La situation intérieure01/12/20042004Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2004/12/85.png.484x700_q85_box-0%2C0%2C574%2C830_crop_detail.jpg

La situation intérieure

En ce qui concerne la situation sociale, l'année 2004 s'est inscrite dans l'exact prolongement de 2003. "L'offensive générale contre le monde du travail, visant à réduire la part salariale du revenu national, au profit des classes possédantes" dont nous parlions l'an dernier, s'est poursuivie sans discontinuer.

Même pour les travailleurs qui ont la chance d'avoir gardé leur emploi, leur niveau de vie a continué à se dégrader. Dans la grande majorité des entreprises, les augmentations de salaires accordées au personnel sont bien inférieures au taux de l'inflation, tandis que les charges qui pèsent sur les travailleurs du fait de l'augmentation des impôts locaux, de la diminution des remboursements de la Sécurité sociale, de la hausse des cotisations des mutuelles (pour ceux qui ont la chance d'en avoir une), n'ont fait qu'augmenter. Le résultat global est une baisse du pouvoir d'achat des travailleurs, d'autant que, de son côté, l'inflation a continué.

Les plans de licenciements, les suppressions d'emplois, continuent à se multiplier, et le chômage à augmenter. Le gouvernement, la gauche, les médias, les confédérations syndicales, font porter aux délocalisations la responsabilité de ces licenciements.

Les délocalisations existent certes, elles sont nées avec l'industrie capitaliste elle-même, d'une région à une autre d'abord, puis d'un pays à l'autre, car les capitalistes, qui parlent tant de l'intérêt national quand il s'agit d'inciter les travailleurs à accepter des sacrifices, sont prêts pour augmenter leurs profits à délocaliser s'ils trouvent de la main-d'oeuvre moins chère ailleurs. Mais encore faut-il que la différence de coûts salariaux soit suffisante pour compenser les frais qu'une telle opération entraîne forcément, que la main-d'oeuvre en question soit suffisamment qualifiée pour accomplir les tâches qu'on lui donnera, que la région ou le pays d'accueil ait des infrastructures suffisantes en matière de transports, d'approvisionnement en matières premières, de fourniture d'énergie, toutes choses qui limitent forcément les possibilités de ces délocalisations.

Ces dernières existaient bien avant le Marché commun, bien avant l'Union européenne, et celles qui ont eu lieu ces dernières années ne se sont pas seulement faites en direction des nouveaux adhérents à l'UE. Elles ne concernent d'ailleurs qu'un faible pourcentage de toutes les suppressions d'emplois, de l'ordre de 5 %.

En réalité, l'accent mis sur ce problème par les hommes politiques de la bourgeoisie n'est qu'une façon de ne pas parler des conséquences de la gestion capitaliste de la société dans son ensemble, et de rejeter la responsabilité du chômage sur les "technocrates de Bruxelles", comme si d'ailleurs les décisions prises par les instances européennes ne l'étaient pas avec l'accord des gouvernements des États membres de l'Union européenne, en particulier les plus puissants.

En revanche, le patronat s'en sert comme un moyen de chantage pour essayer, malheureusement le plus souvent avec succès, de faire accepter par les travailleurs des augmentations de la durée du travail sans augmentation des salaires, voire avec une diminution, comme on en a vu un certain nombre d'exemples au cours de l'année, dont le plus connu a été celui de Bosch Vénissieux.

Face à ce chantage aux délocalisations qu'il fait semblant de déplorer, le gouvernement, loin de s'en prendre aux patrons qui pratiquent ces méthodes que Raffarin qualifia un jour "d'abus de position de force", n'envisage comme solution que la création de "pôles d'activité" où les entreprises bénéficieraient de nouveaux dégrèvements de charges sociales, sous prétexte de les inciter à ne pas délocaliser. Autrement dit le gouvernement s'apprête à faire de nouveaux cadeaux, y compris bien sûr à des entreprises qui n'avaient aucune intention de délocaliser, mais qui n'hésiteront pas à en profiter. Décidément, la seule chose qui change dans la politique gouvernementale, c'est la manière de justifier les cadeaux faits au patronat.

Ce gouvernement n'est pas avare en ce qui concerne la fraction la plus riche de la population. Tous ceux qui emploient du personnel à domicile viennent de se voir offrir à ce titre une nouvelle diminution de leurs impôts, au point que certains pourront ne plus en payer alors que leurs domestiques smicards y seront assujettis.

Pour les classes laborieuses, en revanche, il n'est pas question de cadeaux, bien au contraire. La diminution importante du nombre de mois d'allocation chômage - si elle a finalement épargné les "recalculés" -, de la durée et du montant du versement de l'Allocation spécifique de solidarité, ne manquera pas de diminuer de manière dramatique les ressources de milliers de travailleurs privés d'emploi et d'amputer plus tard les retraites de tous ceux qui se seront retrouvés au RMI plus tôt, puisque les années de RMI ne sont pas validées pour le calcul des retraites. Et la tentative de diminuer brutalement le montant des pensions de réversion des veuves et des veufs, provisoirement suspendue devant les protestations, montre ce que valent les déclarations des ministres qui après le drame de la canicule de 2003 se répandaient en discours sur la solidarité dont la société devait faire preuve vis-à-vis des personnes âgées.

Face à cette offensive continue contre le monde du travail, une riposte d'ensemble de la classe ouvrière serait nécessaire. Mais la plupart des travailleurs ne croient plus à la possibilité de changer leur sort par la lutte, démoralisés qu'ils sont par le chômage et par les années où des gouvernements qui se disaient de gauche ont mené (avec parfois même la participation du Parti communiste) une politique qui préfigurait celle de Chirac et Raffarin. La plus grande partie des luttes auxquelles nous avons assisté ces dernières années ont été des luttes défensives, contre des licenciements massifs ou des fermetures d'entreprises, menées le dos au mur par les travailleurs, dans les conditions où c'est précisément le plus difficile de vaincre.

À cette démoralisation viennent s'ajouter les conséquences de la politique des grandes confédérations syndicales, car s'il ne suffit évidemment pas d'appuyer sur un bouton pour déclencher la grève générale, le rôle d'organisations syndicales réellement soucieuses de défendre les intérêts des travailleurs serait de préparer la riposte d'ensemble nécessaire, par des actions, des mobilisations, permettant à la classe ouvrière de prendre conscience de sa force collective et de ses intérêts communs. Au lieu de cela, les confédérations syndicales, y compris la CGT qui regroupe les travailleurs les plus combatifs, se contentent de journées organisées dans le désordre, le plus souvent catégorielles, sans conviction, dans le seul but d'être admises par le patronat ou le gouvernement à discuter autour du tapis vert. De nombreux militants cégétistes sont d'ailleurs conscients du manque de perspectives que leur offre leur direction, mais sans voir comment sortir de cette situation.

Les directions syndicales n'en sont même plus à mettre en avant des revendications positives : elles s'estiment satisfaites quand les sacrifices imposés à la classe ouvrière sont inférieurs à ce que le gouvernement ou le patronat avait annoncé dans un premier temps. Si la faillite d'un courant d'idée au sein du mouvement ouvrier est manifeste aujourd'hui, c'est bien celle du réformisme !

C'est dans ce contexte qu'il faut analyser les résultats des élections régionales et européennes du printemps 2004. Ils ne nous ont pas surpris. Le texte que nous avons adopté à propos de ces élections lors de notre dernier congrès, lorsque nous avons décidé de présenter des listes communes LO-LCR, disait explicitement "le raisonnement politique nous amène à penser qu'il y a une forte probabilité pour que l'extrême gauche n'obtienne qu'un nombre de suffrages bien inférieur au total des voix LO-LCR de la présidentielle et qui pourrait être même de l'ordre de 3 % des voix pour nos listes communes (notre résultat aux législatives de 2002)".

Comme nous le notions dans ce texte, c'est la droite qui a fait la campagne du Parti socialiste, en menant non seulement une politique qui s'attaquait systématiquement aux intérêts des travailleurs (mais cela, la "gauche plurielle" l'avait fait aussi en son temps), mais en le faisant avec un cynisme et un mépris destinés à flatter la partie la plus réactionnaire de sa propre clientèle électorale. Le scrutin qui a amené l'ensemble des régions françaises (à l'exception de l'Alsace) à passer à gauche était bien moins le résultat d'un retour de confiance vis-à-vis du Parti socialiste, que du rejet de la droite. Et c'est le vote socialiste, bien plus qu'un vote en faveur de courants d'extrême gauche manquant de crédibilité à leurs yeux, qui est apparu à la majorité des électeurs qui se sont rendus aux urnes comme le moyen le plus efficace de sanctionner la droite.

Nous nous sommes donc retrouvés aux élections régionales avec un résultat à peu près équivalent en pourcentage au score obtenu par les listes LO et LCR en 1998, mais la modification de la loi électorale nous a privés de toute possibilité d'avoir des élus. Quant au résultat des élections européennes, il a été de l'ordre des 3 % que nous estimions possible.

Nous avons cependant pu vérifier, à travers les caravanes de cet été, que ces reculs électoraux n'avaient pas laissé de traces profondes dans les milieux populaires, ceux précisément que nous voulons toucher.

Nous avons toujours pensé que nos très relatifs succès aux élections présidentielles de 1995 et de 2002, comme aux régionales de 1998, dépassaient de loin notre propre rayonnement. Loin d'être un accident, les résultats de 2004 reflètent bien plus la réalité de notre propre influence que les précédents. Nous restons un petit groupe, qui a absolument besoin de se développer, de recruter, pour avoir de réelles possibilités de jouer un rôle dans les luttes sociales. Nous avons devant nous deux années sans élections (en dehors du référendum sur la Constitution européenne qui devrait avoir lieu à l'automne 2005) et nous devons en profiter pour axer l'activité de nos camarades les plus jeunes, les seuls qui sont vraiment en situation de pouvoir le faire, sur les tâches de recrutement et de formation.

Former des militants communistes est d'autant plus important que nous vivons une période de recul des idées communistes, parallèlement à une progression des idées de droite.

Quelle que soit l'importance des crises, ou des mini-crises, qui secouent la direction du Front National, et que les médias montent volontiers en épingle, l'influence de celui-ci n'est nullement en recul, comme l'ont montré ses derniers résultats électoraux. Il recrute certes son personnel politique, et recueille une bonne partie de ses voix, dans la fraction la plus réactionnaire de la droite classique, mais une fraction importante de l'électorat populaire, en particulier dans les milieux les plus touchés par la progression de la pauvreté, et qui n'attend plus rien de la gauche, vote pour lui par désespoir.

Parallèlement à cela, l'intégrisme musulman, comme nous le soulignions déjà l'an dernier, poursuit ses activités pour s'implanter dans la population immigrée. L'affaire du port du voile dans les établissements scolaires a montré en outre qu'il bénéficie de la lâche complaisance de tous ceux qui, y compris dans la gauche et dans une fraction de l'extrême gauche, sont prêts à tout tolérer, sous prétexte d'une liberté de conscience ou de religion abstraite, ou par paternalisme vis-à-vis d'immigrés.

Quant à nous, nous ne pouvons être que solidaires de toutes celles qui combattent le port du voile, qu'elles considèrent à juste titre comme un signe de l'oppression de la femme, et qui luttent pour résister à toutes les pressions y compris physiques qu'elles subissent, car il ne s'agit pas seulement de la part des militants de l'islamisme d'une lutte d'idées, mais de violences tant physiques que morales.

Mais, là aussi, nous ne devons pas perdre de vue que pour vaincre dans la lutte contre tout ce fatras d'idées réactionnaires, le plus important est de redonner confiance à la classe ouvrière dans ses forces, dans ses capacités à peser sur les événements. Personne ne peut prévoir quand celle-ci, après tant de coups reçus, entrera en lutte. Mais pour que les combats de l'avenir ne se terminent pas par une nouvelle démoralisation, il est vital qu'elle trouve en son sein les militants dévoués, compétents, qui sachent lui donner les moyens d'aller jusqu'au bout de ses possibilités.

C'est le recrutement et la formation de tels militants qui est et qui restera pour toute une période l'essentiel de notre tâche.

4 octobre 2004

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