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Les États-Unis prétendent riposter aux terroristes, mais c'est contre les peuples qu'ils préparent des représailles
Au moment où nous écrivons, les dirigeants des États-Unis restent discrets sur la nature de l'opération dite "Justice sans limite", rebaptisée "Liberté immuable". Cette discrétion et son prétexte militaire dissimulent probablement aussi des calculs et des hésitations quant aux cibles choisies, bien qu'il soit à peu près certain que l'Afghanistan en soit une sous une forme ou sous une autre. Le flot des réfugiés quittant leur pays, la famine, témoignent qu'avant même qu'une action militaire soit engagée, le peuple afghan est déjà victime.
Les dirigeants américains tiennent en tout cas à donner à leur déploiement militaire un aspect spectaculaire. Une flotte américano-britannique qui se veut impressionnante s'achemine vers le Golfe arabo-persique et la mer d'Oman. Les communiqués officiels américains insistent lourdement sur le renforcement des effectifs des bases américaines déjà nombreux dans la région, de la Turquie aux Emirats arabes unis, en passant par l'Arabie saoudite. La presse fait état de la présence de missions militaires américaines au voisinage même de l'Afghanistan, au Pakistan ou au Tadjikistan ex-soviétique. D'autres informations évoquent des préparatifs en direction d'autres cibles, comme l'Irak ou la Somalie. Tous ces préparatifs militaires sont accompagnés d'une activité diplomatique visant à assurer aux États-Unis le soutien, ou en tout cas la caution, non seulement des autres puissances impérialistes, notamment européennes, mais aussi de la Russie et des États d'Asie centrale dans la sphère d'influence de cette dernière. Des contacts sont noués jusqu'à et y compris avec des États qui, comme l'Iran et dans une certaine mesure la Syrie, étaient traités jusqu'à présent en adversaires. La Libye de Khadafi elle-même fait des gestes en direction des États-Unis. Tout cela annonce plus qu'une réorientation de la diplomatie américaine à l'égard d'un certain nombre de régimes jusque-là mis en quarantaine, la rentrée dans le rang de ceux-ci et la reconnaissance des États-Unis comme gardiens de l'ordre international.
Mais les cliquetis d'armes et les bruits de bottes, pas plus que les pressions diplomatiques, ne répondent aux problèmes politiques posés par les attentats de New York et ceux qui risquent d'être soulevés par une nouvelle aventure guerrière conduite par les États-Unis.
George Bush et les dirigeants des États-Unis essaient de canaliser la légitime émotion de leur opinion publique frappée par l'horreur des attentats-suicides contre le World Trade Center, pour développer un climat d'union sacrée autour de l'équipe dirigeante américaine et de sa politique. "L'Amérique est en guerre", "une riposte dévastatrice et prolongée", les expressions de ce genre reviennent comme un leitmotiv dans la bouche du président américain.
Mais contre qui, cette guerre ? Contre l'Afghanistan ? Mais, outre ce qu'un massacre dans la population afghane qui n'est pour rien dans les attentats contre le World Trade Center aurait d'odieux, ce n'est pas seulement inefficace du point de vue de l'objectif affiché mais risque de se révéler nuisible aux intérêts de l'impérialisme américain en déstabilisant encore plus une région qui a une importance stratégique considérable. L'impérialisme américain est en quelque sorte rattrapé par sa propre politique.
Le système de domination impérialiste
Le système impérialiste protège, sécrète et perpétue des inégalités non seulement entre les deux classes sociales fondamentales de la société mais aussi entre pays impérialistes et pays sous-développés. La stratégie militaire et la diplomatie des grandes puissances impérialistes sont destinées, en dernier ressort, à préserver la domination économique sur le monde de leurs grands groupes industriels et financiers. L'impérialisme américain ne diffère de ce point de vue des impérialismes de seconde zone, comme la Grande-Bretagne, la France, etc., que par ses moyens économiques et militaires supérieurs et par sa position de gendarme de l'ordre impérialiste à l'échelle du monde.
Mais gouverner au profit de groupes impérialistes, c'est gouverner contre les peuples. Les régimes sur lesquels s'appuie l'impérialisme américain, comme à une moindre échelle les impérialismes anglais et français, dans les pays arriérés sont en règle générale des régimes oppressifs, anti-populaires.
Dans les pays sous-développés, les régimes les plus serviles à l'égard des groupes impérialistes et, par là même, les alliés les plus fidèles des États-Unis sont précisément ceux qui, faute de soutien de leur propre population, ont absolument besoin de leur appui. La subordination envers les États-Unis repose sur la solide conviction des tenants de ces régimes que leur survie face à leur propre population est liée au soutien des États-Unis. Les dirigeants des grandes puissances impérialistes ont maintes fois fait l'expérience de régimes qui, en acquérant une certaine base populaire, prennent leurs distances.
Si les États-Unis tiennent tant à l'alliance avec Israël, c'est qu'il est à peu près le seul régime au Moyen-Orient dont la politique pro-américaine trouve un large consensus dans la population. La politique sioniste des dirigeants d'Israël se conjugue avec la politique réactionnaire des États arabes de la région pour forger dans la population d'Israël la conviction que, hors de l'alliance américaine, il n'y a pas de survie pour un État hébreu.
Mais cette politique, qui repose sur la violence contre le peuple palestinien, est en même temps un piège pour le peuple d'Israël lui-même. La politique de répression de l'État d'Israël a suscité une génération de jeunes prêts à se sacrifier dans des attentats-suicides. Ces actions sont condamnables parce qu'aveugles mais c'est l'arme des pauvres et des faibles, contre laquelle les chars et les hélicoptères ne peuvent pas faire grand-chose. Cette politique que le gouvernement d'Israël mène avec le soutien matériel et politique des États-Unis prépare pour la jeunesse israélienne un avenir aussi bouché que l'est déjà celui de la jeunesse palestinienne.
A cultiver la violence...
Sur la majeure partie pauvre de la planète, l'appui des États-Unis aux régimes et aux forces politiques les plus réactionnaires a été une constante de leur politique.
Au temps de l'Union soviétique et de la "guerre froide", les dirigeants américains justifiaient leur politique par la préoccupation de contenir l'influence soviétique.
En premier lieu, sur les limites des zones d'influence soviétique et occidentale. Les deux guerres livrées par les États-Unis pour empêcher le risque d'une modification des zones d'influence, l'une en Corée, l'autre au Vietnam, allaient de pair avec la mise en place de dictatures et un soutien indéfectible à ces dernières.
Il a suffi que l'Inde flirte, à l'époque de la Conférence de Bandung, avec une attitude neutraliste pour que les États-Unis renforcent leur soutien aux dictatures militaires successives du Pakistan, notamment à celle du général Zia qui, de son côté, menait une politique favorisant le fondamentalisme religieux.
L'impératif d'entourer l'Union soviétique de régimes fidèles à l'alliance américaine motive depuis plusieurs décennies le soutien tout aussi indéfectible au régime turc, quel que soit son caractère dictatorial, militaire et policier, quitte à sacrifier à cette alliance le droit du peuple kurde à une existence nationale, comme d'ailleurs bien d'autres droits et libertés démocratiques pour le peuple turc lui-même.
C'est pour la même raison que les États-Unis avaient soutenu le régime du chah en Iran, y compris et surtout contre son propre peuple. La CIA a joué un rôle majeur, au côté des services secrets britanniques, dans le coup d'État pour renverser le Premier ministre Mossadegh qui avait osé, en 1951, nationaliser le pétrole iranien. Mais les États-Unis ont eu beau protéger le chah et faire de son armée la principale force militaire de la région, il a été emporté par la révolte qui porta au pouvoir l'islamiste Khomeiny. Pour contrer Khomeiny, les États-Unis ont alors appuyé Saddam Hussein, le dictateur d'Irak. Dans la longue guerre meurtrière qui a opposé l'Irak à l'Iran de 1980 à 1988, Saddam Hussein était le chevalier blanc des puissances occidentales. La guerre fit plusieurs centaines de milliers de morts. On sait ce qu'il en est advenu : Saddam croyait pouvoir outrepasser le rôle que lui avaient assigné les grandes puissances et il a avalé le Koweit, mini-État détaché artificiellement des ensembles étatiques plus grands de la région de l'Irak en particulier dans l'intérêt des grandes compagnies pétrolières. Pour punir Saddam Hussein, l'allié d'hier devenu ennemi, on a bombardé son peuple. La guerre du Golfe et le blocus économique qui se poursuit depuis, n'ont même pas fait tomber le dictateur, mais ils ont fait mourir, sous les bombes ou de privations, un million et demi d'Irakiens.
Les taliban, de leur côté, n'auraient pas pu s'imposer en Afghanistan sans le soutien du Pakistan, en armes et en encadrement, c'est-à-dire sans l'accord des États-Unis. Les États-Unis espéraient alors que les taliban parviendraient à mettre fin à la situation d'anarchie armée, consécutive à la retraite des troupes soviétiques. Et ils ne furent pas fâchés à l'idée que le prosélytisme des intégristes afghans suscite des courants islamistes dans les républiques d'Asie centrale issues de l'Union soviétique.
Deux autres zones stratégiquement importantes pour les États-Unis ont eu à subir les conséquences de cette politique : l'Amérique latine et le Moyen-Orient.
En Amérique latine, faut-il rappeler la longue liste des dictateurs militaires soutenus par les États-Unis, la participation de la CIA au renversement du pouvoir d'Arbenz au Guatemala en 1954, l'intervention militaire contre une insurrection populaire à Saint-Domingue en 1964, à Grenade pour renverser un gouvernement considéré trop progressiste en 1983, à Panama avec le prétexte d'arrêter Noriega, ancien agent pourtant de la CIA mais trop impliqué dans le trafic de la drogue et, surtout, coupable de démagogie anti-américaine. Noriega a été arrêté, mais l'intervention fit plusieurs milliers de victimes. Faut-il rappeler l'appui au renversement d'Allende par Pinochet en 1973 et aux massacres qui s'en suivirent, le soutien accordé aux groupes para-militaires d'extrême droite au Salvador et au Guatemala ou aux "contras" contre le régime sandiniste au Nicaragua ?
Au-delà même de ces zones stratégiques, faut-il rappeler le sanglant coup d'État militaire en Indonésie en 1965 pour renverser le pouvoir de Soekarno, suspecté de "neutralisme", et le nombre incalculable de victimes un million, peut-être plus en particulier parmi les paysans pauvres qualifiés de rouges ?
Même l'Afrique continent où l'impérialisme américain a laissé le rôle de gendarme aux anciennes puissances coloniales, la France et la Grande-Bretagne pour l'essentiel porte encore aujourd'hui les stigmates du jeu politique américain. Pendant la guerre anticoloniale en Angola et après, pour contrer l'influence du MPLA, suspecté d'être favorable à l'Union soviétique, les États-Unis ont financé et armé l'UNITA. Plus d'un quart de siècle après s'être débarrassée du pouvoir colonial portugais, l'Angola n'est toujours pas sortie d'une guerre civile sanglante, opposant le gouvernement central à la guérilla de l'UNITA. Et si l'armée américaine ne peut guère se vanter de son intervention en Somalie, cette intervention a bien eu lieu.
Le pilier saoudien
Au Moyen-Orient, si c'est Israël qui est la pièce maîtresse du système d'alliances des États-Unis, il n'est pas le seul. L'impérialisme américain a hérité de l'impérialisme britannique et français une situation où les peuples arabes ont été morcelés entre une multitude d'États offrant la possibilité de jouer sur leurs rivalités en s'appuyant sur les plus réactionnaires contre ceux qui étaient tentés de prendre un peu d'autonomie politique ou économique.
L'Arabie saoudite, avec son régime sans doute le plus réactionnaire d'une région qui en compte quelques autres, s'est imposée comme le principal défenseur hors Israël des intérêts des États-Unis en général et de leurs trusts pétroliers en particulier.
Et il n'est nullement paradoxal que l'argent saoudien ait joué un rôle majeur dans le financement des groupes islamistes, non seulement dans la région mais bien au-delà, jusqu'au GIA algérien ou au groupe Abou Sayaf aux Philippines.
L'Arabie saoudite a pu d'autant plus facilement financer des groupes islamistes que, pendant longtemps, les États-Unis comme la Grande-Bretagne, également impliquée dans la région, voyaient dans les forces islamistes des contre-feux au nationalisme arabe montant, symbolisé pendant un temps par l'Egypte de Nasser et puis, dans une certaine mesure, par la Syrie et l'Irak.
On ne manie pas ces forces réactionnaires sans qu'il y ait des chocs en retour.
En dehors de l'Arabie saoudite et de son régime intégriste wahhabite, les forces islamistes sont restées pendant longtemps marginales, se limitant pour l'essentiel aux Frères musulmans égyptiens dont on sait qu'ils ont été aidés, au moins à leurs débuts, par les agents britanniques en Egypte.
Et, paradoxalement, c'est précisément le cours réactionnaire des choses à l'échelle du monde, disons depuis plus d'un quart de siècle, qui a joué un tour à la politique de l'impérialisme américain. Ce cours réactionnaire des choses s'est concrétisé par un recul général des forces qui se revendiquaient bien plus à tort qu'à raison, mais c'est une autre question du socialisme ou du communisme, et même des forces qui se voulaient "nationalistes", "progressistes" ou "tiers-mondistes". Toutes ces forces s'alimentaient en dernier ressort des mécontentements, des colères, des frustrations des peuples opprimés par l'impérialisme.
L'anti-impérialisme déclaré de ces forces multiples se limitait surtout aux discours. Mais il faut se souvenir de l'énorme popularité que valut à Nasser un geste comme la nationalisation du canal de Suez. Nasser et surtout son successeur Sadate finirent par rentrer dans le rang. Mais les causes qui firent leur succès n'ont pas disparu. Au contraire.
La politique de spoliation et de répression d'Israël vis-à-vis du peuple palestinien s'est aggravée avec la durée, avec la politique systématique d'établissement de colonies israéliennes en Palestine, avec la guerre menée lors des Intifadas par une armée moderne contre les cailloux, les bâtons et les bombes primitives d'un peuple désarmé. Qu'il soit dit en passant qu'à son échelle, Israël a mené une politique similaire à celle des États-Unis et a cru, un moment, pouvoir se protéger contre le nationalisme d'Arafat en laissant ses services secrets appuyer les intégristes du Hamas.
Mais les créatures échappent aujourd'hui aux créateurs. Le Hamas canalise à son profit la perte de confiance croissante des masses palestiniennes à l'égard d'Arafat. Les intégristes du Soudan et les taliban afghans se sont retournés contre leurs anciens protecteurs. Le recul du nationalisme "socialisant" dans les pays arabes a laissé le champ libre aux forces politiques islamistes pour s'adonner à une certaine démagogie anti-américaine.
Faute que d'autres perspectives soient offertes aux masses déshéritées de la région, l'intégrisme religieux, jusqu'à ses variantes terroristes, est devenu le vecteur par lequel s'expriment leur désespoir et leur haine de la situation qui leur est faite.
Vers quelle autre aventure guerrière ?
Si les États-Unis hésitent aujourd'hui à bombarder l'Afghanistan encore qu'ils le feront peut-être quand même , ce n'est certainement pas par compassion pour le peuple afghan, ni même en raison de l'inefficacité d'un tel bombardement pour enrayer le terrorisme islamiste. Mais ils ont bien des raisons de craindre la déstabilisation de toute la région, en particulier de deux pays essentiels pour eux : le Pakistan et l'Arabie saoudite.
C'est avec l'accord des États-Unis que l'ISI, le service secret pakistanais, a aidé les taliban à s'emparer du pouvoir. Par ailleurs, tout en étant financé et armé par les États-Unis, le régime militaire pakistanais a développé une démagogie intégriste et a protégé les organisations qui l'incarnaient pour trouver un certain soutien populaire sur une base réactionnaire. Et voilà qu'aujourd'hui, les États-Unis contraignent le régime militaire pakistanais à s'aligner ouvertement et publiquement derrière eux. Cela met évidemment le régime militaire dans une position difficile. La situation est lourde de danger de déstabilisation du Pakistan, qui pourrait venir d'émeutes populaires plus ou moins encadrées par des mouvements islamistes ou de l'éclatement de l'armée elle-même, une partie de sa hiérarchie choisissant le camp islamiste, par conviction ou par démagogie.
Et puis, il y a l'Arabie saoudite, clé de voûte avec Israël du système d'alliances américain au Moyen-Orient. Bien avant la pression des événements actuels, ce pays était perclus de contradictions qui, pour être étouffées, n'en sont pas moins explosives. Voilà un pays où le régime moyenâgeux repose sur un État ultramoderne, un régime où règne la charia et dont la phraséologie intégriste n'a rien à envier à celle des taliban en Afghanistan. A ceci près que l'Arabie saoudite n'est pas l'Afghanistan dont le régime moyenâgeux reflète en un certain sens l'arriération sociale. L'Arabie saoudite comme d'ailleurs les Emirats, ce sont aussi des quartiers ultramodernes, des banques, une richesse phénoménale pour une petite couche dirigeante et des retombées pour de grandes familles de marchands, dont celle de Ben Laden, enrichie dans les travaux publics et liée à la famille royale, est un des prototypes. La bourgeoisie et même la petite bourgeoisie de ce pays sont assez riches pour envoyer leurs enfants faire des études aux États-Unis, y compris dans les universités les plus pointues. Ce n'est peut-être pas pour rien que la mouvance islamiste a trouvé des cadres, jusqu'à Ben Laden lui-même, dans ce pays. Ce n'est pas pour rien que c'est dans ce pays que les groupes terroristes ont trouvé des gens non seulement prêts à se livrer à des attentats-suicides mais ayant aussi le niveau technique pour les préparer efficacement.
Mais qui peut mesurer l'influence de l'islamisme, y compris dans ce qu'il a d'opposé à la politique des États-Unis aujourd'hui, dans l'armée saoudienne elle-même ?
Tout en s'alignant derrière les États-Unis, le régime saoudien, par crainte de réactions à l'intérieur même du pays, est réticent à abandonner sa base "Prince-Sultan", principal aéroport militaire situé à proximité de Riyad, à l'aviation américaine. L'anecdote est significative : l'aéroport en question a été construit par la famille de Ben Laden...
Une déstabilisation du régime d'Arabie saoudite aurait des conséquences incalculables pour les États-Unis tant en raison de la situation géopolitique de ce pays qu'en raison de ses ressources pétrolières considérables.
Les États-Unis ont évidemment les moyens militaires et, dans le contexte actuel, les moyens humains c'est-à-dire un certain consensus dans leur propre population pour éliminer Ben Laden et peut-être son réseau terroriste. Mais s'il suffit de quelques hommes déterminés ou fanatisés pour perpétrer des attentats ponctuels (surtout si ces hommes bénéficient des moyens matériels d'un richissime homme d'affaires), le terrorisme lui-même s'enracine dans une situation bien plus générale. La politique de l'impérialisme américain suscite une haine croissante dans un grand nombre de pays pillés ou opprimés. Contrairement aux sornettes des "souverainistes", cela ne tient pas à on ne sait quel caractère national américain, derrière lequel il ne serait pas souhaitable que la France s'aligne, cela tient à la domination impérialiste sur le monde. Et si cette haine prend un caractère anti-américain, c'est en raison du rôle primordial mais non exclusif des États-Unis dans la domination.
Il importe peu de savoir quels sont les liens du groupe Ben Laden avec le mouvement palestinien. C'est parce que l'État d'Israël, avec l'appui des États-Unis, a poussé tout un peuple au désespoir qu'il a fait surgir dans ses rangs des hommes prêts à mourir avec une bombe sur le corps. Depuis un an, depuis que la visite provocatrice de Sharon sur l'esplanade des Mosquées a déclenché une nouvelle Intifada, les États-Unis ont laissé les mains entièrement libres à l'État d'Israël pour une politique de répression sauvage. Ils ont laissé l'homme d'extrême droite Sharon arriver au pouvoir et doubler la répression d'une politique marquée par le maintien à tout prix des colonies, par le refus ouvert de toute concession aux Palestiniens, même celles consacrées par des accords internationaux pourtant favorables à Israël. C'était fermer toute perspective devant la révolte palestinienne. Profitant de l'émotion suscitée par les attentats de New York, les troupes israéliennes ont donné libre cours à la répression et, dans une déclaration destinée à être provocante, Sharon a assimilé Arafat à Ben Laden.
L'attitude de leur protégé a fini par gêner les dirigeants américains dans leurs efforts diplomatiques pour s'associer les régimes arabes. C'est sous leur pression que Sharon a fini par accepter une rencontre entre Arafat et Shimon Peres.
Les commentateurs ont voulu y voir l'amorce d'un changement de la politique américaine envers les Palestiniens. Mais la poignée de mains échangée entre Arafat et Shimon Peres ne compense certainement pas la brutalité de la répression israélienne. Il ne suffit certainement pas de redonner ne serait-ce que des illusions à un peuple spolié et humilié.
Les groupes terroristes internationaux s'appuient en dernier ressort sur ce désespoir et sur cette haine accumulés. La voie dans laquelle ces groupes terroristes canalisent ce désespoir et cette haine est une voie abjecte, réactionnaire et surtout stérile. Les attentats terroristes contre Manhattan n'ont en rien affaibli la domination impérialiste sur le monde : ils ont soudé l'opinion publique américaine derrière ses dirigeants, pourtant principaux responsables du terrorisme, sans même parler des réactions de rejet envers les Arabes qui facilitent les agissements de crapules racistes d'extrême droite.
A en juger par ce qu'en rapportent les médias, il s'est trouvé aussi bien en Palestine qu'au Pakistan des gens pour se réjouir de l'écroulement des tours du World Trade Center. Mais, outre le fait que ceux qui sont morts dans ces tours, dans les avions-suicides ou même au Pentagone, ne sont pas les responsables de la politique de l'impérialisme américain, ce n'est pas une vengeance terroriste qui mettra fin à l'exploitation et à l'oppression dont sont victimes des centaines de millions d'hommes et de femmes sur cette planète. Et, en matière de terrorisme, les plus féroces et les mieux équipés des groupes terroristes ne pourront rivaliser avec le terrorisme d'État, tel que l'ont pratiqué les États-Unis, de Hiroshima à Bagdad, en passant par le Vietnam et en attendant peut-être l'Afghanistan, ou la France, à Madagascar, au Vietnam ou en Algérie.
Conséquence de la domination impérialiste sur le monde, le terrorisme islamiste est en même temps une voie de garage réactionnaire, qui ne permet pas aux peuples d'avancer sur le chemin de leur libération mais au contraire les retarde.
Les dirigeants américains se posent aujourd'hui en défenseurs des libertés, de la démocratie et de la justice contre la barbarie terroriste, en protecteurs de la "way of life" américaine. Même aux États-Unis cette prétention fait abstraction de la grande misère matérielle et morale de nombre de quartiers populaires et de l'interprétation particulière de la notion de liberté et de justice lorsqu'il s'agit de Noirs pauvres. Mais il est vrai qu'une bonne partie de la population américaine, la majorité sans doute, bénéficie d'un niveau de vie et de conditions d'existence enviables pour la majorité de la planète.
Mais dans cette majorité de pays pauvres justement, au Moyen-Orient, en Asie, en Amérique Latine ou en Afrique, comment les États-Unis pourraient-ils passer pour les défenseurs de la démocratie, alors qu'ils protègent des dictatures ? Comment pourraient-ils passer pour les promoteurs d'une "liberté immuable" ou d'une "justice sans limites" auprès de peuples qui gardent les stigmates de massacres perpétrés par les États-Unis ou par les régimes qu'ils protègent ? Et que peut signifier l'"american way of life" aux yeux de ces centaines de millions d'êtres condamnés à une misère sans espoir quand ce n'est pas à la famine ?
Pour la première fois, la haine suscitée par l'impérialisme américain a frappé sur le sol même des États-Unis. Les victimes ne sont cependant pas les responsables. Des milliers de vies ont été détruites sous les décombres du World Trade Center, mais l'impérialisme américain n'a pas été ébranlé. Cela suffit à condamner les méthodes terroristes et à plus forte raison lorsqu'elles sont pratiquées pour des objectifs réactionnaires. Le gouvernement et l'état-major américains eux-mêmes ne se trouvent pas affaiblis par les attentats. Ils spéculent au contraire sur le sentiment d'horreur et d'indignation soulevé, pour tenter de faire oublier la responsabilité de leur politique passée et faire cautionner leur politique à venir. (Et accessoirement, faire passer un budget militaire plus élevé et des subventions supplémentaires à de grands groupes industriels, notamment ceux de l'aéronautique).
L'avenir dira si le climat d'union sacrée autour des dirigeants et de l'état-major américains résistera, aux États-Unis mêmes, à l'action guerrière concrète qui sera choisie. L'opinion publique américaine elle-même, si elle a été légitimement frappée par les attentats et par leur caractère aveugle, ne sera pas pour autant nécessairement disposée à être entraînée dans des aventures guerrières qui ne lui sembleront pas liées au combat contre les groupes terroristes. A infiniment plus forte raison dans les pays pauvres, victimes de l'impérialisme en général et de la politique américaine en particulier.
Dans une tribune publiée récemment par Le Monde, un écrivain de nationalité américaine mais d'origine afghane conclut, à juste raison : "Si jamais l'Occident perpètre un massacre dans ces régions, cela enfantera un milliard d'individus qui n'ont plus rien à perdre."
La diplomatie américaine a beau exhiber le soutien que sa "croisade contre le terrorisme" trouve auprès de la quasi-totalité des régimes en place, fût-ce de façon réticente ou tiède de la part de certains, rien que la gesticulation guerrière a déjà déclenché des réactions populaires, et pas seulement en Afghanistan, au Pakistan ou dans le monde arabe. Des représailles aveugles multiplieront et amplifieront inévitablement ces réactions.
Les actions guerrières préparées par les États-Unis ne mettront pas fin au terrorisme. Elles risquent, au contraire, de susciter de nouvelles vocations. Seule une renaissance du mouvement ouvrier révolutionnaire, seul le renouveau de l'action collective des masses ouvrières pour mettre fin à la domination de la bourgeoisie sur l'économie et de l'impérialisme sur le monde, pourront ouvrir des perspectives devant les classes opprimées et, par là même, mettre fin à la tentation du terrorisme.