- Accueil
- Lutte de Classe n°62
- L'économie capitaliste mondiale (texte de la majorité)
L'économie capitaliste mondiale (texte de la majorité)
L'état des lieux
Le ralentissement économique et le recul de la production industrielle aux États-Unis avec des répercussions inévitables sur l'ensemble de l'économie mondiale font le deuil de toutes les stupidités annonçant une ère nouvelle, sans crise, du développement de l'économie américaine. Même affublée des qualificatifs "nouvelle" ou "moderne", l'économie capitaliste ne peut pas fonctionner sans à-coups plus ou moins graves. Il est d'ailleurs significatif que ce sont précisément les différents secteurs de ladite "nouvelle économie" (télécommunications, internet, fabricants d'ordinateurs et de logiciels, etc.) qui ont été les premiers à entrer dans une crise dite de surproduction tout ce qu'il y a de classique, même si la spéculation a amplifié aussi bien la montée en force de ces secteurs que leur chute actuelle. Le recul spectaculaire en Bourse des actions de ce secteur, le véritable effondrement de leurs valeurs vedettes les actions d'entreprises comme Yahoo ! ou celles de la librairie électronique Amazon.com ont perdu entre 80 % et 90 % de leur prix par rapport à leur cours le plus élevé ne doivent pas occulter en effet que, derrière le krach boursier, il y a un franc recul de la production des ordinateurs et des équipements de communication ; que de grandes entreprises comme Philips ou Siemens et bien d'autres procèdent à des suppressions drastiques d'emplois et que nombre d'entreprises petites et moyennes les "start up" ou "jeunes pousses" chères aux bardes de la "nouvelle économie" disparaissent sans laisser de traces, sinon des déçus voire des dettes.
Durant les années quatre-vingt-dix et surtout dans la deuxième moitié de celles-ci, les perspectives de développement de la téléphonie mobile et, plus généralement, des télécommunications et de l'informatique ont attiré les investissements dans ces secteurs. Nombre d'entreprises anciennes se sont converties à ce type de production, de nouvelles entreprises se sont créées et se sont enrichies. Le marché des téléphones portables, des ordinateurs, de leurs composants électroniques ou de la "net économie" en plein développement, a attiré un volume croissant de capitaux dont une bonne partie s'est investie dans les moyens de production. Les investissements en équipement se sont traduits par des gains de productivité importants dans ce secteur, au point de pousser des économistes complaisants à extrapoler à l'ensemble de l'économie.
Les profits qui s'envolaient ou, pour certaines entreprises, comme Amazon.com, promettaient seulement de s'envoler dans l'avenir ! ont attiré des capitaux à la recherche de purs placements financiers. L'afflux de la demande a fait s'envoler le prix des actions de ces entreprises, bien plus vite même que les profits. Dans le secteur technologique, aux États-Unis, dans la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix, les cours ont progressé presque cinq fois plus vite que les bénéfices, agrandissant de façon fantastique la bulle financière habituelle.
Mais les possibilités productives illimitées ont fini par se heurter au caractère limité du marché. L'économie dite nouvelle n'étant nullement vaccinée contre les vieilles maladies de l'économie capitaliste, les grandes entreprises du secteur se sont acharnées dans leur guerre commerciale, malgré le ralentissement de l'extension du marché, chacune espérant en sortir vainqueur. La crise était inévitable. La bulle financière, alimentée un temps encore par l'endettement croissant du secteur, finit par éclater.
L'aspect le plus spectaculaire de la situation actuelle est constitué par les soubresauts boursiers tout au long de l'année. Des montées et des descentes brutales se succèdent pour ainsi dire jour après jour, le tout cependant autour d'un axe descendant.
L'indice boursier des valeurs technologiques (NASDAQ) est passé entre la mi-octobre 2000 et la mi-octobre 2001 de 3 316 à 1 654, soit une baisse de 50 %. L'indice de l'ensemble de la Bourse de New York (Dow Jones) a également reculé, quoique moins, passant pendant la même période de 10 192 à 9 189, et l'indice français (le CAC 40) de 6 064 à 4 338.
Après avoir créé de la richesse fictive, la spéculation boursière la détruit. Cela signifie assurément l'envol des espoirs d'enrichissement de gogos qui ont misé sur l'informatique, la bio-technologie et autres merveilles de la spéculation boursière qui, pendant un temps, coûtaient certes cher mais rapportaient encore plus gros. Cela ne signifie cependant nullement un appauvrissement de tous les groupes financiers spéculateurs car, à la loterie boursière, on peut gagner en misant sur la baisse, voire en la provoquant. La fonction des crises boursières en économie capitaliste est précisément de faire le nettoyage, de ralentir l'emballement spéculatif des capitaux et leur dispersion et de permettre aux plus puissants de ramasser les mises et de re-centraliser les capitaux.
Ce n'est certes pas la première crise qui affecte les cours de la Bourse depuis le début de leur courbe ascendante à partir de 1983. Rien qu'au cours des dix dernières années, la Bourse a connu au moins six périodes, allant de la guerre du Golfe en 1991 aux attentats du 11 septembre 2001, en passant par la crise asiatique de 1997 ou la faillite du fonds spéculatif LTCM, durant lesquelles les indices boursiers ont connu des variations dépassant les 40 %.
Mais la sphère de la spéculation boursière n'est pas séparée de l'économie productive. L'une et l'autre constituent des facettes différentes d'une même économie capitaliste. Les emballements ou les terreurs des spéculateurs ont inévitablement des répercussions sur l'ensemble de la vie économique.
Le recul actuel du prix des actions en Bourse reflète la récession qui se dessine dans l'économie réelle. Mais il en devient à son tour un facteur aggravant. La Bourse, si elle est un lieu privilégié de spéculation, remplit en même temps un rôle indispensable dans l'économie capitaliste : celui du marché des capitaux qui décide de l'affectation du capital-argent, de sa répartition entre les différents secteurs de l'économie. Et la volatilité considérable de la Bourse, faisant brutalement varier les prix des actions, constitue une entrave à la recherche des capitaux nécessaires aux investissements productifs à un prix pas trop coûteux. L'évolution du marché des biens et des produits vers la saturation est déjà un puissant facteur de ralentissement des investissements. Les soubresauts de la Bourse accentuent cette évolution, malgré la politique de baisse des taux d'intérêt de la banque centrale américaine.
La récession de l'économie américaine s'inscrit en tout cas, d'ores et déjà, dans les chiffres de production de l'industrie. Sur un an, la production industrielle est en baisse de 5,8 %. Le taux d'utilisation des capacités industrielles, qui s'est établi à 75,5 %, est à son niveau le plus bas depuis 1983. Il s'agit de la douzième baisse mensuelle consécutive de la production industrielle. D'après la banque centrale américaine, il faut remonter à la période allant de novembre 1944 à octobre 1945 pour trouver un recul de 12 mois d'affilée (chiffres donnés par le journal Les Echos).
Ce n'est pas seulement la fabrication d'ordinateurs et de semi-conducteurs, et plus généralement ce qui est lié aux secteurs de la haute technologie, qui a plongé bien avant les attentats du 11 septembre. Il en était ainsi de l'industrie aéronautique et du transport aérien eux-mêmes, bien que les attentats soient mis en avant par les patrons de ce secteur, ainsi que par ceux des assurances, pour obtenir des aides et des subventions supplémentaires. L'industrie automobile américaine a également baissé sa production et réduit ses effectifs. Les exportations des États-Unis sont en recul, ainsi que les investissements.
Le ralentissement de l'activité économique des pays industrialisés a entraîné une baisse, plus ou moins brutale, du prix des matières premières.
Au cours des trente dernières années, l'économie américaine a connu trois récessions. Rien ne dit que celle qui vient de commencer sera plus profonde ou plus longue que les précédentes. Les économistes de la bourgeoisie ne sont pas plus fiables lorsqu'ils prédisent un proche redémarrage que lorsqu'ils sombrent dans le catastrophisme.
L'exceptionnelle longueur de la phase d'expansion, commencée aux États Unis en 1991-1992 et qui a pris fin cette année, a alimenté cependant toutes sortes de mythes. Passons sur les plus imbéciles des commentaires, cependant largement propagés, qui annonçaient la fin des crises et des variations cycliques. Il est vrai qu'il y a bien eu un professeur d'économie politique d'une université américaine des plus huppées pour annoncer "la fin de l'histoire" après l'écroulement de l'URSS, sans même sombrer dans le ridicule.
Mais la croissance américaine a alimenté bien d'autres mythes, plus nuancés, sur la "nouvelle économie". Au-delà d'une présentation idyllique de cette croissance, attribuée à cette "révolution technologique" que représenterait la généralisation des ordinateurs et des nouveaux procédés de communication, les milliers de pages noircies autour de la "nouvelle économie" charriaient en général l'idée que cette "révolution technologique" entraînait une augmentation de la productivité et ouvrait devant le capitalisme une nouvelle phase ascendante. C'est cette vision du capitalisme que nous combattons.
Nous nous sommes expliqués dans le texte de congrès de l'année dernière sur la portée limitée de la phase d'expansion de l'économie américaine avant même que cette limite s'inscrive dans la baisse de la courbe de la production industrielle.
En résumé : malgré sa longueur, la phase d'expansion américaine n'avait rien d'exceptionnel, rien en tout cas pour alimenter les discours ambiants sur un nouveau souffle de l'économie capitaliste. Le taux de progression du produit intérieur brut (PIB) américain avec ce que cette notion a, de toute façon, de vague et de dissimulateur de la réalité économique était resté inférieur à celui des années soixante. Et si le taux des investissements productifs, après avoir reculé puis stagné pendant longtemps, s'est mis à croître entre 1992 et 2000, entraînant des gains de productivité, la croissance des taux d'investissement et surtout celle de la productivité se sont limitées pour l'essentiel aux secteurs de la technologie nouvelle, ordinateurs, semi-conducteurs, puces électroniques, réseaux, téléphones mobiles, etc. Et cette croissance de la productivité s'y est exprimée par des baisses de prix importantes (ou, pour ce qui est des ordinateurs, par une puissance accrue pour le même prix). Il n'en a pas été de même dans les autres secteurs de l'économie où les dépenses effectuées en équipement informatique ont certes gonflé les chiffres des dépenses d'investissement, mais guère ceux de la productivité. Or, même aux États-Unis, le secteur des produits de haute technologie ne représente que quelque 8 % de l'activité économique.
Le seul domaine où les années quatre-vingt-dix ont battu à plate couture les années soixante est celui des profits et celui de la progression du cours de la Bourse. Mais c'est précisément le décalage entre la croissance, limitée, dans l'économie productive, et l'emballement de la Bourse qui est une des principales sources de tension aujourd'hui.
Le prétendu "miracle économique américain" entre 1992 et 2000 reposait pour l'essentiel sur deux facteurs.
Le premier qui concerne l'ensemble de l'économie capitaliste mondiale est l'aggravation de l'exploitation de la classe ouvrière. Elle se manifeste par une multitude de biais, allant du recul général de la part des salaires dans le revenu national à la généralisation de la précarité, en passant par la détérioration de la protection sociale et la diminution des différentes formes de salaire indirect ou encore par l'intensification du rythme du travail. Le désengagement de l'État de pans entiers du service public va, de façon plus indirecte, dans le même sens. L'aggravation de l'exploitation est rendue possible par la détérioration du rapport de forces global entre la bourgeoisie capitaliste et la classe ouvrière.
Le deuxième facteur est propre aux États-Unis. Il exprime un autre rapport de forces, cette fois, entre l'impérialisme et les pays sous-développés et, à l'intérieur de ce rapport de forces, entre l'impérialisme américain et les impérialismes concurrents d'Europe ou du Japon. Ce que l'on désigne aujourd'hui par le terme impropre de "mondialisation" est la déréglementation généralisée, la suppression des obstacles devant la circulation et les investissements des capitaux, la privatisation dans les secteurs publics, l'intégration croissante dans le système impérialiste mondial des pays du tiers monde, y compris ceux qui, dans le passé, ont tenté de s'assurer un certain développement économique par le biais de l'étatisme protégé par le monopole du commerce extérieur. Cette "mondialisation" profite, cela va sans dire, avant tout aux plus grands trusts multinationaux qui sont en majorité américains. Par ailleurs, la puissance économique américaine se conjugue avec le rôle du dollar dans le commerce et la finance planétaires pour lui permettre de financer sa croissance avec des capitaux extérieurs.
Même pendant la phase d'expansion, de croissance importante des profits et celle, toute relative, des investissements, seule une partie des capitaux accumulés a été transformée en capital productif.
Malgré le dynamisme de son élargissement pendant quelques années, le marché des ordinateurs et autres téléphones portables n'était pas assez vaste pour absorber les énormes quantités de capital-argent accumulées depuis vingt ans et qui, de krachs boursiers en crises monétaires, de vagues de spéculations immobilières en financements de fusions-acquisitions, étaient sans cesse à la recherche de nouveaux placements. Au contraire, on l'a vu, le principal "succès" de la nouvelle économie, du point de vue capitaliste, a été d'avoir ouvert un nouveau champ à la spéculation boursière, particulièrement prometteur pendant un temps.
Mieux ou pire , pour financer leur développement futur, pour obtenir des licences d'exploitation, aiguillonnées par la concurrence acharnée qu'elles se livrent entre elles, les entreprises du secteur de la télécommunication se sont considérablement endettées. La course aux fusions, résultant de la volonté d'acquérir une "taille mondiale" et surtout des positions de monopole qui allaient avec, faisait de son côté largement appel au crédit et contribuait par là même à accroître l'endettement global de l'économie.
Le mouvement des fusions-acquisitions entre trusts de différentes nationalités, qui avait atteint en 2000 la somme record de 1 270 milliards de dollars, était pour une large part un mouvement spéculatif. Les entreprises ont utilisé leurs capitaux accumulés à se racheter les unes les autres, quand certaines d'entre elles n'ont pas simplement profité de la revalorisation fictive de leurs capitaux, grâce à l'envolée boursière, pour racheter des entreprises plus puissantes. Une des conséquences de la chute de la Bourse a été le ralentissement de ce mouvement.
Sans même parler de cet autre endettement, celui des ménages de la bourgeoisie petite et moyenne que les espoirs de profits boursiers futurs ont incités à consommer au-delà de leurs possibilités réelles du moment. La consommation a été, paraît-il, un des principaux moteurs des années d'expansion aux États-Unis. L'envolée des illusions boursières risque de gripper même ce moteur-là. Il n'est pas dit que les appels au "patriotisme économique" de Bush remplacent les pertes boursières, même si elles sont aussi virtuelles que l'avaient été les gains.
Même à l'heure de la "nouvelle économie", l'accumulation du capital a continué à prendre une forme essentiellement financière, aggravant l'hypertrophie de la sphère financière.
Le capital financier ponctionne, directement ou par l'intermédiaire de l'État et de la dette publique, le capital industriel, "seul mode d'existence du capital où sa fonction ne consiste pas seulement en appropriation mais également en création de plus-value, autrement dit de surproduit" (Marx), créant une couche purement parasitaire de rentiers, une "classe de créanciers de l'État".
Avec l'impérialisme, le parasitisme du capital financier a pris des proportions incomparablement plus grandes.
Lénine considérait comme une des caractéristiques fondamentales de l'impérialisme le fait qu'il implique "une immense accumulation de capital-argent dans un petit nombre de pays" (Lénine : L'Impérialisme) et voyait dans cette accumulation de capital-argent la base du "développement extraordinaire de la classe ou, plus exactement, de la couche des rentiers, c'est-à-dire de gens qui vivent de la tonte des coupons, de gens tout à fait isolés de la participation à une entreprise quelconque, de gens dont l'oisiveté est la profession" (idem). Le gonflement ininterrompu de la sphère financière depuis les années soixante-dix, conséquence du marasme de l'économie capitaliste, en est devenu un facteur aggravant majeur. Non seulement il se nourrit de l'aggravation de l'exploitation de la classe ouvrière, mais il contribue à étouffer le développement économique.
La critique marxiste du capitalisme ne se limite pas à la dénonciation de l'exploitation et de la paupérisation. Le capitalisme s'est développé depuis ses débuts sur cette base ce qui n'a pas empêché Marx de souligner dans le Manifeste communiste le rôle immense qu'a joué, dans sa phase ascendante, la bourgeoisie, cette classe qui ne pouvait "exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux".
Le capitalisme n'a plus la même capacité de "révolutionner" depuis longtemps. Il est devenu un frein du point de vue du développement des forces productives et un facteur de conservation essentiel dans le domaine des rapports sociaux. Bien sûr, les sciences et les techniques n'ont pas cessé de progresser, quoique d'une façon fortement marquée par la prédominance des intérêts privés, par la concurrence, par les brevets, etc. Mais ce ne sont pas les progrès techniques qui donnent à une économie capitaliste de plus en plus parasitaire la capacité de se saisir de ces progrès techniques pour accroître de façon significative les forces productives. De l'utilisation de l'énergie nucléaire à la militarisation de l'espace dès qu'il a commencé à être maîtrisé, nombreuses sont les illustrations de la propension du capitalisme à transformer des inventions majeures non pas en moyens d'accroître les forces productives, mais en moyens de destruction.
Par-delà les variations cycliques, inhérentes à l'organisation capitaliste de l'économie à tous les stades de son développement, c'est le caractère impérialiste, à dominante financière, de l'économie capitaliste, qui constitue un obstacle devant une nouvelle ère d'essor des forces productives.
Quand Lénine ou Trotsky décrivaient l'impérialisme comme l'âge sénile de l'organisation capitaliste de l'économie, ils n'émettaient pas un jugement moral. Ils constataient que cette organisation économique est arrivée au bout du rouleau du point de vue du développement des forces productives.
Ni l'un ni l'autre ne s'attendaient à ce que cet ordre social se survive si longtemps et que "l'âge sénile" soit ô combien plus long que cette jeunesse où, pour reprendre le mot du Manifeste communiste, le capitalisme a accompli des "merveilles".
Trotsky a vécu assez longtemps pour connaître une partie du prix que l'humanité a dû payer pour cette survie avec la grande dépression de 1929, le fascisme et le nazisme, la Seconde Guerre mondiale et, de façon indirecte, la dégénérescence bureaucratique du premier État ouvrier.
Et même les "trente glorieuses", ces trois décennies la moitié à peine, en réalité qui passent aujourd'hui pour l'âge d'or perdu du capitalisme de l'après-guerre, n'avaient en réalité rien de glorieux pour la société. Pas seulement parce que le sort de la classe ouvrière ne s'est amélioré que comparativement à la guerre et ses lendemains immédiats. Mais parce qu'elles ne représentaient nullement cette période d'essor économique que décrivent ses laudateurs, pour qui la croissance du produit intérieur brut équivaut à un accroissement des forces productives, alors que le premier inclut les faux frais de l'économie capitaliste, jusques et y compris les dépenses d'armement, le coût du militarisme, sans même parler des retombées diverses du trafic de la drogue et du crime organisé.
La première période desdites "trente glorieuses" un quart, peut-être même un tiers est cette période de l'après-guerre où la reconstruction de l'appareil industriel détruit a ouvert pendant un certain temps un vaste marché aux capitaux. Même l'admirateur le plus béat de l'économie capitaliste aurait cependant du mal à présenter cette période allant, disons, de 1945 à 1950/1952 comme l'expression d'un "accroissement conséquent des forces productives", alors qu'on ne faisait que reconstituer les forces productives détruites par la guerre impérialiste. La bourgeoisie, notamment celle de l'Europe occidentale, a profité de la désorientation de la classe ouvrière, due aux défaites qui avaient précédé la guerre, à la guerre elle-même et surtout aux trahisons de la social-démocratie et du stalinisme, pour museler les travailleurs et, au nom des nécessités de la reconstruction, pour leur imposer des conditions de vie et de salaire exécrables.
Mais c'est surtout l'étatisme qui a donné au capitalisme une apparence de dynamisme : "En France, en Grande-Bretagne, mais aussi en Allemagne, la dépense publique totale a une incidence de 40 % sur la production... Les dépenses d'intervention économique de l'État ont progressé dans tous les pays industriels" (Pierre Léon, Histoire économique et sociale du monde). C'est l'État qui prit en charge tout ce qui ne rapportait pas un profit immédiat et qui était pourtant nécessaire au fonctionnement de l'économie capitaliste dans son ensemble. C'est l'État qui assura les investissements lourds. Dans le cas de la France, non seulement les ressources énergétiques indispensables (charbon et, au-delà, électricité, gaz, etc.) ont été étatisées, mais aussi toutes les infrastructures des transports, le chemin de fer aussi bien que le réseau routier. C'est encore l'État qui prit en main le développement des infrastructures de l'avenir : le réseau téléphonique puis la mise en place du réseau d'émetteurs pour la télévision, etc.
Les États ont joué un rôle prépondérant non seulement pour préserver les intérêts fondamentaux de la bourgeoisie, mais aussi pour lui assurer son profit dans un nombre limité de secteurs dits rentables, en prenant en charge le reste. Faut-il rappeler d'ailleurs à quel point le secteur nationalisé a servi de vache à lait aux entreprises privées ? Dans le cas de la France, comme d'ailleurs dans bien d'autres pays d'Europe, l'État a eu même la complaisance de prendre en main les banques de dépôt pour assurer aux bourgeois des crédits "désintéressés" et pour leur offrir un large champ d'escroqueries qu'on n'a pas fini de payer.
Au-delà du rôle formidable des subventions, des commandes adressées au privé, l'État a, en quelque sorte, "nationalisé" une bonne partie des frais de production capitaliste, tout en laissant aux capitalistes leurs profits : fonds publics pour la recherche et pour une grande partie des investissements et profits privés pour les propriétaires des entreprises.
Il n'y a pas jusqu'aux "réformes sociales" de l'après-guerre en France ou jusqu'à "l'État-providence" des pays anglo-saxons qui, en venant en aide aux laissés-pour-compte de l'économie capitaliste chômeurs, retraités, malades , n'aient pas bénéficié, aussi, à la classe capitaliste, en maintenant un certain niveau de consommation.
La bourgeoisie a connu une période faste parce que chaque bourgeoisie avait derrière elle son État, et les États impérialistes de seconde zone avaient derrière eux les États-Unis. En outre, si ce sont surtout les États-Unis qui ont profité du fait que le dollar se soit imposé comme l'instrument de paiement et de thésaurisation de l'économie mondiale, la relance du commerce international qui, sans un tel instrument, n'eût guère été possible, a profité, à des degrés divers, à toutes les puissances impérialistes.
Il ne faut pas sous-estimer le rôle de la course aux armements dans le maintien d'un taux de croissance relativement élevé. Les dépenses militaires ont connu, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à l'écroulement de l'Union soviétique, un essor formidable. Et comment mesurer l'incidence sur le niveau du PIB des États-Unis, de la guerre de Corée, de la guerre du Vietnam ou encore de cette "guerre des étoiles" qui n'a pas été, heureusement, militaire mais qui a permis à la NASA de déverser des centaines de milliards de dollars dans l'économie américaine ?
C'est dire aussi que la croissance, pour être relativement durable, n'était que partiellement et faiblement celle des forces productives, même à cette période bénie de l'économie capitaliste. Le militarisme, la course aux armements sont comptabilisés en positif dans les statistiques bourgeoises et ils contribuent à gonfler le taux de croissance du PIB. Mais pour Rosa Luxembourg, Lénine ou Boukharine qui en étaient déjà les témoins, à une autre "belle époque" du capitalisme, celle qui a précédé la Première Guerre mondiale, ils étaient l'expression du pourrissement du capitalisme et pas d'un regain de sa vitalité.
Le fait que, dans un certain nombre de pays la croissance était continue, sans récessions majeures, avait fait dire déjà, à l'époque, à nombre d'économistes, que le capitalisme avait surmonté les crises et qu'une ère nouvelle était ouverte (bien que les États-Unis eux-mêmes aient connu plusieurs récessions pendant cette période).
On sait ce qu'il en est advenu... Les menaces de récession ont été surmontées à coups d'interventions étatiques, financées par des émissions monétaires, ayant pour contrepartie l'inflation, la détérioration des monnaies, des dévaluations, des crises monétaires successives, jusqu'à celle de 1971 qui a fini par emporter le système monétaire international mis en place au lendemain de la guerre.
Les forces productives ne se mesurent pas dans les seuls pays impérialistes mais à l'échelle de l'ensemble de la société. L'accumulation de richesses dans les pays impérialistes a été payée par le maintien du tiers monde dans le sous-développement.
L'évolution de l'économie capitaliste mondiale vers la financiarisation croissante a encore aggravé les choses. Si un nombre limité de pays naguère sous-développés, systématiquement mis au pinacle, ont profité de leur intégration dans le système impérialiste mondial (sans pour autant que leurs classes laborieuses voient leur sort s'améliorer), pour la grande majorité des pays du tiers monde, pour des continents entiers, comme l'Afrique, non seulement l'écart a continué à se creuser mais il s'est même traduit par un appauvrissement dans l'absolu. On ne peut pas sous-estimer en la matière les répercussions sur ces pays de la financiarisation croissante de l'économie.
Même au temps de la domination coloniale, le pillage impérialiste avait parfois comme sous-produit la construction d'un minimum d'infrastructures, ne serait-que pour véhiculer les matières premières vers les usines de transformation occidentales.
Le capital usurier, lui, ne produit même pas nécessairement ces retombées. Combien de pays pauvres sont saignés à blanc pour rembourser avec intérêts les emprunts faits par leurs dictateurs pour des achats d'armes destinées à réprimer leurs propres populations ou pour des travaux de prestige totalement inutiles pour la population ? Le "progrès" du capital financier, en la matière, a été de remplacer les chaînes ou les fouets du travail forcé par les chaînes de l'exploitation usurière qui, pour être invisibles, sont tout autant catastrophiques, sinon plus, pour les populations des pays pauvres.
Les statistiques officielles elles-mêmes reconnaissent pour reprendre les formulations de la Banque mondiale que "le stock de la dette des pays émergents a triplé depuis le début des années quatre-vingt pour atteindre, en 1997, 2 171 milliards de dollars. Le service des intérêts fut, à cette date, de quelque 250 milliards de dollars, soit pratiquement le montant du principal des 15 pays les plus endettés au début des années quatre-vingt".
La grande majorité des pays pauvres de la planète sortent donc de la période dite d'expansion de l'économie capitaliste plus endettés et plus exsangues qu'ils n'y étaient entrés. Ils risquent, au surplus, de payer très cher la récession.
Ce qu'on a appelé la "crise asiatique", en 1997-1998, ne s'est pas transformé en krach boursier généralisé et les spéculateurs, c'est-à-dire avant tout les grandes entreprises des pays impérialistes, en ont été quittes pour quelques frissons glacés. Mais cette amorce de crise, bénigne vue des pays impérialistes, a tout de même sérieusement affecté l'économie de plusieurs pays du Sud-Est asiatique et, pour certains d'entre eux, comme l'Indonésie, elle a repoussé dans la misère plusieurs millions de travailleurs devenus chômeurs.
Même si la récession qui s'amorce aux États-Unis et qui risque de se propager en Europe reste bénigne, elle signifiera la multiplication des fermetures d'usines comme celles de Moulinex ou de Philips. Dans les pays semi-développés mais largement intégrés dans l'économie impérialiste que l'on appelle, par un de ces euphémismes dont est riche le vocabulaire des économistes bourgeois, des "pays émergents" comme le Brésil, l'Argentine, le Mexique ou la Corée du Sud, la récession menace cependant de se transformer en crise et de se traduire par des conséquences catastrophiques pour la population laborieuse. Il suffit que l'économie capitaliste cahote dans les riches pays impérialistes pour que, dans la partie plus pauvre de la planète, des millions de personnes repassent la ligne qui sépare la pauvreté de la misère.
Ce ne sont évidemment pas les hypocrites déclarations sur d'éventuels moratoires sur la dette qui modifieront une situation où la moitié des habitants de la planète, soit trois milliards d'hommes et de femmes, vit avec moins de deux dollars par jour ; où un milliard n'a pas accès à l'eau potable et où près de 800 millions souffrent de la faim. Ce seul fait est un démenti aux affirmations des économistes bourgeois sur la croissance des forces productives de l'humanité.
C'est cette situation que protègent la diplomatie et, le cas échéant, les forces militaires des puissances impérialistes. Voilà le terreau sur lequel poussent aussi bien les guerres ethniques que les conflits entre bandes armées ou que le développement du terrorisme.
Le recours à l'étatisme
Avec la récession qui s'amorce, les dirigeants des puissances impérialistes, même ceux qui se revendiquent du libéralisme le plus débridé, redécouvrent d'autant plus rapidement les avantages du recours à l'étatisme ouvert qu'ils n'ont, en fait, jamais cessé de le cultiver. L'Administration Bush est en train de préparer un vaste plan de relance qui pourrait dépasser 100 milliards de dollars. La presse économique parle d'une quasi-nationalisation de l'industrie aéronautique en difficulté. Ces pseudo-nationalisations ne visent évidemment pas à limiter le capital privé mais, au contraire, à le sauver en nationalisant aujourd'hui les pertes afin de pouvoir préserver les profits privés d'aujourd'hui et de demain.
Le même changement d'attitude se dessine en Europe. Tout en maintenant la thèse officielle de la "stabilité budgétaire", les États de l'Union européenne commencent à "actionner l'arme budgétaire", pour reprendre l'euphémisme d'un quotidien économique. Le gouvernement de gauche en France vient de présenter un mini-plan de relance, mais les gouvernements de droite d'Italie et d'Espagne se préparent à en faire autant. Dans les trois cas, ces plans de relance signifient surtout des incitations à l'investissement sous forme de dégrèvements fiscaux, de réductions d'impôts, qui vont inévitablement dans le sens du déficit budgétaire et du retour à l'inflation.
Malgré les idées dominantes dites libérales ou anti-interventionnistes, cela fait en réalité longtemps que le capital privé ne survit et ne reste profitable, même dans les pays impérialistes qui, pourtant, bénéficient du pillage de toute la planète, que grâce aux béquilles étatiques.
L'introduction de l'euro
L'année sera marquée par l'introduction de l'euro. L'introduction d'une nouvelle monnaie, commune à plusieurs pays européens, est certes un pas en avant de l'Europe capitaliste. Rappelons cependant que trois des quinze pays de l'Union européenne n'y participent pas, ou en tout cas pas encore, dont la Grande-Bretagne, une des principales puissances impérialistes d'Europe. Rappelons aussi que la monnaie repose en dernier ressort sur la souveraineté des États, en situation d'imposer à leurs citoyens une monnaie-papier qui n'a pas de valeur objective. Mais l'existence de l'euro ne repose pas sur l'existence d'un État européen ; elle repose sur une entente contractuelle entre États, à laquelle n'importe lequel de ces États peut mettre fin quand il veut et comme il veut.
Les dirigeants politiques des différentes bourgeoisies européennes se flattent du fait que, grâce à l'euro, l'Europe échappe à la spéculation monétaire à l'intérieur de l'Union européenne et aux conséquences désastreuses pour le commerce intra-européen que cela a pu provoquer dans le passé.
A la différence des États-Unis cependant, où le dollar n'est pas seulement la monnaie unique des différents États, mais où la politique budgétaire est menée par un seul et même État fédéral, l'Europe est dans une situation contradictoire. Il existe bien une banque centrale unique, censée déterminer une politique monétaire à l'échelle de l'Union. Pour préserver l'essentiel de leurs droits d'aider leur propre classe capitaliste, les gouvernements nationaux ont cependant conservé la maîtrise de leur politique budgétaire.
Pour éviter cependant des écarts trop importants entre des politiques budgétaires susceptibles d'entraîner des déficits budgétaires différents, les États se sont mis d'accord dans les traités de Maastricht, d'Amsterdam, etc.,sur un "pacte de stabilité". Ce pacte de stabilité, qui plafonne le déficit budgétaire autorisé, a pu être d'autant plus facilement accepté par tous les États participant à l'Union que leur économie était en croissance relative et que, par ailleurs, ils étaient déterminés pour leur propre compte et pour celui des financiers à limiter l'inflation en imposant à leur classe ouvrière une politique d'austérité.
La question risque cependant de se poser différemment avec la récession et les plans de relance que les différents États d'Europe envisagent les uns après les autres.
Ce que redoutent les institutions européennes, ce n'est pas que les États apportent leur aide à leur bourgeoisie les institutions européennes ne font pas autrement. Mais, suivant le degré de récession dans chaque pays, suivant la répartition entre secteurs économiques différents, les aides étatiques divergeront nécessairement d'un pays à l'autre, et leurs montants aussi. Aucun État n'étant porté à financer le déficit des autres, l'unité européenne risque d'être fortement secouée si la politique de soutien menée par chacun des États, sans concertation avec les autres, engendre des déficits budgétaires différents. Il n'est pas dit que l'euro soit capable de résister aux tensions qui en résulteront, et que certains États ne soient pas tentés de reprendre la maîtrise complète de l'émission de leur monnaie.
Les principaux pays impérialistes européens participant à cette monnaie, notamment l'Allemagne, la France et l'Italie, espéraient que la monnaie commune deviendrait une monnaie de paiement international, ainsi qu'une monnaie de réserve, sinon à l'égal du dollar, du moins susceptible de le concurrencer. Cela arrangerait évidemment les puissances européennes de pouvoir régler leurs factures pétrolières en euros plutôt que d'en passer par le dollar. Cela les arrangerait tout autant que les banques centrales du plus grand nombre de pays tiers conservent leurs réserves en euros à côté, voire à la place, du dollar. Cet espoir a cependant été déçu. L'euro a perdu 23 % de sa valeur par rapport au dollar depuis son intronisation le 1er janvier 1999. Et même l'amorce de la spéculation contre le dollar suite aux attentats n'en a pas rehaussé la parité.
Paradoxalement, il n'est même pas dit que l'euro remplace intégralement celles des devises d'Europe occidentale qui servent déjà aujourd'hui d'instrument de transaction et de thésaurisation à l'extérieur des pays qui les émettent. C'est surtout le cas du deutschemark dont entre 30 et 40 % des billets émis sont utilisés en dehors de l'Allemagne et même de la zone euro. Le deutschemark est la monnaie officielle du Kosovo et semi-officielle de la Bulgarie. Il est largement utilisé aussi bien par les banques que par les entreprises dans la totalité des États issus de l'ex-Yougoslavie. Il sert d'instrument de thésaurisation en Roumanie, voire en Turquie.
Quant au franc français, il assume à une échelle nettement plus réduite le même rôle d'instrument de paiement et de réserve dans la zone CFA en Afrique, ainsi qu'en Algérie.
Il n'est pas dit que, le 1er janvier 2002, l'argent thésaurisé sous forme de deutschemarks ou de francs français à l'extérieur se convertisse en euros plutôt qu'en dollars, totalement ou partiellement. Bien que poussés par la nécessité de s'associer dans le cadre de l'Union européenne, sous peine d'être laminés, les États européens n'ont pas créé une entité économique unique, avec un pouvoir politique unique, capable de tenir tête à l'économie des États-Unis. La fragilité de l'euro face au dollar s'enracine dans cette réalité.
L'ensemble des évolutions, résumées sous le nom de "mondialisation", n'a fait que pousser plus loin encore le caractère parasitaire du grand capital. Même en période dite d'expansion, les forces productives, qui ne sont mises en oeuvre que pour satisfaire les besoins solvables et pas l'ensemble des besoins sociaux, sont par là même bridées. Face à la récession, la seule "solution" de l'économie capitaliste est de fermer les usines, pousser à l'inactivité forcée un nombre plus grand encore de travailleurs et aggraver la misère des pays pauvres. Il est indispensable de débarrasser la société de la dictature des groupes industriels et financiers en supprimant la propriété privée des grands moyens de production, par là même d'enlever les fondements du parasitisme de la classe capitaliste et de l'anarchie de la concurrence et d'organiser consciemment et démocratiquement l'économie suivant un plan rationnel. Le programme communiste, le programme du prolétariat révolutionnaire, est le seul à ouvrir une perspective devant la société.
Attac et autres mouvements anti-mondialisation
Nous sommes de plus en plus confrontés au mouvement dit "anti-mondialisation", représenté en France notamment par Attac mais dont la phraséologie, reprise par le PC, l'est également, à l'approche des élections, de plus en plus par le PS. Voilà ce que nous avons dit de ce mouvement dans le texte préparatoire à notre congrès de 1998, quelques mois après la création de ce mouvement, à l'époque de ses premiers balbutiements :
"Il y a un courant qui se développe depuis quelque temps dans l'intelligentsia, traditionnellement sous influence de la social-démocratie, mais effrayée aujourd'hui par l'évolution du capitalisme, déçue par la pratique gouvernementale des sociaux-démocrates et par leur servilité à l'égard du capital financier. Ce courant des idées duquel le milieu situé autour du mensuel "Le Monde Diplomatique" et des comités Attac qu'il anime est assez représentatif draine des réformistes qui croient que le réformisme est possible et qui ne se retrouvent pas dans la politique des gestionnaires, des gens qui flirtent avec l'extrême gauche sans être révolutionnaires, des humanistes révoltés par l'inhumanité du capitalisme, sans parler d'intellectuels ou d'économistes gravitant autour du PC.
Ces gens sont conscients des effets dévastateurs du capital financier sur la vie sociale, sur les conditions d'existence des êtres humains, sur l'avenir même de la planète. Le diagnostic est souvent juste, mais la médication se limite à des mesures dont l'ambition déclarée est "d'entraver la spéculation internationale", allant de l'instauration d'une taxe Tobin ce prix Nobel de l'économie a proposé il y a 20 ans la taxation de 1 % de tous les déplacements financiers aux sanctions contre "les paradis fiscaux". Ce courant se fait aussi le chantre d'une politique de relance de la consommation, de l'abandon de la politique de rigueur budgétaire et du choix d'une orientation vers une politique de grands travaux. Il se propose de combattre "l'absolutisme des marchés" au nom du "retour à l'État" (États qui sont priés de "ne plus se saborder"), la dérégulation financière au nom d'une réglementation internationale.
Effrayés devant les conséquences du règne débridé du capital financier, les tenants de ce courant semblent l'être tout autant devant l'idée d'une explosion sociale que cela pourrait provoquer. Ils dénoncent les traités qui officialisent la dérégulation et facilitent la circulation du grand capital Maastricht, Amsterdam, Dublin mais ne combattent pas le grand capital lui-même. Ils se proposent de "désarmer les marchés", de "refonder la propriété", mais pas de détruire la propriété capitaliste. Ils veulent, en substance, limer les ongles du capital financier, mais sans détruire le grand capital.
Combattre le capital financier, mais sans combattre le capitalisme, c'est au mieux une utopie. Faire appel à l'État pour combattre le capital financier, c'est ignorer la soumission de l'État au grand capital. Et c'est aussi un piège pour l'avenir. Car il est tout à fait possible que, contraint et forcé, le capitalisme revienne à la régulation étatique.
Il faut se souvenir que la crise de 1929 a éclaté, aussi, comme une crise boursière, couronnant une longue période d'emballement et de pouvoir sans partage du capital financier. Mais, pour sauver le capitalisme de la débâcle, les bourgeoisies ont fini par le recours à l'étatisme. A celui du New Deal, mais aussi à celui de l'économie nazie. Mais pas plus le "libéralisme débridé" que l'étatisme n'ont sauvé l'humanité de la guerre. Au contraire, de bouée de sauvetage, l'étatisme est devenu un moyen de préparer la marche vers la guerre. Car le problème n'est pas seulement celui de l'étatisme, mais aussi celui de savoir au service de quelle classe sociale est l'État.
Le recours à l'État comme la politique de grands travaux sont des idées dans l'air du temps. Les organismes internationaux de l'impérialisme, en particulier le FMI qui, soit dit en passant, n'est pas seulement l'agent international du capital financier, mais aussi un des rares organismes de régulation du capitalisme international , ont donné leur bénédiction au renforcement de l'étatisme dans certains pays de l'Asie du sud-est frappés par la crise. Ils ont contribué à pousser le Japon à la nationalisation déguisée de son système bancaire. Quant aux grands travaux, c'est une vieille idée social-démocrate, dont même Delors s'est fait le porte-parole et qui pourrait resservir à l'occasion.
La bourgeoisie est une classe trop avide, trop préoccupée par le profit à court terme, pour qu'il ne soit pas nécessaire de sauver périodiquement ses intérêts, et de la sauver elle-même, par l'intermédiaire des institutions étatiques susceptibles de défendre ses intérêts généraux, parfois malgré elle. Mais, pas plus qu'après la crise de 1929, le recours à l'étatisme ne serait fait dans l'intérêt des classes exploitées et de la société. Qu'il soit pratiqué par des gouvernements dits démocratiques ou par des régimes autoritaires, s'il apparaît nécessaire à la bourgeoisie de briser au préalable la classe ouvrière, son contenu de classe serait inévitablement de faire payer aux classes exploitées les dégâts causés par le grand capital
L'intérêt de la classe ouvrière n'est certainement pas de s'aligner derrière des courants à la recherche d'une politique de rechange pour la bourgeoisie capitaliste, mais d'exproprier la grande bourgeoisie et de mettre fin à l'organisation capitaliste de l'économie".
Nous sommes revenus sur la question, lors de la préparation du congrès de 1999, dans les termes suivants :
"De par leurs objectifs aussi limités qu'utopiques d'un capitalisme un peu "plus propre" comme de par les moyens modérés et respectueux des autorités établies qu'ils proposent, les initiateurs de ces courants seraient, au mieux, de doux rêveurs s'ils n'étaient pas surtout hostiles à la lutte de classe et anticommunistes. Ils font en réalité partie de cette mouvance social-démocrate qui n'est généreuse qu'en phrases creuses contre les "excès" du capitalisme, mais dont les chefs politiques mènent au gouvernement la politique que le grand capital leur demande de mener.
Ceux qui participent aux initiatives et aux manifestations de ces courants sont souvent poussés par une sincère indignation contre ces aspects des ravages du capitalisme que sont les dégâts de la spéculation ou le pillage usuraire du tiers monde. Cette sincérité dans l'indignation ne signifie d'ailleurs pas nécessairement que ceux qui s'organisent dans Attac ou manifestent avec les comités pour la suppression de la dette ou "Jubilé 2000" soient en décalage par rapport aux initiateurs réformistes de ces courants ni avec leurs idées et qu'ils veuillent aller plus loin que le peu qu'on leur propose. Les milieux sensibilisés sur ces questions, en tout cas pour le moment, font partie de la base sociale des partis socialistes.
Il se peut que, pour certains d'entre eux, rejoindre ces courants soit un premier pas vers une prise de conscience de ce qu'est l'organisation capitaliste de l'économie et de la société et, peut-être, une première et timide expression allant vers la volonté de la combattre. Raison de plus pour les communistes révolutionnaires pour éclairer cette minorité sur les objectifs et les limites de ces courants. On ne combat pas les aspects répugnants du capitalisme par de pieuses résolutions adressées aux dirigeants du monde impérialiste et surtout, on ne les combat pas en respectant le capitalisme lui-même mais, au contraire, par la lutte de classe du prolétariat pour renverser le capitalisme. Et cela commence en renouant avec les idées de la lutte de classe, et pas en les ignorant ou en les combattant.
Quant à se mobiliser contre l'OMC et à rejoindre le vaste éventail, allant de Pasqua à Chevènement ou au PC, de ceux qui demandent un moratoire sur les prochaines négociations, ce serait participer à une opération de tromperie politique détournant les travailleurs des objectifs nécessaires et de l'action efficace. Lorsque les travailleurs entreront en lutte, il est de leur intérêt de le faire contre les capitalistes français ou pas qu'ils ont sous la main et qu'ils peuvent faire reculer, et non pas contre la réunion lointaine d'une organisation insaisissable qui, de surcroît, n'est pas la cause, mais une des multiples expressions de la domination des trusts et du capital financier sur le monde".
Aujourd'hui, nous n'avons rien à ajouter sur le fond, si ce n'est la précision que le taux communément avancé pour la taxe Tobin n'est même plus 1 %, mais 0,1 % ; et que, malgré le dérisoire de la chose, on en parle d'autant plus qu'elle n'a pas eu un début de commencement d'application.
Dans l'intervalle, Attac s'est développée, d'autant que le vague de ses idées et le caractère lâche de ses formes d'organisation sont faits pour plaire dans les milieux de la petite bourgeoisie intellectuelle. Par ailleurs, sa participation à un certain nombre de manifestations, de contre-sommets, lui a valu une aura de radicalisme que ne méritent certainement pas ses idées. Pour l'actuelle génération de jeunes, elle remplace ce qu'avait été le tiers-mondisme pour d'autres : une façon d'exprimer son indignation mais aussi de la détourner de la révolte consciente contre le système capitaliste dans son ensemble et du choix du camp du prolétariat pour combattre efficacement le système. Tout cela se conjugue pour lui donner une certaine valeur aux yeux des dirigeants du PS désireux, à l'approche des élections, de se refaire une certaine virginité après cinq ans passés au gouvernement.
Non seulement, Attac a bonne presse dans ces milieux, mais le comité Attac qui s'est créé à l'Assemblée nationale compte désormais 126 députés, issus pour la plupart de la Gauche plurielle.
Disserter sur la faisabilité de la taxe Tobin est aujourd'hui à la mode. Se prétendre anti-mondialiste est un moyen commode de faire oublier le soutien à la politique propatronale du gouvernement, à ses attaques répétées contre la classe ouvrière. La recette vaut d'ailleurs bien au-delà des dirigeants de la majorité de gauche, puisqu'il y a jusqu'à Bayrou pour en faire un cheval de bataille et Pasqua ou Chirac pour faire mine de flirter avec l'idée.
Sous couvert d'un apolitisme de façade, Attac joue de plus en plus ouvertement le rôle de rabatteur pour le PS. L'avenir dira si l'ambition des dirigeants d'Attac se limitera à cela ou si, emportés par l'élan, ils postuleront à un rôle politique propre. Ils pourraient estimer que la relative déconsidération des Verts, du fait de leur longue participation gouvernementale et de leurs déboires actuels, laisse un créneau plus ou moins libre, sinon à gauche de la gauche, du moins à ses alentours.
Pas plus que les Verts cependant, Attac ne constitue une mouvance réformiste au sens que cela a pour le PS ou pour le PC. Contrairement à ces ceux partis, ces mouvances n'ont aucun lien, fût-il lointain, avec le mouvement ouvrier.
Quant à la LCR, elle croit avoir trouvé, une fois de plus, une vague porteuse. Non seulement nombre de ses militants et plusieurs de ses dirigeants se sont investis dans l'animation ou le noyautage des comités Attac, mais il semble bien qu'ils vont axer la campagne de leur candidat à l'élection présidentielle autour des thèmes agités par les comités Attac. Leur candidat se flatte de se distinguer d'Arlette Laguiller, accusée d'axer sa campagne sur "la seule condition ouvrière", en se faisant, lui, le porte-parole de la lutte contre la mondialisation.
Cette politique ne contribue en rien à éclairer ceux des jeunes qui sont attirés par Attac en raison de ses quelques critiques du système capitaliste. Elle est incapable de les amener au combat conséquent contre ce système. Elle contribuera, au contraire, à les jeter dans les bras de la social-démocratie.
Dans le passé, c'est en général des considérations tactiques qui ont été mises en avant par la direction de la LCR pour justifier des politiques d'alignement derrière des mouvements à la mode, du soutien sans critique à tous les mouvements nationalistes au mouvement écologiste, en passant par l'alignement derrière Juquin ou le flirt avec Chevènement. Mais aujourd'hui, où l'objectif de construire un parti ouvrier révolutionnaire est dissous depuis longtemps dans celui d'un parti "anticapitaliste, écologiste, féministe, internationaliste", il ne s'agit même plus de considération tactique ou "d'efficacité" (au demeurant, jamais démontrée). La LCR se dissout politiquement d'autant plus facilement dans Attac que les objectifs réformistes de cette dernière correspondent avec les objectifs affichés par la LCR elle-même.