dans une situation politique marquée par la démobilisation de nombreux militants ouvriers désorientés par la politique menée par la "gauche plurielle", nous pensons en effet que confirmer aux prochaines élections européennes les résultats obtenus en 1995 et 1998, mieux même les améliorer si possible, serait la meilleure manière de conforter ces militants dans l'idée qu'il y a une autre politique à défendre que l'alignement sur des politiciens sociaux-démocrates qui ne visent qu'à se comporter en "gérants loyaux" (pour reprendre la formule de Léon Blum à propos de son gouvernement de juin 1936) des intérêts de la bourgeoisie.
C'est la raison pour laquelle nous nous sommes prononcés dès le lendemain des élections régionales pour un accord avec la LCR, qui se limiterait à nos deux organisations, partageant une commune référence au trotskisme (en excluant tout regroupement "de gauche" mal défini), et qui défendrait une autre Europe que celle que les grands groupes capitalistes veulent construire à leur seul profit, ainsi qu'une série de mesures destinées à faire payer les frais de la lutte contre le chômage à ceux qui profitent de la situation économique. En nous présentant sur une telle base avec la LCR, nous évitions le risque d'échouer à faire un score relativement important en nous présentant séparément. Dans un tel cas de figure, l'incapacité de l'extrême gauche à intervenir unie dans ces élections aurait été incompréhensible pour la grande majorité de l'électorat populaire, et n'aurait pu avoir qu'un effet démoralisant.
L'Europe et les revendications ouvrières
La liste commune est donc constituée, à parts égales, de candidats de la Ligue Communiste Révolutionnaire et de candidats de Lutte Ouvrière, des travailleuses et des travailleurs salariés dans leur immense majorité. Elle compte une majorité de femmes, et même nettement plus de femmes que d'hommes en début de liste, de telle sorte que si nous obtenons des élus, ce seront en majorité des femmes. Ce sera notre manière de montrer concrètement que les révolutionnaires sont les seuls pour lesquels la lutte contre les inégalités qui frappent les femmes dans notre société dans tous les domaines, mais en particulier dans le domaine politique, n'est pas qu'un sujet de discours.
Mais bien évidemment, ce n'est pas parce qu'il s'agit d'élections qui se déroulent dans un cadre européen que nous devons nous contenter de parler d'une Europe abstraite, et renoncer à parler de la situation que connaissent ceux qui essaient de vivre de leur travail dans ce pays, d'autant que les problèmes auxquels ils sont confrontés sont aussi ceux de tous les travailleurs du continent.
C'est pourquoi, si la campagne que nous menons en commun avec la LCR défend un certain nombre de revendications démocratiques communes aux travailleurs européens, elle met aussi l'accent sur les mesures d'urgence nécessaires pour lutter vraiment contre le chômage, qu'Arlette Laguiller a popularisées lors de la campagne de l'élection présidentielle de 1995 et qui ont depuis été au centre de nos interventions.
Il ne s'agit pas de mesures que nous espérerions voir adopter par le parlement français ou par le parlement européen, parce que nous n'attendons rien de ces assemblées, dans lesquelles siègent presque exclusivement des gens qui ne représentent que les intérêts de la bourgeoisie. Il s'agit au contraire d'un ensemble de revendications, d'objectifs, destiné à armer la classe ouvrière, si celle-ci s'engage dans des grèves importantes, par exemple comme en 1968, afin que ses combats n'aboutissent pas qu'à des succès illusoires, vite récupérés par la bourgeoisie, comme ce fut bien souvent le cas dans l'histoire.
Et si, nous présentant aux suffrages des travailleurs français, nous nous adressons d'abord à eux, ne serait-ce que matériellement, nous avons conscience de défendre en même temps des revendications économiques qui concernent de la même manière tous les travailleurs d'Europe, également touchés par le chômage et les attaques dirigées contre leur niveau de vie et leurs conditions de travail.
La liste LO-LCR et l'électorat du PCF
Dès la conclusion de cet accord, de nombreux organes de presse ont affirmé que l'objectif de Lutte Ouvrière et de la Ligue Communiste Révolutionnaire était de progresser aux dépens du Parti Communiste Français. Cette manière de présenter les choses, qu'elle résulte d'une totale incompréhension politique ou d'une déformation politique volontaire et pas innocente, est parfaitement erronée. Si nous nous présentons au scrutin européen de juin prochain, c'est bien évidemment pour essayer de rassembler le plus grand nombre de voix possible sur notre position, et nous appelons évidemment tous ceux qui pensent que nous avons raison à nous apporter leurs suffrages. Mais quand nous reprochons à la "gauche plurielle" une politique qui ne diffère pas, pour l'essentiel, de celle qui fut menée par Balladur ou par Juppé, nous ne visons évidemment pas le seul Parti Communiste, qui ne joue qu'un rôle de comparse secondaire dans une pièce dont les acteurs principaux sont les dirigeants du Parti Socialiste.
Améliorer le score de l'extrême gauche aux seuls dépens du Parti Communiste ne serait qu'un bien piètre résultat. L'électorat de ce parti (même s'il est influencé par le "réalisme" que prêche la direction du PCF pour justifier son suivisme complet par rapport à Jospin) représente en effet la partie la plus critique de l'électorat de la "gauche plurielle". Et ce qui serait considéré comme un vote de censure de la politique gouvernementale, ce serait que l'extrême gauche progresse, mais que la somme des voix recueillies par l'extrême gauche d'un côté, et par le Parti Communiste de l'autre, progresse sensiblement au détriment du Parti Socialiste et de ses autres alliés.
Malgré cette présentation tendancieuse des objectifs de leur liste, Arlette Laguiller et Alain Krivine se sont donc efforcés, dans toutes leurs interventions, de montrer qu'ils ne sont pas des ennemis des militants du Parti Communiste, qu'ils partagent leurs préoccupations et leurs aspirations, mais qu'ils sont par contre des adversaires résolus de la politique menée par la direction de celui-ci.
La "gauche plurielle" se place sur le terrain de "l'économie de marché". Elle n'envisage pas d'autre solution pour lutter contre le chômage que celle, dont la faillite est depuis longtemps évidente, qui consiste à offrir des "incitations matérielles" aux capitalistes pour prétendument créer des emplois. La liste présentée en commun par LO et par la LCR a, au contraire, pour but d'affirmer qu'il existe une autre politique, celle qui consiste à se placer résolument sur le terrain de la défense des intérêts des travailleurs, et à puiser, pour lutter contre le chômage, dans les immenses profits accumulés par la classe capitaliste.
La gauche réformiste est, depuis des décennies, minoritaire dans ce pays, et elle n'a dû ses succès électoraux de 1981, de 1988 et de 1997 qu'aux divisions au sein de la droite. Mais il a par contre longtemps existé, au sein de l'électorat de gauche, une importante fraction radicale, qu'incarnait le Parti Communiste. Celui-ci n'était pas moins réformiste qu'il ne l'est aujourd'hui, car il y a longtemps qu'il a renoncé à la collectivisation des moyens de production et à l'abolition du salariat. Mais, du fait qu'il n'était pas intégré au jeu des partis politiques bourgeois au pouvoir, il apparaissait malgré tout aux yeux d'un grand nombre de travailleurs comme une réelle opposition à la politique des gouvernements qui se sont succédé.
Son soutien à la candidature de Mitterrand en 1974, puis sa participation au gouvernement de 1981 à 1984, suivie d'un soutien de fait sans participation de 1984 à 1986, puis de 1988 à 1993, enfin sa nouvelle participation gouvernementale depuis juin 1997, sans l'avoir complètement effacée, ont brouillé cette image. Quitte à soutenir une politique social-démocrate, bon nombre d'électeurs du PCF ont choisi de voter directement pour le Parti Socialiste, et les plus mécontents se sont abstenus. Le Parti Communiste, qui représentait encore plus de 20 % des suffrages exprimés en 1978, n'obtenait plus que 16,2 % en 1981, et que 11,3 % en 1988, après la première expérience de participation gouvernementale.
Eh bien, ce qui pourrait sortir de mieux des urnes, en juin prochain, c'est un résultat prouvant que le courant de l'électorat de gauche contestataire par rapport à la politique gouvernementale s'est sensiblement renforcé, parce que ce serait le meilleur moyen de redonner confiance dans l'avenir à des milliers de militants de la classe ouvrière. Et l'extrême gauche étant moins présente sur le terrain que les militants du PCF, un vote moins contestataire que celui en faveur de l'extrême gauche, mais contestataire quand même, pourrait se porter sur le PCF.
L'accord LO-LCR n'est-il qu'un accord de façade ?
Après avoir pronostiqué que cet accord ne verrait pas le jour, un certain nombre de journalistes de la grande presse se sont employés à trouver sur tous les sujets des divergences entre Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire, pour essayer de prouver qu'il ne s'agissait que d'un accord de façade, qu'une opération électoraliste.
Des divergences entre LO et la LCR sur l'Europe, il en existe certes un certain nombre. Tout le monde sait, par exemple, que lors du référendum sur le traité de Maastricht la LCR a appelé à voter "non", alors que LO s'est abstenue pour ne pas appeler les travailleurs à mêler dans les urnes leurs bulletins "non" à ceux des électeurs de Pasqua, de de Villiers et de Le Pen qui appelaient aussi à voter "non". Mais le texte adopté en commun en janvier par LO et la LCR, comme celui, réactualisé, qui sera la profession de foi de la liste commune lors des élections de juin prochain, était parfaitement acceptable par les deux organisations, sans que l'une ou l'autre ait quoi que ce soit à renier de ses positions. Et trois mois et demi après la conclusion de cet accord, la preuve que celui-ci pouvait résister à l'usage a été largement apportée, puisqu'Arlette Laguiller et Alain Krivine ont pris la parole côte à côte dans des dizaines de réunions publiques, de conférences de presse, dans plusieurs émissions à la radio ou à la télévision.
La crise yougoslave n'a pas perturbé un seul instant le déroulement de cette campagne car, face aux bombardements de l'Otan, les deux organisations ont adopté des positions convergentes sur l'essentiel. Elles ont condamné sans équivoque les bombardements de l'Otan sur la Yougoslavie, comme "l'épuration ethnique" menée par Milosevic au Kosovo, et se sont affirmées pour le droit du Kosovo à disposer de lui-même, dans le respect des droits de ses composantes nationales.
Cela dit, le fait que l'accord LO-LCR ait fonctionné sans problèmes ne garantit pas que nous obtiendrons le résultat que nous souhaitons. L'évolution de la situation politique (par exemple, dans les Balkans) peut modifier considérablement, dans un sens ou dans l'autre, l'état d'esprit des travailleurs. Il est également difficile de prévoir quel rôle joueront les abstentions dans des élections qui apparaissent à beaucoup comme dépourvues d'enjeux directs. Mais pour des militants, l'essentiel est de faire ce qu'il faut pour tirer tout le parti possible d'une situation donnée.
Quant aux spéculations auxquelles se livrent dans la grande presse les "spécialistes" de l'extrême gauche sur ce qui se passera après le scrutin du 13 juin, la réponse est simple.
Les divergences qui séparent LO et la LCR n'auront pas disparu comme par enchantement. Ces divergences existent depuis des décennies, et s'il suffisait d'en discuter pour les résoudre, on le saurait depuis longtemps, car ce ne sont pas les discussions qui ont manqué. Mais ces divergences ne nous ont pas empêchés d'oeuvrer en commun dans cette campagne électorale, comme dans d'autres occasions dans le passé.
Ces désaccords ne portent pas seulement sur la manière de bâtir le parti révolutionnaire que les uns comme les autres veulent construire, mais sur la nature même de ce parti. Pour la LCR, ce parti doit être un parti "100 % à gauche". Il doit rassembler tous les acteurs de ce qu'elle appelle le "mouvement social", en mettant sur le même plan le soutien aux sans-papiers, aux sans-logis, aux chômeurs, la défense des homosexuels, les mouvements qui se situent sur le terrain de l'anti-racisme ou de l'opposition à Le Pen... et les luttes des travailleurs. En outre, ce slogan de "100 % à gauche" est on ne peut plus vague, car il ne se rattache à aucun critère de classe. Il met le parti à construire sur le même terrain, "la gauche", que les partis réformistes, que certains partis bourgeois qui ne se réclament même pas du socialisme.
Le souhait émis par la majorité de la LCR, lors du dernier congrès de cette organisation, de changer de nom pour en ôter le mot "communiste" va dans le même sens d'un renoncement aux références explicites au léninisme et au trotskisme, pour ne se revendiquer que d'un "socialisme" dont peuvent aussi bien se réclamer les réformistes ouverts.
En ce qui nous concerne, nous pensons que si le parti à construire devra évidemment intervenir dans tous les domaines où interviennent les militants des mouvements "sociétaux", et faire une place dans ses rangs à ces militants, il ne pourra absolument pas, sous peine d'errements opportunistes, ne pas se placer sur le terrain du marxisme révolutionnaire, ne pas continuer à considérer le prolétariat comme tous les socialistes et communistes révolutionnaires l'ont fait dans le passé comme la seule classe sociale susceptible de détruire la société capitaliste pour la reconstruire sur d'autres bases sociales.
Bien évidemment, si nous rencontrons des succès dans la construction d'un parti fondé sur un programme marxiste révolutionnaire, nous pourrons non seulement réussir à construire un tel parti, mais nous pourrons aussi intégrer toutes les autres activités qui sont celles d'un parti révolutionnaire, qu'il s'agisse des interventions dans les quartiers populaires, auprès de la jeunesse défavorisée, des chômeurs, de la jeunesse intellectuelle, etc. Mais nous pensons qu'il ne faut pas se tromper dans la hiérarchie des tâches, qu'il faut mettre l'accent sur les problèmes concernant les travailleurs et sur lesquels ceux-ci peuvent avoir une action collective, et que l'intervention dans les mouvements "sociétaux" ne doit pas être le centre de gravité de notre activité, ni une façon d'abandonner notre programme.
C'est le choix inverse qu'a fait la LCR, et nous pensons que c'est une erreur, et notre principale divergence.
Mais nos désaccords ne doivent pas et ne peuvent pas nous empêcher de collaborer, la LCR et nous, si nous le voulons vraiment. En effet, lorsque nous nous sommes mis d'accord pour présenter une liste commune aux élections européennes, nous n'avons pas abandonné nos différences. Nous avons adopté une plate-forme reprenant ce que nous avons en commun, en écartant de la campagne ce qui nous sépare.
Nous pouvons, au lendemain des élections européennes, continuer dans la même voie, maintenir des contacts réguliers et fréquents, faire ensemble ce qu'il serait pour nos deux courants possible et utile de faire. Il ne s'agira pas d'essayer de se convaincre mutuellement de faire la politique de l'autre, car nous savons que nous n'y arriverons pas. Nos divergences sont anciennes, et ce ne sont que la vie, des succès marquants des uns ou des autres, qui permettront de les trancher. Mais nous pouvons confronter régulièrement, mutuellement, nos expériences, nos politiques, nos réussites comme nos échecs, et tirer chacun profit de la critique de l'autre. Nous pourrons ainsi vérifier concrètement quelle est la politique qui réussit et celle qui ne réussit pas, à court terme comme sur une longue période, et avoir ainsi l'occasion de vérifier si nos divergences sont d'ordre tactique, stratégique, ou bien plus profondes.
Bien évidemment, ce que nous pouvons attendre d'une telle attitude ne dépendra pas que de la bonne volonté de chacun, mais aussi de la situation politique et sociale, le fait de savoir si l'influence de l'extrême gauche reste ce qu'elle est, ou si au contraire un véritable courant militant de forces nouvelles se tourne vers elle, et les résultats du 13 juin constitueront un élément d'appréciation de cette situation.
Mais en tout état de cause, si nos relations avec la LCR ont été plus resserrées à certaines périodes qu'à d'autres, nous avons toujours considéré cette organisation comme un partenaire privilégié, ce qu'attestent la place que nous lui avons toujours faite à notre fête, les débats réguliers qui marquaient notre volonté de confronter nos politiques. Et il n'y a évidemment aucune raison pour que cela change au soir du 13 juin !