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Italie - Un gouvernement au garde-à-vous devant le patronat
Quelques semaines après la victoire électorale de l'Unione aux élections générales italiennes des 9 et 10 avril, ceux qui auraient pu croire que la défaite de Berlusconi et l'installation d'un gouvernement présidé par Romano Prodi et appuyé par l'ensemble des partis de gauche et de centre-gauche se traduiraient par un changement de politique favorable aux classes populaires, ont déjà de quoi être déçus.
Austérité annoncée
La plus substantielle mesure annoncée jusqu'à présent par le nouveau gouvernement est un plan d'austérité. Celui-ci se traduirait par un correctif au budget 2006 de l'État visant à réduire ses dépenses d'au moins dix milliards d'euros. C'est ce qu'a annoncé le ministre de l'Économie du gouvernement Prodi, Tommaso Padoa-Schioppa. Nommé à ce poste en tant que personnalité indépendante des partis, il a derrière lui une carrière d'expert économique, notamment à la Banque centrale européenne et à la Banque d'Italie, qui le préparait tout naturellement à être, au sein du gouvernement Prodi, le porte-parole de ces institutions financières.
«La situation des comptes est grave, un correctif est indispensable», a donc annoncé Padoa-Schioppa peu après sa nomination, laissant entendre que les finances italiennes telles que les laisse le gouvernement Berlusconi sont dans un état plus désastreux que lui-même ne l'imaginait. Une commission d'évaluation des comptes publics, qui a rendu son rapport début juin, a estimé que le rapport entre le déficit public et le PIB (Produit Intérieur Brut) atteignait désormais «tendanciellement» un taux de 4,1%, éloigné des 3% imposés par l'Union européenne. Le ministre a annoncé qu'il fera ce qu'il faut pour retrouver un taux respectant ces paramètres.
On devrait connaître les détails du nouveau plan en juillet, mais on sait déjà qu'il devrait comporter une réduction de 10% des dépenses des ministères. Prodi a déclaré que ceux-ci seraient appelés à faire des économies, par exemple sur l'usage des voitures de fonction et autres dépenses somptuaires, mais aussi sur le recours à des sociétés extérieures de consultants et évidemment sur le personnel.
Suivant un procédé classique, le nouveau gouvernement attribue aux frasques du gouvernement Berlusconi la responsabilité de ses premières mesures d'austérité. L'annonce de la diminution de dépenses somptuaires qui peuvent choquer l'opinion est un procédé tout aussi classique. Mais derrière ce trompe-l'oeil se profile une politique qui n'empêchera certes pas les ministres de se déplacer en voiture, mais se traduira en réductions de personnel parmi les fonctionnaires et les employés des services publics.
En effet, la même commission ministérielle a déjà indiqué quelles sont, selon elle, les dépenses excessives responsables du creusement du déficit : ce serait notamment les dépenses de santé et les dépenses des collectivités locales, communes et provinces. On peut donc s'attendre à ce qu'elles soient les premières touchées par le «correctif» annoncé pour juillet sur les dépenses de 2006. Mais ce correctif annoncerait en même temps les choix qui présideront sans doute à la loi de finances 2007 lorsqu'elle sera présentée à l'automne : les mêmes dépenses seront sans doute pointées du doigt. Et même si, après l'annonce de ce nouveau plan d'austérité, les dirigeants syndicaux ont émis de timides protestations en déclarant que «cela commence mal», il n'y a pas là de quoi arrêter les projets de Prodi et Padoa-Schioppa.
La Confindustria dicte sa politique
De plus, l'Unione et Romano Prodi ont mené une grande partie de leur campagne électorale autour de la promesse d'une réduction de 5% du «coin fiscal», constitué par les prélèvements obligatoires payés par les entreprises, déclarant que cette réduction devrait bénéficier aux entreprises comme à leurs salariés. Mais jusqu'à présent ils n'ont pas précisé comment ils opéreraient cette réduction, ni surtout comment ils feraient pour qu'elle profite réellement aux travailleurs.
Or, depuis l'installation du gouvernement Prodi, les dirigeants de la Confindustria, la confédération patronale italienne, sont en permanence sur la brèche pour indiquer ce qu'ils attendent de ce gouvernement et vérifier qu'il tient les promesses qu'il lui a faites. En particulier le leader de la Confindustria, Luca Cordero di Montezemolo, qui avant les élections s'est montré favorable à la coalition de centre-gauche, attend maintenant d'être payé en retour.
Les dirigeants patronaux tiennent un discours bien connu : il faut permettre à l'économie italienne de retrouver la croissance et, pour cela, il n'est pas question d'augmenter les charges des entreprises, mais de les réduire, voire d'ajouter à cette réduction des charges des aides à l'investissement, à l'innovation, etc. Après avoir été largement favorisé par le gouvernement Berlusconi, le patronat italien s'attend à l'être encore plus par le gouvernement Prodi. Il attend donc avec impatience la réduction promise de 5% du «coin fiscal», sans envisager évidemment le moins du monde de redistribuer aux salariés une partie de cet avantage.
Mais les dirigeants de la Confindustria ajoutent qu'ils tiennent à un élément supplémentaire que le gouvernement Prodi devrait leur apporter : la politique dite de concertation avec les syndicats.
Dès le mois de mars 2004, deux ans avant les élections, les dirigeants de la principale centrale syndicale italienne, la CGIL, avaient salué l'élection de Montezemolo à la tête de la Confindustria car celui-ci, qui au même moment parvenait à la tête du groupe Fiat, s'était déclaré favorable au retour à cette concertation, mise à mal par le gouvernement Berlusconi. Il n'en avait pas fallu plus au secrétaire de la CGIL, Guglielmo Epifani, pour qu'il salue cette attitude du représentant du grand patronat comme une «ouverture».
Pourtant, tout en se déclarant pour la concertation, Montezemolo n'avait évidemment promis aucune concession concrète aux salariés. Au contraire, tout le patronat faisait chorus pour se lamenter sur le «déclin» économique que subissait selon lui l'Italie et pour affirmer que de grands efforts et sacrifices, de la part des salariés bien sûr, seraient nécessaires pour redresser la situation et faire face à la concurrence internationale.
Peu avant les élections, on a vu également le congrès de la CGIL soutenir ouvertement Romano Prodi et le programme politique de l'Unione, et se proclamer disponible pour aller de l'avant avec le nouveau gouvernement. Epifani déclarait bien aussi que le syndicat garderait son autonomie et jugerait le nouveau gouvernement sur ses actes. Mais en même temps les revendications que mettait en avant la CGIL étaient suffisamment vagues pour laisser aux dirigeants syndicaux le champ libre pour trouver des aspects positifs à l'action du gouvernement.
La «loi Biagi» demeurera
Un des sujets les plus controversés était et reste cependant la «loi 30», dite aussi loi Biagi. Adoptée en 2003 sous le gouvernement Berlusconi, celle-ci n'en avait pas moins été préparée par un expert économique du gouvernement de centre-gauche, Marco Biagi. Celui-ci, avant d'être assassiné en mars 2002 par les «nouvelles Brigades rouges», avait sous prétexte de «modernisation» du marché du travail préconisé la multiplication des formes différentes de contrats précaires. Il ne faisait d'ailleurs que poursuivre la voie ouverte en 1997 sous le précédent gouvernement Prodi par la série de lois dite «paquet Treu» qui instituait en particulier le travail intérimaire.
Passant sur le fait que son précédent gouvernement avait donc été un des initiateurs de la précarité avant que celle-ci soit encore aggravée par la «loi 30», Prodi ne s'est même pas engagé pour ces élections de 2006 à supprimer cette dernière loi. Le programme de l'Unione a seulement précisé que celle-ci devrait être «dépassée», en précisant que cela signifiait supprimer trois types de contrats, «les plus précarisants» selon ses termes, et en fait ceux auxquels le patronat n'avait pratiquement pas eu recours : le contrat d'insertion ainsi que le «travail à la demande» et le «prêt de main-d'oeuvre», directement empruntés aux méthodes anglo-saxonnes de «job and call» et de «staff leasing» qui ont inspiré les auteurs de la loi. Il ajoutait que de meilleures protections sociales seraient introduites pour les travailleurs précaires, mais sans préciser lesquelles.
Ce prétendu «dépassement» de la loi Biagi fait partie également des revendications de la CGIL, celle-ci ne demandant pas non plus sa suppression, mais la limitation du recours au travail précaire, et que le contrat à temps indéterminé reste la norme.
Prodi et la CGIL pourraient donc facilement tomber d'accord sur une formule de révision de la loi Biagi qui en supprimerait quelques aspects odieux -et en même temps inutiles au patronat- tout en maintenant l'essentiel des contrats de travail «atypiques» qu'elle prévoit. Mais il n'est même pas certain qu'on en vienne là.
Car, les élections étant maintenant passées, la Confindustria fait connaître clairement son opposition même à une remise en cause partielle. Tout au plus, concède Montezemolo, la loi Biagi pourrait-elle être complétée par la mise en place d'«amortisseurs sociaux», comme le prévoit le programme de l'Unione, grâce auxquels la «flexibilité» selon lui indispensable serait accompagnée de moins de précarité. Traduit du langage patronal, et si l'on passe sur cette distinction hypocrite entre flexibilité et précarité, cela pourrait signifier par exemple la mise en place d'indemnités de chômage, de fin de contrat ou de formation... que le patronat accepterait peut-être si elles étaient à la charge de l'État et non des employeurs.
Ajoutons qu'au sein même de la confédération patronale, des protestations se font entendre à la seule évocation d'une remise en cause de la loi Biagi. Et les dirigeants patronaux, dont le choix de soutenir l'Unione a été critiqué par une partie de leur base, bien plus favorable à Berlusconi, n'ont pas de raison de s'engager vraiment à soutenir une mesure du gouvernement Prodi qui les mettrait en porte-à-faux vis-à-vis de cette partie de la base patronale.
On voit donc mal comment cette loi Biagi pourrait même être seulement un peu modifiée en faveur des salariés, alors que la Confindustria ne le veut pas, et alors que le principe commun proclamé par Prodi et la CGIL est, pour faire avancer ce qu'ils nomment les «réformes», de recourir à la concertation avec le patronat.
Ce ralliement à la «concertation» version Montezemolo est pratiquement une promesse explicite des dirigeants syndicaux d'assurer la paix sociale au gouvernement Prodi. Pour peu qu'ils soient partie prenante dans les décisions, les dirigeants confédéraux s'affirment d'avance prêts à les cautionner, et finalement à donner leur appui à une politique qui sera évidemment favorable au patronat. Celui-ci estime donc n'avoir rien à craindre et avance ses exigences avec le plus grand aplomb tout en proclamant son amour pour la «concertation».
Mais ce n'est pas seulement sur le plan social que les changements apportés par le gouvernement Prodi pourraient être à rechercher au compte-gouttes. C'est également sur des aspects plus directement politiques.
Les troupes italiennes quitteront peut-être l'Irak, mais pas l'Afghanistan
En politique extérieure, le gouvernement Berlusconi s'était distingué, lors de la guerre d'Irak, par son soutien à l'expédition militaire américaine et l'envoi de troupes italiennes à ses côtés, dans la région de Nassiriya. Et si les discours officiels mettaient l'accent sur un prétendu rôle de «défense de la paix» joué par les troupes italiennes, celles-ci ont bien été engagées dans des actions de guerre, parfois féroces, contre la population. D'autre part, il était clair que cet engagement était lié à des promesses faites à la compagnie pétrolière italienne ENI d'obtenir une part dans l'exploitation des gisements irakiens, précisément dans cette région.
Face à l'opposition d'une grande partie de l'opinion, en particulier à gauche, à cette entreprise militaire, les engagements du gouvernement Prodi sont restés timides, évoquant un retrait des troupes italiennes d'Irak, mais refusant d'envisager un retrait immédiat. En fait Berlusconi lui-même, dans la période préélectorale, a déclaré qu'il procéderait à un retrait graduel des troupes à partir de la fin 2006, tout en précisant que ce retrait se ferait en concertation avec l'allié américain.
Finalement, c'est le dirigeant des DS et ministre des Affaires étrangères Massimo D'Alema qui, au cours d'un voyage à Bagdad, a annoncé que les 2600 soldats italiens stationnés en Irak quitteraient le pays à la fin de l'année 2006. Ce délai, selon D'Alema et Prodi, serait dû aux difficultés logistiques pour rapatrier en toute sécurité un contingent important, mais aussi pour pouvoir le faire sans créer de problèmes aux autres troupes de la coalition, en premier lieu américaines et britanniques. «Il ne faut pas irriter l'allié américain», a insisté Prodi. D'autre part, ce départ serait compensé par un programme d'«aide» italienne au gouvernement irakien, comportant notamment la formation de ses militaires, l'envoi d'experts pour aider à la reconstruction, des aides pour des projets de grands travaux.
C'est dire que l'impérialisme italien entend faire ce qu'il faut pour que le départ de ses troupes ne l'empêche pas de continuer à être présent en Irak et d'y faire des affaires. Et vu la volonté proclamée de ne pas créer de problèmes aux alliés américains et britanniques, on ne sait même pas dans quelle mesure le départ des troupes sera effectif.
Par ailleurs le gouvernement Prodi promet déjà que l'engagement militaire italien en Afghanistan, là aussi aux côté des troupes américaines -mais aussi anglaises et françaises-, sera maintenu, voire selon certains de ses membres renforcé. Là encore, l'impérialisme italien entend proclamer qu'il tiendra sa place aux côtés de ses alliés sur ce théâtre d'opérations, mais aussi sur d'autres -les Balkans notamment- où ses troupes sont présentes.
Une commission pour la bioéthique
Mais sur d'autres points encore, sur lesquels le passage au pouvoir de Berlusconi avait marqué une orientation particulièrement réactionnaire, il est clair qu'il n'y a pas grand-chose à attendre du gouvernement Prodi.
L'un est la loi sur la fécondation assistée adoptée sous Berlusconi, véritable loi obscurantiste aboutissant par exemple à interdire la recherche sur les cellules embryonnaires. Reconnaissant même à l'embryon les droits d'une personne vivante, elle est la porte ouverte à une remise en cause du droit à l'avortement. Le programme de l'Unione est resté silencieux sur cette loi afin de ne pas risquer de heurter les démocrates-chrétiens de la coalition ou leur électorat. Enfin, réuni en conclave au début du mois de juin, le nouveau gouvernement a décidé d'éviter toute dispute sur les questions dites de bio-éthique en créant... une commission pour les étudier. Et il est peu probable que l'on voie ce gouvernement, lui-même fort attentif à ne pas heurter la fraction de l'opinion influencée par l'Église, ni en général l'opinion réactionnaire, remettre vraiment en cause la loi sur la procréation assistée.
Sur ce point, comme sur les autres, l'Unione est soumise à de nombreuses pressions venant de sa droite. En son sein même, le parti dit de «la Marguerite» inclut une composante démocrate-chrétienne. D'autre part, les différents représentants de l'Église, à commencer par le pape, ont déjà averti que le nouveau gouvernement ne devrait pas remettre en cause les valeurs chrétiennes et notamment celles de la famille. Cet avertissement vise en particulier les unions civiles, dont le programme de l'Unione a promis la reconnaissance juridique, ce qui pourrait inclure un Pacs pour les couples homosexuels. Et il est à prévoir que, sur ce point comme sur d'autres, la pression de l'Église et des hommes politiques qui lui sont liés ne se relâchera pas.
Bien sûr, si, dans les mois qui viennent, l'Unione et le gouvernement Prodi en viennent à renier ouvertement même les très timides promesses qu'ils ont faites, on peut prévoir leurs explications : les élections des 9 et 10 avril ne leur ont donné qu'une victoire très limitée, basée seulement sur une avance de 25000 voix à l'échelle nationale relativement à la coalition de Berlusconi, et cela pour la seule Chambre des députés. De plus, légèrement minoritaire en voix pour les élections au Sénat, l'Unione ne dispose dans cette assemblée que de deux sièges de majorité. Il suffira donc de peu de choses pour qu'une loi proposée par l'Unione et combattue par l'opposition de droite ne trouve pas la majorité nécessaire.
Mais en fait c'est l'Unione elle-même qui, pour complaire aux franges les plus modérées de l'électorat, a présenté un programme qui, au fond, ne la distinguait guère de la coalition berlusconienne et qui, estompant les différences, a sans doute contribué à faire des élections une sorte de match à égalité entre les deux adversaires Prodi et Berlusconi. Et c'est elle-même, une fois au gouvernement, qui est prête, avec ou sans prétexte, à capituler devant les demandes du patronat.
Il faut ajouter à cela les promesses de Prodi de rechercher le «dialogue» avec les partis de droite qu'il vient de vaincre électoralement. On en a encore eu l'exemple au lendemain du référendum des 25 et 26 juin, qui avec une majorité de 61,7% des voix a rejeté la réforme constitutionnelle concoctée par le gouvernement Berlusconi.
Cette réforme, sous la pression du parti régionaliste et xénophobe de la Ligue du Nord d'Umberto Bossi, visait à donner des pouvoirs étendus aux régions en matière de gestion du système de santé, du système scolaire, et même en matière de police et en matière fiscale. Elle voulait permettre aux régions riches du Nord de disposer de leurs impôts pour elles-mêmes, en réduisant au minimum les redistributions pouvant bénéficier aux régions plus pauvres du Sud.
Pourtant, même si le résultat du référendum a été un succès pour Prodi, qui avait appelé à dire «non» à la réforme, celui-ci n'en a pas moins déclaré que le gouvernement allait désormais dialoguer avec tous les partis pour la remettre en chantier. La raison en est simple : cette décentralisation, voire cette fragmentation, des droits et des normes sociales entre régions est recherchée par l'ensemble de la bourgeoisie, même si ce n'est pas sous les formes extrêmes prônées par Bossi, qui a construit son ascension électorale sur une démagogie opposant le Nord industriel et riche de l'Italie à un Sud qui ne serait qu'un poids mort. Prodi envisage d'autant moins de s'opposer à cette tendance que le gouvernement de centre-gauche de D'Alema lui-même, en 2001, avait déjà mis en place une réforme allant dans le même sens.
Les travailleurs ne peuvent se laisser désarmer
La politique du nouveau gouvernement Prodi était malheureusement tout à fait prévisible. Et le pire effet de l'alignement des organisations syndicales et politiques de gauche sur Prodi a été de désarmer par avance les travailleurs, les organisations, les militants qui auraient pu être tentés de mettre en avant leurs exigences quelle que soit la majorité sortie des urnes les 9 et 10 avril.
Vis-à-vis de la bourgeoisie italienne, Prodi a mis à son actif le fait d'avoir enrôlé à part entière, dans la coalition de l'Unione, le Parti de la Refondation communiste. Ce parti, qui en 1998 avait fait tomber le premier gouvernement Prodi en tentant de le faire s'engager sur l'instauration des 35 heures, s'est cette fois engagé d'avance à ne pas se livrer à des surenchères sur sa gauche. Ayant adhéré à l'Unione et participé aux élections primaires qui, en octobre 2005, ont désigné Prodi comme chef de la coalition, Refondation communiste s'est aussi engagée à respecter la discipline de la coalition telle que la fixerait son chef.
En retour, le parti a vu son leader Fausto Bertinotti élu président de l'Assemblée et un ministère de la Solidarité sociale, aux attributions mal définies, attribué à l'un de ses dirigeants, Paolo Ferrero. Ainsi muni à la Chambre d'un poste honorifique et sans pouvoir, et d'un strapontin dans le gouvernement Prodi, le parti doit se contenter des discours satisfaits de Bertinotti. Celui-ci a déclaré par exemple qu'il dédie son élection à la présidence de l'Assemblée «aux ouvrières et aux ouvriers», ou bien, à une autre occasion, que son ambition est de faire de l'Assemblée «une maison du peuple». Mais tous les jours, la presse et la bourgeoisie rappellent au gouvernement Prodi, et au-delà à Bertinotti, qu'elles ne lui permettront aucun dérapage à gauche, fût-il purement verbal.
Le dernier épisode en date a concerné la militante pacifiste et ex-résistante Lidia Menapace. Élue de Refondation communiste au Sénat et membre de la commission de la Défense, elle a osé déclarer à propos des «Flèches tricolores», la patrouille acrobatique de l'armée de l'air, qu'elles «gâchent de l'argent, font du bruit et polluent». Ces déclarations lui ont valu, dès le lendemain, de nombreuses protestations et sa non-élection à la présidence de cette commission de la Défense.
Toute déclaration de militants ou de représentants de Refondation communiste sortant de la tonalité générale de l'Unione est ainsi soulignée par la presse, sur le ton : Prodi réussira-t-il à obliger Refondation à faire taire ses «extrémistes» ? Cette situation ne permettra pas bien longtemps à Bertinotti de maintenir, auprès de ses militants, l'illusion que la présence du parti au gouvernement pourrait faire avancer en quoi que ce soit les droits des travailleurs et des couches populaires. Au contraire, il est évident que le parti qui se dit de la «refondation» communiste est maintenant un otage impuissant dans un gouvernement Prodi qui sera bien plus prêt à se plier aux injonctions de la Confindustria, de la droite, de politiciens réactionnaires et obscurantistes et de l'Église, qu'aux quelques protestations venant de sa gauche.
Un certain nombre de militants, autour de tendances se réclamant du trotskysme, ont quitté le parti pour protester contre cet ancrage de Refondation dans le rôle de parti de gouvernement, proclamant leur intention de créer un «parti communiste des travailleurs», ou bien de «refonder l'opposition des travailleurs». Malheureusement, ce choix intervient bien tard pour des militants qui font de «l'entrisme» dans ce parti depuis des années, une politique qui est une mauvaise préparation aux échéances qui attendent maintenant les travailleurs et les militants qui se situent sur leur terrain de classe. Bien sûr, mieux vaut tard que jamais, mais il aurait été important, avant ces élections, dans la campagne elle-même et bien avant, d'avertir les travailleurs contre l'opération Prodi et cette Unione qui, derrière l'objectif de «chasser Berlusconi», ne faisait que préparer un nouveau gouvernement au service des possédants.
Mais dans la période qui vient, la classe ouvrière italienne de toute façon n'aura pas le choix. Il lui faudra trouver les forces et les moyens, les militants et les organisations qui lui permettront de combattre pour la défense de ses intérêts de classe, sans se laisser arrêter ni par le gouvernement de l'Unione, ni par les appareils syndicaux et politiques dits de gauche qui lui apportent leur caution.
28 juin 2006