Israël - Après la victoire du Hamas et avant les élections du 28 mars01/03/20062006Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2006/02/95.png.484x700_q85_box-23%2C0%2C572%2C793_crop_detail.png

Israël - Après la victoire du Hamas et avant les élections du 28 mars

Après l'annonce en novembre 2005 d'élections législatives devant avoir lieu à la fin du mois de mars 2006, deux événements inattendus sont survenus : la disparition politique de Sharon et la très nette victoire du Hamas aux élections générales palestiniennes. Dès lors, le début de la campagne électorale qui venait de s'engager s'est subitement figé et les positions de la droite comme celles du Parti travailliste, déjà peu éloignées les unes des autres, se sont encore rapprochées dans une commune hostilité aux nouveaux dirigeants islamistes qui venaient d'être élus dans les territoires palestiniens.

Pas question, ont dit en coeur les dirigeants israéliens, tous partis confondus, de négocier avec le Hamas avant que celui-ci reconnaisse le droit d'Israël à exister. Mais de quelle négociation pourrait-il s'agir venant de la part d'un État qui n'a jamais reconnu aux Palestiniens le droit à une existence nationale ? Il n'y a en fait jamais eu de négociation depuis l'arrivée de Sharon au pouvoir en 2001, et les négociations antérieures ne l'étaient que de nom. Aussi, la question de savoir si le Hamas serait prêt ou non à négocier aux conditions d'Israël est presque secondaire au regard de la volonté des gouvernants israéliens de refuser de s'engager véritablement dans des négociations ayant pour objectif la reconnaissance d'un État palestinien. En maintenant leurs colonies, leurs zones d'occupation, leurs check-points et autres murs, les dirigeants israéliens bloquent résolument tout espoir de règlement. En revanche, le fait que le Hamas déclare, pour l'heure en tout cas, ne pas vouloir négocier, leur fournit un prétexte supplémentaire pour accroître leurs exigences.

Par rapport aux années quatre-vingt, quand s'engagèrent des pourparlers avec l'OLP de Yasser Arafat, Israël a ajouté des conditions supplémentaires. Le Hamas doit reconnaître le droit d'Israël à exister mais désormais en tant qu'État juif -condition qui ne fut pas posée à l'OLP. Le Hamas doit modifier préalablement sa charte, ce qui avait certes été demandé à l'OLP. Mais cela s'était fait dans le cadre des accords d'Oslo, c'est-à-dire en contrepartie de ce qu'Israël disait être des concessions. Il est enfin demandé au Hamas de désarmer, ce qui n'avait jamais été exigé de l'OLP. Si Israël voulait geler à son seul avantage la situation actuelle, il ne s'y prendrait pas autrement.

La dernière décision du gouvernement israélien de confisquer d'importantes sommes appartenant aux Palestiniens ajoute encore à l'odieux de sa politique. Ainsi vient d'être annoncé, pour une durée indéterminée, un gel des sommes dues par les douanes israéliennes aux douanes palestiniennes. Les Territoires occupés ne disposant d'aucune souveraineté, c'est Israël qui, depuis les accords d'Oslo, perçoit les taxes sur les marchandises exportées ou importées des zones palestiniennes, soit environ 50 millions d'euros par mois. Cette somme qui représente la moitié des salaires des 135000 fonctionnaires de l'Autorité palestinienne est donc volée par l'État d'Israël, au motif que les Palestiniens ont mal voté en donnant la majorité au Hamas. La démocratie parlementaire et autres élections libres, tant vantées par les gouvernants israéliens et leurs soutiens occidentaux, ne valent que si elles correspondent à leurs propres attentes. Et cette attitude est partagée par l'opposition travailliste qui s'est bien gardée d'émettre la moindre critique à l'encontre de cette décision.

Des programmes bien semblables

En novembre 2005, ce fut la courte victoire d'Amir Peretz lors d'élections internes au Parti travailliste, suivie du départ des ministres travaillistes qui siégeaient au sein du gouvernement, qui contraignit Sharon à organiser de nouvelles élections. Sharon ne fut certainement pas mécontent de l'opportunité qui s'offrait alors à lui. Et au lieu de rechercher une nouvelle majorité en faisant alliance avec des partis qui ne pouvaient être que religieux ou d'extrême droite, il préféra quitter le Likoud et tous les trublions qui l'avaient gêné au moment du désengagement de Gaza, pour créer son propre parti, Kadima (En avant).

Ce prétendu glissement au centre de la scène politique israélienne effectué par un général de droite, voire d'extrême droite, fut salué par beaucoup, y compris par des travaillistes. Shimon Pérès a été l'un d'eux. Après avoir été battu par son rival, il quitta même le Parti travailliste auquel il appartenait depuis des lustres pour se ranger auprès de Sharon. D'autres aussi firent un geste d'allégeance analogue. Ce fut par exemple le cas de Yossi Beilin, dirigeant du Meretz, un parti considéré comme se situant à gauche du Parti travailliste.

Un début de campagne s'amorça alors qui vit Kadima porté par des sondages favorables, y compris après que Sharon a été foudroyé par une attaque cérébrale. Les éléments de programme énoncés par les dirigeants de Kadima ne différaient en rien de ceux classiquement portés par la droite. On y trouvait pêle-mêle la nécessaire sauvegarde du caractère juif de l'État d'Israël, le maintien du contrôle israélien sur Jérusalem, y compris sa partie conquise en 1967, un engagement à ne pas démanteler les grands blocs de colonies situées en Cisjordanie, ainsi que la justification de la politique unilatéraliste mise en oeuvre par Sharon. À tout cela s'ajoutait bien évidemment la poursuite de la construction du mur de séparation que certains voudraient maintenant voir ériger plus à l'est, côté vallée du Jourdain, ce qui à terme emprisonnerait totalement les enclaves palestiniennes restantes.

Côté Parti travailliste, son nouveau leader, Amir Peretz, connu pour avoir dirigé la centrale syndicale israélienne Histadrout et avoir été membre dans le passé du mouvement La Paix maintenant, prit grand soin de ne pas s'opposer aux principaux thèmes politiques proposés par la droite, avec d'autant plus de facilité d'ailleurs qu'ils avaient été aussi ceux des précédents gouvernements travaillistes, desquels Peretz n'entendait pas se distinguer.

Concernant le conflit avec les Palestiniens, Peretz avait bien fait dans le passé quelques déclarations générales sur l'immoralité qu'il y aurait "à régner en maître sur un autre peuple". Mais dès lors qu'il posa sa candidature à la direction de l'État, plus rien ne devait trancher dans sa politique avec celles menées auparavant. À propos de Jérusalem par exemple, ceux qui parlaient pour Peretz expliquaient qu'il n'était pas question de céder un pouce de ce territoire annexé par Israël après la guerre des Six-Jours. Et, comblant les silences du nouveau leader travailliste, ils ajoutaient : "Peretz est loin d'être un pacifiste naïf. Il sait que le public israélien adore la clôture de séparation (le Mur), qu'il est enferré sur la question d'une Jérusalem unie et craint rien de plus qu'un retour en masse des réfugiés palestiniens. En conséquence, il (Peretz) proposera d'ajuster le tracé de la clôture (...). Pour Jérusalem il proposera une autonomie religieuse qui ne scindera pas la ville, et concernant les réfugiés, il cherchera des solutions en dehors des frontières du pays, avec quelques exceptions pour tenir compte du regroupement familial" (Akiva Eldar, ancien conseiller politique d'Itzak Rabin).

Une équipe chargée du programme du Parti travailliste avait même élaboré des formules devant proposer aux Palestiniens une location à long terme de certains gros blocs de colonies juives en Cisjordanie. Cela pouvant se faire sur le "principe de Hong-Kong", par référence à l'accord conclu en 1898 entre le Grande-Bretagne et la Chine, dans le cadre duquel la Grande-Bretagne louait les îles de Hong-Kong pour 99 ans. Selon ce modèle colonial donc, les colonies de Maale Adoumim, le Gouch Etzion, Ariel et d'autres encore seraient restées sous contrôle israélien en échange de compensations financières.

Et comme pour souligner que Peretz était tout à fait solidaire de la politique menée à l'égard des Palestiniens, il y eut cette décision symptomatique d'autoriser le ministre travailliste du Logement et de la Construction, à étendre la colonie juive de Maale Adoumim, située à l'est de Jérusalem. Cette décision était intervenue très peu de temps avant la sortie des ministres travaillistes du gouvernement Sharon. Le ministre en question prenait soin de s'acquitter ainsi de ses dernières obligations envers Sharon. Il fut en cela soutenu par Peretz qui venait tout juste d'accéder à la présidence du Parti travailliste.

Depuis, Peretz s'est aligné encore plus sur les positions de Kadima, et du gouvernement dirigé aujourd'hui par Ehud Olmert. Parmi ses récentes déclarations, on peut relever : "Nous ne conduirons en aucune circonstance des négociations avec une organisation qui déclare son intention de détruire Israël" ; ou encore : "Si nous le jugeons bon, nous agirons unilatéralement". Et après avoir expliqué qu'il était "pour une séparation physique, politique et sécuritaire" avec les Palestiniens, Peretz poursuivait : cela "permettrait à Israël de (renoncer) aux colonies isolées en Judée et Samarie (Cisjordanie), tout en conservant de larges blocs" de colonies. En conclusion, Peretz affirmait avec cynisme : "Même si nous choisissons la route de la séparation, nous continuerons à lutter pour la paix".

Un présent éclairé par le passé

Une telle similitude dans les politiques mises en oeuvre à l'égard des Palestiniens par les partis de droite et par le Parti travailliste n'a en fait rien d'étonnant. Dans l'histoire d'Israël, il a toujours été difficile de distinguer entre une politique menée par la droite sioniste, c'est-à-dire nationaliste, et un mouvement travailliste qui l'est tout autant. Tous deux ont ceci en commun d'avoir défendu, derrière une prétendue spécificité juive, une société de classe où les oppositions sociales étaient volontairement masquées par un antagonisme désignant comme adversaires les seuls Arabes.

Durant les premières décennies de l'existence d'Israël, ce fut la gauche qui domina de façon quasi exclusive la vie politique du pays. La guerre qui suivit la déclaration d'indépendance de 1948 fut son oeuvre. Elle se termina par l'éviction de centaines de milliers de Palestiniens, chassés de leurs terres et de leurs villages, dont beaucoup furent alors rasés. Quelques années plus tard, en octobre 1956, après que l'Égyptien Nasser avait décidé de nationaliser le canal de Suez, les dirigeants travaillistes israéliens choisirent d'engager leur armée aux côtés de celles des vieilles puissances impérialistes, la France et l'Angleterre, dans ce qui était une opération de basse police coloniale. La guerre de 1967, toujours menée par la gauche, eut un double objectif, celui de porter un coup décisif au nationalisme arabe, tel qu'il était incarné par Nasser, et celui de s'emparer des actuels Territoires occupés, y compris le Sinaï, rendu quelques années plus tard à l'Égypte... par un gouvernement de droite.

Si le mépris à l'égard des populations arabes, le vol de leurs terres, le refus de leur reconnaître les mêmes droits que ceux accordés aux Juifs, sont considérés aujourd'hui comme étant des constantes de la politique menée par les gouvernements de droite, elles furent toutes initiées par la gauche. Et il en a été de même de la colonisation des Territoires occupés. Ce fut d'ailleurs un homme politique de gauche, Pérès en l'occurrence, qui le premier accepta en 1974 que des colons s'installent en Cisjordanie, à Kadoumim. Dans la brèche ainsi ouverte beaucoup s'engouffrèrent, et pas seulement des hommes de droite. Les travaillistes Rabin, Barak et Pérès bien sûr, pour ne citer que les plus connus, ont eux aussi développé des colonies, faisant croître le cancer qui transformait la vie des Palestiniens en un véritable enfer.

Même le Mur (les murs devrait-on plutôt dire tant ceux-ci sont nombreux et divers), qui aujourd'hui emprisonne les Palestiniens, empoisonne leur vie et conduit à la séparation, est une invention des Travaillistes. Dès 1967, c'est-à-dire dès que furent occupés les territoires palestiniens, le plan Alon prévoyait la création d'entités palestiniennes séparées. Puis, au terme des accords d'Oslo, signés par un gouvernement de gauche présidé par Rabin, des zones différenciées ont été légitimées. Ce furent les zones A, B et C qui établissaient l'Autorité palestinienne sur 3% seulement du territoire, tandis que 27% dépendaient d'une gestion conjointe. Le reste, c'est-à-dire 70%, était placé sous l'autorité unique des Israéliens. Quant au Mur proprement dit qui continuait cette politique de séparation, c'est sous le gouvernement de Barak que sa construction fut décidée.

Toutes les politiques mises en oeuvre par les partis sionistes, de gauche comme de droite, avaient en commun qu'elles prônaient un nationalisme juif, au regard duquel toutes autres considérations devenaient mineures. Et cette similitude, on la retrouve dans tous les domaines ou presque. Non seulement vis-à-vis des Palestiniens dont le droit à l'existence nationale fut de tout temps nié, mais aussi dans le domaine social qui touche toutes les catégories de la population, y compris les Israéliens. Mais sur ce plan, la politique de Peretz n'aurait-elle pas un volet social qui la distinguerait de celle prônée par la droite ? C'est en tout cas ce qu'affirment ses partisans, qui ajoutent un argument qui se veut définitif : de la part de celui qui, des années durant, fut le principal dirigeant de la centrale syndicale israélienne, il ne peut en être autrement.

À l'école d'un syndicalisme de collaboration

L'arrivée à la tête du Parti travailliste d'Amir Peretz a, en effet, pour un temps du moins, suscité bien des illusions. Sa qualité de syndicaliste n'est pourtant en rien une garantie pour les travailleurs, surtout quand elle émane du dirigeant d'un syndicat qui est un des rouages essentiels de l'ordre social.

La Histadrout, dont le nom complet en hébreu signifie "organisation générale des travailleurs en terre d'Israël", fut créée en décembre 1920 en tant qu'organisation juive ayant pour objet la défense des droits des salariés juifs auprès de leurs employeurs et de fournir assistance à ses membres comme le ferait une mutuelle. Ses objectifs initiaux étaient de fédérer les travailleurs juifs de la Palestine sous mandat britannique, de favoriser leur installation dans le pays et de préserver le travail juif, concurrencé auprès des employeurs juifs par une main-d'oeuvre arabe bon marché. Les travailleurs arabes israéliens ne pourront adhérer à la Histadrout qu'à partir de 1962.

Les liens entre le courant sioniste se proclamant socialiste et la Histadrout ont toujours été étroits, tout comme les liens entre le syndicat et l'État. Ainsi, Ben Gourion qui présida à la naissance d'Israël fut jusqu'en 1935 le principal dirigeant de la Histadrout.

Dans les premières années de la Histadrout, certains militèrent en son sein pour, disaient-ils, accentuer les tendances socialistes, voire même pour que le vocable "travail juif" soient remplacé par celui de "travail organisé", afin que puissent être aussi organisés les travailleurs arabes. À tous ceux-là, Ben Gourion répondait vertement : "Nous voulons d'un régime socialiste, nous aimerions instaurer la commune. Mais (...) je dis que nous ne devons porter aucun intérêt particulier au travail organisé en Eretz-Israël. Le régime socialiste et la commune ne peuvent avoir aucun intérêt pour nous dans ce pays si ceux qui les appliquent ne sont pas des travailleurs juifs. Nous ne sommes pas venus ici pour organiser qui que ce soit, et nous ne sommes pas ici pour répandre l'idée socialiste auprès de qui que ce soit. Nous sommes ici pour établir une patrie de travail pour le peuple juif."

De ce fait, la Histadrout fut créée et développée comme un des piliers du futur État. Elle joua même dans l'économie le rôle que le "secteur nationalisé" jouait dans d'autres pays. En peu de temps la Histadrout devint un géant économique : le plus important employeur de la communauté, le plus grand prestataire de services dans le domaine de la santé et de l'emploi. Au moment de la déclaration d'indépendance, en 1948, elle couvrait près de 25% du secteur économique du pays. Elle coiffait tout d'abord le secteur coopératif agricole. Les kibboutzim notamment, et en général tout le secteur agricole juif, passait par une coopérative dépendant de la Histadrout, pour commercialiser et distribuer leurs produits. La Histadrout contrôlait aussi toute une série d'autres entreprises par l'intermédiaire d'une holding, la Hevrat Haovdim (Société des travailleurs), qui regroupait les plus importantes entreprises de l'industrie israélienne. Elle dominait notamment le secteur de la construction et des travaux publics avec la société Solel Boneh. La Histadrout prit également en main la distribution de l'électricité, de l'eau, ainsi que les services publics essentiels. La Histadrout était présente dans le secteur bancaire puisqu'elle contrôlait en partie la Bank Hapoalim (Banque des ouvriers), deuxième institution financière du pays.

Une fois Israël proclamé, les entreprises dépendant de la Histadrout ont joué tout naturellement le rôle que jouent dans la plupart des États les entreprises du secteur public. Leur rôle était d'autant plus essentiel que, dans le cas d'Israël, il s'agissait de jeter les bases de l'organisation économique du nouvel État, sans qu'il fut encore possible pour lui de s'en remettre totalement à l'initiative privée. Mais depuis le début de la décennie quatre-vingt, qui vit une accélération des privatisations, l'importance de la Histadrout a décru, bien qu'elle reste toujours un des acteurs majeurs de l'économie israélienne.

La Histadrout n'a donc jamais été une école particulièrement favorable à la formation de militants ayant à coeur de défendre les intérêts politiques des travailleurs. Tout au plus peut-elle former des gestionnaires aptes à défendre le système capitaliste israélien.

Vers un tournant à gauche du parti travailliste ?

Les quelques déclarations faites par Peretz n'ont laissé entrevoir aucun changement notable au cas où celui-ci gagnerait les prochaines élections, ce qui serait d'ailleurs bien improbable. Certes, comme tout candidat sollicitant les votes des électeurs, Peretz promet. Il promet une augmentation du salaire minimum, la baisse du chômage qu'il voudrait voir passer sous la barre des 10% (c'est-à-dire baisser de 1,2% !), et la réduction des inégalités criantes dans un pays où un habitant sur quatre et un enfant sur trois vivent désormais au-dessous du seuil de pauvreté. Mais s'engage-t-il pour cela à revenir concrètement et point par point sur toutes les mesures prises, ne serait-ce que par le dernier gouvernement Sharon ? Rien dans les déclarations de Peretz ne le laisse supposer.

Et pourtant, le gouvernement a frappé dans tous les domaines. Les budgets d'austérité adoptés pour les années 2004 et 2005 ont été parmi les plus durs, n'épargnant aucune catégorie des classes populaires. Les dépenses sociales ont été brutalement réduites, au détriment de 2,2 millions d'enfants, 221000 invalides, 116000 malades et plusieurs dizaines de milliers de chômeurs. Dans le cadre des débats préparatoires au budget 2004, le ministre des Finances, Nétanyahou, prévoyait une diminution de 2,9% de la consommation publique, une baisse du salaire réel de 4% dans le secteur public et de 2,3% dans le secteur privé. Par ailleurs, le gouvernement a annoncé des mesures pour réduire encore le nombre des chômeurs ayant droit à une allocation. Les moins de 25 ans, par exemple, sont désormais contraints de se présenter quotidiennement dans les agences de l'emploi. L'objectif est de les forcer à prendre n'importe quel travail, y compris ceux occupés jusqu'alors par des travailleurs immigrés, travaillant fréquemment jusqu'à 14 heures par jour pour un salaire dérisoire, et dont 50000 ont été récemment expulsés. L'allocation chômage, dont les conditions d'attribution se durcissent, a été réduite. Il en a été de même pour les allocations de maternité et familiales, ainsi que pour l'aide à ceux qui gagnent moins que le revenu minimum ou qui ont été mutilés au travail. L'allocation vieillesse a été gelée au niveau de celle de janvier 2001, tandis que l'allocation versée aux infirmes n'était censée augmenter qu'en 2006.

Dans le même temps, l'État a réduit les budgets de santé et de l'éducation, tout en alourdissant les charges qui pèsent sur les usagers. Quant à la réforme des retraites, elle comporte une augmentation des cotisations des salariés et une baisse des pensions. En janvier 2004, l'âge légal de la retraite est passé progressivement de 65 à 67 ans pour les hommes et de 60 à 67 ans pour les femmes.

Mais si toutes ces mesures et autres restrictions ont rendu bien plus difficile la vie de la majeure partie de la population israélienne, la récession n'a pas été une calamité pour la minorité la plus riche qui, elle, a continué au contraire à s'enrichir. Car dans le même temps où les travailleurs s'appauvrissaient, les profits explosaient.

Ajoutés au gouffre financier que constituent les dépenses militaires et celles liées à la colonisation, les prélèvements encore plus importants de la classe capitaliste ont considérablement appauvri la majorité des travailleurs israéliens.

Ce ne sont donc ni les revendications, ni les exigences concrètes qui manquent pour que soient satisfaits les besoins de la population. À l'automne 2004, deux mouvements de protestation ont d'ailleurs eu lieu, déclenchés par la Histadrout. Le premier a concerné les travailleurs des collectivités locales qui ne recevaient plus leur salaire. Mais à peine la grève commençait-elle qu'un tribunal du travail ordonnait qu'elle cesse -injonction acceptée sur-le-champ par la Histadrout au motif que le tribunal demandait aussi au gouvernement de régler les arriérés de salaires.

Le second mouvement, tout aussi bien suivi par les travailleurs, a concerné cette fois toute la fonction publique. Les revendications portaient sur l'annulation des licenciements et des baisses de salaires contenues dans le projet de budget. S'ajoutait à ces revendications une protestation contre la décision du gouvernement de récupérer le contrôle des fonds de retraite des employés des entreprises d'État, gérés jusqu'alors par la Histadrout. Là encore un tribunal a aussitôt ordonné une reprise immédiate du travail, acceptée par la Histadrout au bout de quatre heures de grève seulement. "Le gouvernement doit savoir que cette grève d'avertissement de quatre heures est un carton jaune", a déclaré Amir Peretz. Mais il n'y eut plus d'autres cartons et surtout pas de carton rouge, bien que le gouvernement maintenait sa politique d'austérité à l'égard du monde du travail.

L'arrivée d'Amir Peretz à la présidence du Parti travailliste ne prouve certainement pas une volonté d'orienter à gauche la politique du parti. Tout au plus y a-t-il dans ce choix le désir de préserver son avenir, après des années d'une politique d'union nationale, acceptée par Shimon Pérès et ses proches, avec ce qui était il y a peu encore le principal parti de droite, le Likoud. Maintenir une identité au Parti travailliste en le distinguant de la droite, voilà ce qui surtout a dû motiver une majorité des électeurs travaillistes, les faisant se retrouver derrière Amir Peretz. Un tel scénario avait déjà eu lieu à la veille des élections de 2003, lorsqu'une majorité du Parti travailliste se retrouva derrière Mitzna, le maire de Haïfa, lui aussi considéré alors comme un représentant de la gauche du parti et en tout cas comme un dirigeant qui n'allait pas dissoudre le parti dans une politique d'union nationale avec la droite.

La personnalité d'Amir Peretz, son passé et peut-être même son origine juive orientale (Peretz est né au Maroc) ont pu compter dans le vote pour sa personne. À ce propos d'ailleurs, certains de ses proches espèrent qu'il pourrait ramener au Parti travailliste une frange d'électeurs juifs orientaux qui, depuis 1977, forment la base électorale du Likoud ou d'autres partis de moindre importance. Mais si de telles motivations peuvent compter dans l'arithmétique électorale, mises bout à bout elle ne font pas une politique, et en tout cas pas une politique de "gauche".

Pour sa part, Amir Peretz ne laisse planer aucune illusion. Pour l'heure il est des plus discrets sur les mesures qu'il pourrait prendre au cas où il serait élu, laissant à certains de ses soutiens le soin d'insister sur le caractère social que pourrait revêtir sa politique. Mais d'autres, plus lucides certainement, insistent au contraire sur le fait que, depuis que Peretz s'est porté au poste de président du Parti travailliste, il a modéré son attitude vis-à-vis de groupes qu'il condamnait parfois lorsqu'il était à la tête de la Histadrout. Terminées les diatribes sur les "capitalistes ivres de leur richesse et sans autre souci qu'eux-mêmes". Peretz a paraît-il trouvé à sa grande surprise chez des millionnaires de la hi-tech, des jeunes entrepreneurs et autres capitalistes qu'il a rencontrés, "un souci véritable pour leur pays et une grande inquiétude concernant la détresse sociale grandissante dans la société israélienne". C'est du moins ce qu'il a déclaré au journal Haaretz. Et ce même journal ajoute encore que Peretz "a découvert chez eux (les capitalistes) une certaine empathie pour les pauvres et les faibles, et de l'inquiétude pour l'image de la société".

À en juger par les sondages, Kadima, le parti de Sharon, a de fortes chances de remporter les élections, même sans Sharon. Mais de toute façon, le Parti travailliste, même sous la direction de Peretz, n'incarne aucun changement politique. Il se pourrait même fort bien qu'au sortir des élections du 28mars, un gouvernement Kadima-Parti travailliste se constitue. En tout cas, l'éventualité serait déjà envisagée à quelques semaines du scrutin.

Tous ceux qui, en Israël, aspirent à un réel mieux-être et à une paix retrouvée par la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien, n'ont donc rien à attendre des partis qui se partagent le pouvoir depuis la création de l'État d'Israël, c'est-à-dire depuis plus d'un demi-siècle.

23 février 2006

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