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Le projet du « NPA » et nous
13 octobre 2008
Ce qui a amené la LCR à prendre l'initiative d'appeler à la construction d'un « nouveau parti anticapitaliste », ce sont évidemment les résultats électoraux d'Olivier Besancenot aux élections présidentielles de 2002 et 2007.
Que la LCR tente de les capitaliser sur le plan organisationnel est tout à fait justifié, même si les chiffres des résultats électoraux ne constituent pas un bon instrument de mesure de l'influence d'une organisation politique. Mais la démarche de la LCR ne consiste pas à essayer de se renforcer en tant qu'organisation se réclamant du communisme révolutionnaire. Elle annonce qu'elle veut attirer au sein de ce NPA potentiel, sur un programme encore indéterminé, la nébuleuse des associatifs, des syndicalistes plus ou moins critiques par rapport à leurs confédérations, des écologistes de tous genres, etc.
Cette orientation de la LCR s'inscrit dans la continuité de la politique de ce courant. Pour ne pas remonter à un passé plus lointain (où on pourrait trouver bien d'autres exemples), le ralliement à la candidature Juquin, il y a vingt ans, en 1988, s'inscrivait dans la même perspective. Après avoir mis ses moyens et ses militants au service de cette candidature, la LCR avait misé pendant des mois sur les « comités Juquin » « pour aider à l'émergence d'une nouvelle force unitaire et anticapitaliste » (Rouge du 6 juillet 1988). L'itinéraire politique de Juquin, membre du Bureau politique du PCF jusqu'en 1984 (et qui a abouti à son ralliement au Parti socialiste et au soutien d'une éventuelle candidature Fabius à la présidentielle de 2007) n'avait pourtant visiblement rien pour en faire le champion de « l'anticapitalisme »... si le mot voulait désigner la lutte pour le remplacement du système capitaliste par une économie collectiviste.
Dans une interview reprise sur le site internet de la LCR, Alain Krivine déclare d'ailleurs, pour répondre à ceux qui voient dans le projet du NPA une simple manoeuvre de son organisation pour gonfler ses effectifs : « Nous avons toujours eu une pratique unitaire. Jusqu'en 1995, nous n'avons pratiquement jamais fait une campagne en notre nom. Nous avons fait la campagne Juquin en 1988, retirant d'ailleurs ma candidature pour cela. Nous avons été dans la CAP (Convention pour une alternative progressiste, dont l'ex-ministre et ex-communiste Fiterman fut l'un des animateurs - NdR). dans les années quatre-vingt-dix. Nous avons participé à tous les collectifs possibles, en retirant nos candidats, voire notre sigle ».
Mais ce qui a changé depuis le soutien à la candidature Juquin, c'est l'attitude de la LCR par rapport au trotskysme, aux références historiques dont elle se réclamait. Pour Olivier Besancenot, Trotsky c'est le passé, et le révolutionnaire auquel il se réfère le plus volontiers, c'est le tiers-mondiste Che Guevara. Il affirme vouloir « puiser dans les différentes traditions du mouvement ouvrier », en particulier dans celle du mouvement libertaire. On a même pu lire, dans un dossier publié par Rouge en janvier 2000, intitulé « La légende du siècle », des phrases qui n'auraient pas déparé Le livre noir du communisme, telles que « Dès le début, le pouvoir bolchévik a répondu aux grèves ouvrières par la répression : prise d'otages, exécutions par fusillade ou noyade des « meneurs », coupables de défendre les revendications ouvrières et de réclamer des « élections libres » dans les soviets ». Et si l'auteur de ces phrases n'engageait pas forcément la rédaction de Rouge dans son ensemble, celle-ci a tout de même jugé bon de les publier. C'est que, dans leur majorité, les milieux que vise la LCR ne se reconnaissent en rien dans la tradition communiste, sont constitués par des gens dont le radicalisme se situe au niveau d'une vague gauche social-démocrate. Et les militants que la LCR a formés en menant cette politique ne se sentent évidemment pas solidaires de la révolution d'Octobre, des combats passés de la classe ouvrière, quand ils ne professent pas des idées ouvertement réactionnaires comme la « décroissance » ou les revendications de certains écologistes.
Cet abandon du programme trotskyste, déjà réalisé depuis longtemps dans les faits et ouvertement ces dernières années, ne signifie donc pas que la naissance du NPA signifierait la regrettable disparition d'une organisation communiste révolutionnaire, et serait donc un objectif qu'il nous faudrait combattre. Après tout, si la Ligue gagnait son pari, s'il se formait un regroupement de tous ceux qui contestent tel ou tel aspect de la société capitaliste à la gauche d'un Parti socialiste ouvertement au service de l'ordre capitaliste, à la manière de ce que le PSU a pu représenter pendant les années de la guerre d'Algérie et autour de 1968, cela serait plutôt positif pour la vie politique française. Mais ce n'est même pas le but que la LCR se fixe. Et encore faudrait-il qu'elle en ait les moyens.
Le triptyque « nouvelle période, nouveau programme, nouveau parti » dans lequel « dès 1992, la LCR a essayé de penser ses grandes orientations » (Critique communiste d'août 2008) est bien significatif de la démarche en cours. Bien évidemment, le monde n'est pas resté immobile depuis 1938 et l'adoption du programme de fondation de la Quatrième internationale, qui a été écrit dans un contexte donné, marqué par la victoire du fascisme en Allemagne et la marche vers la guerre. Mais avant de considérer l'éclatement de l'URSS comme le point de départ d'une « nouvelle période », il faut se demander de quel point de vue on se place. Notre époque n'est-elle plus celle de « l'agonie du capitalisme » ? La « crise de l'humanité » n'est-elle plus « la crise de la direction révolutionnaire » ? Pour ceux qui ont choisi de se situer sur le terrain de la classe ouvrière, se poser la question à un moment où le monde s'enfonce dans la plus grande crise économique qu'il ait connue depuis 1929 serait tout simplement ridicule, car on ne peut évidemment y répondre que par l'affirmative.
Pour les militants qui se situent dans le camp des travailleurs, c'est à résoudre la crise de la direction révolutionnaire qu'il faut s'atteler, et non à essayer de réunir dans un conglomérat invertébré tout ceux qui aspirent à des changements sociaux, souvent légitimes, mais sans avoir compris ou accepté que la classe ouvrière reste potentiellement la seule force capable de transformer la société dans un sens socialiste. Cela n'implique évidemment pas le rejet du programme communiste, et l'adoption d'un « nouveau programme ». Car il ne suffit pas de proclamer qu'on vit dans une « époque nouvelle » pour en déduire qu'il faut un « programme nouveau », et encore moins pour avoir la capacité de l'élaborer, surtout quand on se propose de le faire avec des gens qui n'ont d'autre expérience qu'une existence groupusculaire, sans prise aucune sur la réalité sociale.
Mais visiblement les promoteurs du NPA ne tiennent pas à définir ce que sera le programme de leur futur parti. Déjà, en ce qui concerne les nouveaux membres de la LCR, Alain Krivine, dans l'interview précédemment citée, reconnaît qu'ils « sont très révoltés et peu politisés » et cite même le cas d'un jeune demandant « Mais c'est qui, ce Marx dont tout le monde parle ? ». Quant aux gens susceptibles d'adhérer au NPA, il constate qu'en ce qui concerne « la participation gouvernementale, ils ne sont ni pour ni contre », et dit que « le problème, cela va être la formation politique ». Mais cela ne l'empêche pas d'affirmer dans la foulée : « Nous ne craignons pas d'avoir une opposition lorsque nous ferons adopter le programme (...) Ce qui nous posera problème, éventuellement, ce ne sont pas les gauchistes qui voudraient nous envahir mais les glissements droitiers de gens peu politisés », pour conclure « Mais il suffira de s'expliquer car ce ne sont pas des groupes organisés ». Ces propos ne sont pas le résultat d'un optimisme béat ou d'une naïveté, difficilement imaginables chez un militant aussi aguerri. Ils traduisent simplement le fait que la question du « nouveau programme » n'a aucun intérêt en fait pour les promoteurs du NPA et n'est posée que pour justifier l'abandon de l'ancien.
En réalité, l'abus de l'adjectif « nouveau » par ceux qui défendent l'idée de la nécessité d'un « nouveau parti anticapitaliste » n'est là que pour justifier cet abandon des références programmatiques du mouvement révolutionnaire. Bien sûr, une partie du public auquel nous nous adressons est sensible à ces discours en faveur d'un rassemblement unitaire (« l'unité » est une valeur d'autant plus porteuse que le niveau de conscience politique est bas, et a servi à justifier bien des trahisons). Ce qui ne signifie pas que ceux qui nous demandent pourquoi nous n'allons pas au NPA soient prêts à y adhérer, et encore moins à y militer. Mais ce qui est sûr, c'est que nous n'avons rien à faire dans un tel projet.