Irak : la guerre annoncée01/01/20032003Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2003/01/70.png.484x700_q85_box-18%2C0%2C577%2C809_crop_detail.png

Irak : la guerre annoncée

L'accumulation incessante de troupes et de matériels américains dans le voisinage de l'Irak rend de plus en plus plausible l'éventualité que la gesticulation guerrière de Bush à usage intérieur débouche sur la guerre tout court.

Les seconds couteaux de l'alliance impérialiste sont également en train de franchir des pas supplémentaires dans la mobilisation matérielle ou dans l'effort pour tenter d'embrigader leur opinion publique. La Grande-Bretagne envoie des avions, des hélicoptères, des navires de guerre et un sous-marin nucléaire dans la région. Par la bouche de son président Chirac, la France met en sourdine les hypocrites déclarations en faveur de la paix pour envisager ouvertement non seulement l'intervention militaire mais aussi la participation effective de troupes françaises à celle-ci.

La guerre qui se prépare est une guerre de brigandage impérialiste, même si on essaie de la parer des couleurs du combat pour établir un régime démocratique à la place de la dictature de Saddam Hussein.

Passons sur la dérisoire comédie des inspecteurs de l'ONU cherchant désespérément des prétextes à la guerre alors même que les dirigeants américains vont répétant qu'ils n'ont besoin ni de justification ni même de la bénédiction de l'ONU.

Ce qui est plus significatif en revanche, ce sont les " indiscrétions " soigneusement distillées par les dirigeants américains et répercutées par la presse sur ce que les États-Unis envisageraient pour l'après-Saddam Hussein.

Il est question d'une administration militaire américaine, appuyée par une occupation durable. Elle est envisagée au minimum pour 18 mois. Mais, évidemment, les auteurs du projet n'en savent rien tant ils ne peuvent deviner le déroulement de la guerre annoncée. Ils savent parfaitement que, bien que Saddam Hussein soit un dictateur infâme et qu'il soit sans doute vomi par une partie de la population irakienne, ce n'est pas pour autant que cette dernière accueillera les troupes américaines comme des libérateurs.

Un rapport confidentiel de l'ONU a chiffré à 500 000 personnes le nombre de victimes de la guerre à venir. Là encore, personne n'en sait rien en réalité. Mais le chiffre, dans sa brutalité, illustre à quel point les États-Unis ne se soucient pas du tout de la population irakienne elle-même, dans leur confrontation avec Saddam Hussein. Les centaines de milliers de victimes civiles passeront dans la sinistre comptabilité des pertes et profits. Elles ne comptent pas dans les calculs de l'état-major américain. Il est vrai que le nombre de victimes civiles par avance assumées en cas de guerre reste encore inférieur au million de victimes estimées des dix ans d'embargo contre l'Irak, ponctué de bombardements périodiques.

Mais ce qui, dans les informations distillées sur le plan américain pour " l'après-Saddam ", est plus significatif encore, c'est qu'il ne propose qu'une épuration réduite aux proches du dictateur déchu et n'entend toucher ni à l'administration en place, ni à l'armée, c'est-à-dire à l'appareil d'État lui-même. Pour reprendre le commentaire du Figaro, peu suspect d'" anti-américanisme primaire " : " pour éviter l'anarchie, Washington semble s'être résolu à recycler l'essentiel de l'appareil hérité de Saddam Hussein ". Et de citer, juste comparaison, le précédent de l'Allemagne, du Japon et de la France de 1945. Plutôt que de choisir l'administration militaire directe de la France " libérée ", les États-Unis avaient choisi à l'époque de soutenir l'opération de blanchiment de l'appareil d'État entreprise par De Gaulle, avec la participation décisive du PCF, transformant la police responsable de la " rafle du Vél-d'Hiv " en " police républicaine " et transmutant Papon et ses semblables, de collaborateurs de la Gestapo en résistants.

En Irak, l'appareil de répression hérité de Saddam Hussein ne servira probablement pas à se passer de l'administration américaine directe, mais à la compléter.

Lors de la guerre du Golfe de 1991, les États-Unis non seulement n'ont rien fait pour chasser Saddam Hussein du pouvoir mais lui ont laissé les mains libres pour briser les insurrections populaires consécutives à l'ébranlement de la dictature. Les armées américaines qui occupaient une partie du pays avaient laissé l'aviation de Saddam Hussein violer l'accord de cessez-le-feu pour bombarder les régions chiites insurgées et avaient attendu, l'arme aux pieds, qu'il écrase l'insurrection. Elles avaient également laissé Saddam Hussein massacrer les Kurdes avant de décider, mais plus tard, la mise en place d'une zone " d'exclusion aérienne ".

Cette fois-ci, en cas de victoire des États-Unis, le fils Bush est décidé à aller plus loin que le père et à se débarrasser de la personne de Saddam Hussein.

Mais pas de sa dictature, pas de son appareil d'État. Vrai ou pas, le plan américain tel qu'il est porté à la connaissance du public montre en tout cas une double intention. Celle évidemment d'un appel du pied en direction des généraux irakiens afin qu'ils se débarrassent de Saddam Hussein par un coup d'État, en contrepartie de quoi ils seraient non seulement absous de leur passé au service du dictateur, mais conserveraient aussi leur pouvoir et leurs positions sociales. C'est cet aspect des choses qui est largement souligné par la presse.

Mais, derrière ce calcul, destiné à réduire les coûts humains de l'intervention pour l'armée américaine, il y a un autre calcul, plus fondamental. Les États-Unis ont besoin de l'appareil d'État en place pour contrôler la population irakienne elle-même. Même s'ils laissent sur place des dizaines de milliers de soldats américains et même s'ils choisissent, au moins pour un temps, une administration américaine, militaire ou pas, cela ne suffit pas pour contrôler un pays de la taille et du degré de développement de l'Irak, taraudé par une multitude de contradictions entre le pouvoir central et les " minorités " opprimées, chiite et kurde, qui en réalité représentent la majorité de la population. Sans même parler des contradictions sociales entre une petite couche de privilégiés qui, malgré l'embargo, vit bien et s'enrichit et la majorité de la population dont la pauvreté a été considérablement aggravée depuis la première guerre du Golfe.

Une déstabilisation en Irak risquerait de menacer de déstabilisation toute cette région, où les traités impérialistes ont fait passer les frontières en découpant les peuples et les communautés. Un éclatement de l'État d'Irak se répercuterait inévitablement sur les pays voisins. Que la population kurde d'Irak, par exemple, profite des circonstances pour tenter d'accéder à une existence nationale que les puissances impérialistes lui refusent depuis un siècle, il est peu probable que cela n'ait pas de répercussion sur la population kurde d'Iran, de Syrie ou de Turquie, un des principaux alliés des États-Unis dans la région.

Voilà pourquoi une chance est donnée aux dignitaires les plus pourris de la dictature de se racheter une conduite et de se poser en résistants à Saddam Hussein pour peu qu'ils virent de bord à la dernière minute. Voilà pourquoi aussi il y a, plus qu'une chance, une certitude que toute la hiérarchie de la police et de l'armée, y compris ceux qui ont assassiné, torturé, sous Saddam Hussein, conserve son emploi, cette fois-ci au service d'un régime pro-américain.

Au-delà de la guerre elle-même, ses victimes et ses souffrances, l'intervention des puissances impérialistes en Irak n'amènera rien de bon pour la population irakienne.

L'agitation guerrière menée crescendo depuis un an vise à tenter d'embrigader la population américaine derrière une politique impérialiste agressive. Cette politique risque d'être continuée dans les semaines qui viennent par d'autres moyens, cette fois militaires.

Les courants politiques qui se revendiquent de la classe ouvrière et de ses intérêts ne sont évidemment pas en situation de s'opposer et à plus forte raison d'empêcher cette guerre des puissances impérialistes coalisées contre l'Irak. Mais ils peuvent au moins montrer que ce n'est pas au nom des travailleurs, au nom et avec l'accord de la population, que cette guerre se prépare, mais pour de sordides raisons impérialistes, comme tant d'autres qui ensanglantent la planète, avec la pérennisation de la domination impérialiste.

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